[Conférence Edelman] – Environnement : Où en est la montée des radicalités en France ?

Le pôle Corporate Affairs de l’agence de communication Edelman France a organisé le 31 août dernier une conférence très riche sur la montée des organisations contestataires et radicales dans le milieu agricole et alimentaire. Qui sont-elles ? Comment s’organisent-elles (ou pas !) ? Quels sont leurs objectifs ? Deux intervenants de haute volée étaient invités : Eddy Fougier, politologue et auteur de « Malaise à la ferme » et Antony Cortes, journaliste et auteur de « L’affrontement qui vient : de l’éco-résistance à l’éco-terrorisme« . Morceaux choisis.

Avec 53% de confiance exprimée, la France se situe en queue de peloton des pays européens (avec l’Espagne et la Suède) dans l’édition 2023 du célèbre Trust Barometer de l’agence Edelman. Les actions militantes contre l’agriculture et l’alimentaire se multiplient, avec un net regain de violence autant dans les mots que dans les gestes. Entre les affrontements brutaux autour des méga-bassines de Sainte-Soline, les destructions de serres, les vandalisations de boucheries ou encore la spectaculaire agit-prop sanguinolente de L214 à Orléans en mai dernier, l’actualité est régulièrement émaillée par ces tensions où la radicalité se montre de plus en plus inflexible et déterminée.

Quels modes opératoires ?

Anthony Cortes, journaliste au magazine Marianne

Durant son long travail d’enquête réalisé dans le cadre de son livre, Antony Cortes a été frappé par la surenchère des mots usités qui n’hésite pas à piocher dans le registre du vocabulaire guerrier. Ecocidaire est par exemple un vocable très fréquemment adressé à ceux qui sont considérés comme les ennemis directs, à savoir les tenants du système capitaliste, agriculteurs et industries agro-alimentaires inclus. Il fait même remarquer que les très médiatiques Soulèvements de la Terre veulent constituer une « armée » pour défier ces adversaires désignés avec une stratégie assumée de recherche de l’affrontement.

Pour Eddy Fougier, les modes opératoires obéissent à trois critères, la légalité, la violence et les cibles pour lesquels le rapport peut amplement varier d’un groupe activiste à un autre. Il y a par exemple les faucheurs de maïs OGM de la Confédération Paysanne qui sont dans l’illégalité mais sans recourir à la violence contre des biens ou des personnes. A l’autre bout du spectre, on trouve en revanche des mouvements qui ne reculent devant rien : non-respect des lois, violences qui se traduisent aussi bien par des destructions de biens que des agressions verbales et/ou physiques contre des personnes.

Pour le politologue, nous avons atteint le point de bascule. Bien que Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur ait qualifié les Soulèvements de la Terre d’éco-terroristes, celui-ci estime que le terme reste encore inapproprié mais que l’on s’approche malgré tout des limites (et que l’attitude très martiale du ministre y contribue en partie). C’est en tout cas la conviction également des services de surveillance de l’Etat qui redoutent des actes pouvant aller jusqu’à faire exploser un bâtiment et tuer des gens.

Quelles évolutions ?

Eddy Fougier, politologue

Les deux experts témoins s’accordent à dire que les mouvements activistes se sont durcis au fil des ans et des COP qui sont la plupart du temps très déceptives car peu d’avancées concrètes en résultent. Par conséquence, certains préfèrent se tourner vers des actions nettement plus radicales. C’est par exemple le cas d’Extinction Rebellion qui est passé du blocage d’un pont en 2018 au saccage d’une partie d’une cimenterie du groupe Lafarge en 2022. Autre carburant de la radicalisation rappelé par Eddy Fougier : les espoirs déçus et douchés d’un monde d’après que la pandémie du Covid-19 avait laissé un temps entrevoir.

Antony Cortes constate que même des militants plus légalistes comme France Nature Environnement ont un ton plus rude et s’agacent des passages en force du gouvernement pour imposer des projets d’aménagements divers sans même réellement considérer les oppositions. A ses yeux, c’est un ferment de contestation très fort qui percole dans tous les groupes activistes, y compris ceux qui combattent localement contre un chantier précis.

Quelle sociologie ?

Durant ses investigations, Antony Cortes a constaté que les jeunes générations étaient très représentées. Une représentation en partie expliquée par l’éco-anxiété dont 45% déclarent souffrir selon la revue scientifique The Lancet. Ces jeunes souvent diplômés et insérés socialement, trouvent dans l’engagement militant, un exutoire pour combattre le désordre climatique.
Eddy Fougier ajoute que la tentation de la radicalité se manifeste chez eux à cause de la crispation du gouvernement à l’égard de leurs revendications mais également grâce aux succès médiatiques que les actions violentes enregistrent régulièrement. Le militantisme juridique n’est plus une option viable, ni productive pour eux.

A noter que les Soulèvements de la Terre agrège des groupes assez hétéroclites qui ont avant tout en commun les mêmes combats mais qui proviennent d’horizons différents, certains issus d’engagements locaux, d’autres d’engagements dans les mouvances d’ultra-gauche, voire de l’alter-mondialisme qui a préfiguré cet activisme. Eddy Fougier estime que les Soulèvements sont une sorte de marque qui estampille telle ou telle action et qui permet ainsi de massifier le rapport de force. Pour autant, il n’y pas de hiérarchie identifiée clairement. Le mouvement est d’essence liquide et d’ici deux ou trois ans, pourrait laisser place à autre chose.

Quelles perspectives ?

Les deux intervenants se rejoignent pour dire que le dialogue est désormais considéré comme peu ou pas efficace. Pour ces radicalités qui s’expriment, la violence doit primer pour imprimer dans l’opinion. Un pari toutefois dangereux. Un récent sondage indiquait que 70% des Français rejetaient ce type d’action bien qu’ils partagent les inquiétudes environnementales et alimentaires soulevées.

Antony Cortes note par ailleurs que ces mouvements cherchent avant tout à susciter l’émotion au motif qu’on n’a plus le temps et qu’il faut être jusqu’au-boutiste quitte à perdre en efficacité. Ces groupes ne cherchent pas en effet à être forcément populaires même si paradoxalement, nombreux sont ceux qui se réclament du peuple et du Bien commun. Un exemple ? L’activiste écologiste française Lena Lazare qui n’hésite pas à dire qu’elle cherche avant tout à contraindre plutôt qu’à convaincre ou le philosophe Frédéric Lordon qui incite à être éco-furieux plutôt qu’éco-anxieux.



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