Zalando : Comment passer de la communication start-up à celle d’acteur corporate établi ?
En à peine 6 ans d’existence, l’e-commerçant mode & textile allemand Zalando est parvenu à se frayer un chemin remarquable sur le marché du commerce en ligne, ponctué récemment par une introduction en Bourse certes mitigée. D’une minuscule start-up berlinoise, l’entreprise est devenue un acteur international opérant dans 15 pays. Cette croissance fulgurante n’a pas été sans poser quelques problèmes de stratégie de communication. Retour sur quelques temps forts.
En 2008, deux jeunes étudiants en commerce dénommés Robert Gentz et David Schneider reviennent s’établir en Allemagne. Après des essais infructueux pour lancer un réseau social au Mexique, ils décident de s’inspirer de Zappos, le célèbre site américain de vente en ligne de chaussures, pour rebondir et convaincre les investisseurs que l’avenir leur appartient. Depuis leur appartement de Berlin, ils ouvrent un site de vente de tongs rapidement baptisé Zalando. Six ans plus tard, leur intuition commerciale est déclinée dans 15 pays et réalise un chiffre d’affaire de 1,7 milliards d’euros auprès de 13, 7 millions de clients (1). Valorisée aujourd’hui à 5,3 milliards d’euros et ultra-médiatisée, Zalando a dû très rapidement apprendre à composer avec les problématiques de communication comme l’a expliqué Boris Radke, directeur de la communication corporate de Zalando lors du séminaire européen des membres du réseau PROI à Berlin en septembre dernier.
Priorité absolue à la communication marketing
A peine Zalando est-il porté sur les fonts baptismaux que l’entreprise s’impose sans coup férir sur son marché domestique. Il faut dire que la start-up bénéficie du soutien financier conséquent des « papes » du Web commerçant germanique que sont les trois frères Samwer. A travers leur incubateur de start-ups commerçantes Rocket Internet, ils nourrissent de grandes ambitions pour leur pouponnière d’entreprises. Convaincus que le modèle de Zalando directement emprunté à celui de Zappos (entretemps racheté par le géant Amazon) possède un avenir radieux, ils injectent des fonds pour détenir encore aujourd’hui 17% du capital et exercer une influence avérée sur la conduite des affaires et les orientations prises par Zalando.
La suite de l’histoire ressemble en effet à une course échevelée. Un an plus tard, Zalando sort déjà de ses frontières pour poser un pied en Autriche. Puis, c’est au tour des Pays-Bas et de la France en 2010 qui sont rejoints l’année d’après par l’Italie, le Royaume-Uni et la Suisse. Pour gagner en très peu de temps une notoriété massive, la technique d’implantation de Zalando est invariable. A chaque fois, l’entreprise s’appuie sur une gigantesque campagne média où télévision, radio et Internet forment un irrésistible tryptique. A ce matraquage communicant pleinement assumé, Zalando recourt ensuite aux réseaux sociaux, Facebook et Twitter en tête, pour recueillir le feedback des consommateurs et affiner en permanence les collections de chaussures mais aussi de vêtements et d’articles de mode que le site propose désormais. En France, c’est un carton. Après un an d’existence, Zalando enregistre un taux de notoriété de 55% et 37 millions de pages vues sur la version hexagonale du site (1).
Le mutisme corporate comme posture initiale
Avec des percées commerciales aussi fracassantes, Zalando suscite vite l’attention des médias, notamment en Allemagne où l’enseigne connaît son premier article négatif dès 2009 comme le raconte Boris Radke. Autre sujet de crispation : la personnalité particulière des trois frères Samwer. A la tête de leur machine de guerre Rocket Internet dont Zalando est un emblème, ils sont régulièrement critiqués pour leur propension peu innovante à copier les idées issues de la Silicon Valley et les cloner ensuite dans l’écosystème Web européen. Leur posture entrepreneuriale déclenche également certaines réactions allergiques en Allemagne où le consensus est souvent érigé en table de loi. Eux s’en fichent et revendiquent une ambition commerciale agressive qui détonne comme le déclare, Oliver, le plus jeune du trio fraternel dans un courriel adressé à ses employés (2) : « Je suis l’homme le plus agressif de l’internet : je mourrais pour gagner et j’attends la même chose de vous ».
Pourtant, en dépit des crissements de dents et une presse plutôt mordante, Zalando ne prête guère attention aux échos médiatiques critiques. Boris Radke précise même que jusqu’en 2012, la communication de l’entreprise est uniquement articulée autour des actions de relations publiques avec l’univers de la mode et des investissements publicitaires. De son côté, la communication interne est embryonnaire et réduite à sa plus simple expression. Quant à la communication externe, elle est inexistante. Même si çà et là, s’allument des signaux faibles de crise, le succès business de Zalando est tel que les retombées presse négatives pèsent bien peu au regard des 95% de clients satisfaits.
Une crise qui change tout
Si Zalando poursuit inexorablement son expansion victorieuse partout où il s’implante, les premiers nuages de crise commencent néanmoins à s’accumuler à force de balayer les requêtes médiatiques et les attaques publiques pour se concentrer uniquement sur la marche des affaires. En juillet 2012, la chaîne de télévision allemande ZDF jette un sacré pavé dans la mare. Elle diffuse un reportage accablant sur les détestables conditions de travail qui règnent dans les entrepôts logistiques d’Amazon et … de Zalando. Payés chichement 7 € de l’heure (3) – NDLR : en-dessous du taux légal horaire allemand qui s’élève à 8,50 € (4), les ouvriers doivent de plus marcher des kilomètres et des kilomètres dans les allées de stockage. Cette fois, Zalando est clairement dans l’œil du cyclone médiatique et se fait copieusement étriller.
Comme l’indique Boris Radke, c’est l’élément déclencheur qui incite l’entreprise à se doter d’une véritable structure de communication corporate. Très rapidement, un blog officiel est mis en ligne. Des équipes sont constituées pour enfin rencontrer régulièrement les journalistes et mieux faire entendre la voix de l’entreprise, notamment sur les sujets crisiques des conditions de travail. Au passage, la communication interne est également renforcée et l’accent mis sur la marque employeur. Enfin, Boris Radke s’efforce de coordonner les activités de communication de Zalando en tant qu’enseigne et celles liées à la commercialisation des produits. Partie intégrante de ce nouveau dispositif, les réseaux sociaux sont aussi appréhendés sous l’angle de la veille sensible.
Une maturité encore en cours d’acquisition
Boris Radke n’estime pas pour autant que le chantier de la communication de Zalando soit achevé. Depuis l’époque du silence en guise de réponse, des progrès substantiels ont été évidemment accomplis comme cet événement récemment organisé à Berlin en préambule de l’introduction en Bourse qui a rassemblé 115 journalistes de la presse allemande et internationale. En charge de la communication corporate depuis 2012, Boris Radke est conscient que Zalando doit désormais adapter un registre de communication plus structuré et cohérent afin d’être plus apte à relever les controverses qui continuent d’émailler le quotidien de Zalando.
Zalando continue d’ailleurs d’être sous le feu des médias. Dans les mois précédant l’introduction boursière, c’est la chaîne de télévision RTL qui a de nouveau braqué les projecteurs sur les conditions de travail toujours aussi peu reluisantes en vigueur chez Zalando. Cette fois, c’est le centre logistique flambant neuf de Zalando à Erfurt qui était dans le viseur. Une journaliste s’est fait embaucher incognito pour découvrir entre autres que les ambulances sont appelées plusieurs fois par semaine à cause des problèmes physiques sérieux rencontrés par les employés.
Devant cette mise en cause, Zalando est cette fois monté au front en réfutant catégoriquement les arguments avancés par la journaliste (5) : « Il y a beaucoup d’émotion mais nous devons dépasser cela. De notre point de vue, la présentation des faits ne correspond pas du tout à la réalité de la culture de l’entreprise et à la façon de penser des employés ». Ce qui n’a pas empêché un syndicaliste maison de contredire le discours corporate (6) : « Les employés ont peur. Ils sont souvent embauchés en CDD. Il n’y a pas de comité d’établissement et ceux qui parlent sont renvoyés ».
Plus récemment, c’est une chronique publiée par le site d’offres d’emplois Experteer qui a pointé certaines lacunes existantes en termes de management chez Zalando. L’étude (6) montre notamment que l’atmosphère interne n’est pas si riante et que 25% des managers chevronnés cherchent activement à quitter l’entreprise. Des points qui soulignent nettement que la communication de Zalando est définitivement entrée dans une ère où le bla-bla tendance boyscout en vigueur dans les start-ups ne peut plus prétendre répondre aux enjeux d’image et de cohésion réputationnelle.
Sources
– (1) – Blandine Milcent – « Entrée en Bourse décevante pour la start-up allemande Zalando » – Le Monde – 1er octobre 2014
– (2) – François Deschamps – « Zalendo met le marché au pas » – E-Commerce Mag.fr – 1er décembre 2011 –
– (3) – Thibaud Madelin – « Les frères Samwer, gourous allemands du Web » – Les Echos – 30 septembre 2014
– (4) – « German TV show denounces injustices in working conditions at Zalando and Amazon » – E-commerce facts.com – 27 juillet 2012
– (5) – « Retailer Zalando under fire over work conditions » – The Local.de – 27 avril 2014 –
– (6) – Ibid.
– (7) – « Is Zalando top talent leaving the firm quickly? » – Blog d’Experteer – 31 juillet 2014