Dirigeants & Présence digitale : est-elle désormais obligatoire ou toujours optionnelle ?

Bien que les profils puissent varier très aléatoirement en termes d’activités, nombreux sont aujourd’hui les dirigeants à investir les médias sociaux, avec notamment une prédilection prononcée pour Twitter et Linkedin. L’irruption de ces canaux de communication continue cependant de faire débat sur l’opportunité ou non qu’un patron d’entreprise, un décideur politique ou un manager de haut rang doive s’y exprimer en permanence ou au contraire faire l’impasse pour ne pas additionner les risques réputationnels. Et si la réalité était un peu moins tranchée ?

L’usage immodéré (et carrément borderline, n’ayons pas peur des mots) de Twitter par Donald Trump a largement remis sur le devant de la scène la problématique de la communication d’un dirigeant sur les médias sociaux. De toute évidence, le président des Etats-Unis est le contre-exemple idoine de toutes les dérives et erreurs à éviter. Petites phrases assassines et provocations débridées sont le lot quotidien de l’actuel hôte de la Maison Blanche. Mais plus incroyable encore ! Donald Trump délaisse ostensiblement le compte Twitter officiel @POTUS pour continuer à déverser ses saillies verbales sur son compte personnel @RealDonaldTrump en dépit de sa fonction de chef d’une des plus grands puissances mondiales. Vue sous cet angle, la présence digitale d’un dirigeant a effectivement de quoi laisser perplexe, voire réticent tant son profil Twitter ressemble plus à un ring de catch qu’à un espace d’expression et de dialogue. Il serait pourtant dommage de s’arrêter aux idioties à répétition du 45ème président des USA.

Où en sont les patrons et les dirigeants sur le Web social ?

CEO Digital presence - banniere communicationUne chose est certaine. Progressivement, les dirigeants d’entreprise (qu’elle que soit la taille par ailleurs) investissement de plus en plus dans les outils digitaux pour faire entendre une parole qu’ils réservaient jusque-là aux médias traditionnels, aux conférences professionnelles ou à quelques experts triés sur le volet. C’est ainsi que la 4ème édition de « Socialising your CEO » éditée en mars 2017 par l’agence de communication globale Weber Shandwick, relève par exemple que les patrons américains à la tête de structures d’envergures étaient présents à 92% pour le secteur public et 76% pour le secteur privé. Et les figures de proue de la Silicon Valley ne sont pas en reste avec un taux de présence de 86% (1). C’est d’ailleurs sur Twitter qu’en juillet 2017, Mark Zuckerberg, PDG de Facebook et Elon Musk, PDG de Tesla, se sont par exemple écharpés publiquement au sujet des perspectives de l’intelligence artificielle. Musk étant plus que réservé à l’égard des usages que cette technologie pourrait engendrer, le n°1 de Facebook a qualifié ces propos d’ « irresponsables » (2). Ce à quoi le n°1 de Tesla a répondu illico (3) : « J’ai parlé à Mark de cela. Sa compréhension du sujet est limitée ».

En France, les têtes d’affiche patronales ont également avancé sur le sujet après des années de pusillanimité plutôt prononcée. Hormis quelques rares pionniers qui avaient immédiatement saisi la balle au bond, nombreux étaient ceux qui se tenaient à l’écart. Là aussi, le décor a évolué. Il n’est dorénavant pas rare de croiser sur Twitter des cadors dirigeants comme Stéphane Richard (PDG d’Orange), Jean-Bernard Lévy, (patron d’EDF), Patrick Pouyanné, (n°1 de Total), Frédéric Oudéa (DG de Société Générale) ou encore Gilles Pélisson (patron du groupe TF1). D’ailleurs, Damien Viel, le DG France de Twitter ne s’y est pas trompé. En octobre 2016, il a lancé le cercle #CEOsQuiTweetent qui rassemble à l’heure 142 membres de grands dirigeants français issus de tous secteurs. Cette initiative fait suite à celle de TweetBosses que le sémillant Nicolas Bordas,  vice-pésident TBWA, avait créée et fortement soutenue depuis 2013. Damien Viel n’en démord pas en tout cas sur le devenir de la tendance (4) : « La recherche de transparence. Il y a une attente de la part du public comme des salariés: un dirigeant aujourd’hui, doit porter des valeurs. Communiquer sur ce qu’il fait et sur ce que fait son entreprise, valoriser ses collaborateurs et les promouvoir à l’extérieur comme à l’intérieur. Or Twitter est un des nouveaux éléments de la communication corporate de transparence

Présents mais avec de sacrées nuances

CEO Digital presence - conversationOutre-Atlantique, l’étude Weber Shandwick tempère toutefois le débarquement de ces dirigeants sur Twitter, Linkedin et consorts. Elle fait notamment remarquer que seulement 38% des PDG du public et du privé ont publié quelque chose en ligne durant les 12 mois précédents. Et le score n’est guère plus élevé chez les chantres de la Silicon avec un timide taux de 41% (5). Côté engagement avec le public, les résultats affichent aussi de piètres performances 34% des PDG du privé répondent à des internautes, 22% pour ceux du public et 39% dans la Silicon Valley. Or à quoi bon ouvrir un profil digital si c’est pour demeurer autant figé qu’une statue de cire du musée Grévin ? Chief reputation strategist chez Weber Shandwick, Leslie Gaines-Ross insiste d’ailleurs sur la nécessité de passer à la vitesse supérieure (6) : « L’engagement est la nouvelle forme de présence du PDG sur les médias sociaux. Partager des contenus en ligne et engager avec les parties prenantes permet au PDG d’humaniser la conversation, prouver une forme de transparence et d’accessibilité, établir des contacts et gagner en termes de réputation ».

Plus que la présence digitale, c’est le contenu et l’échange qui opèrent une différence significative. En mai 2016, une étude intitulée « CEO Content Index » et émanant conjointement de l’agence de branding W et de l’agence conseil en data analyse Synomia s’est penchée sur la question. Au-delà des espaces digitaux investis, la parole du patron est-elle audible et influente ? Pour cela, trois critères d’évaluation ont été retenus :

  • L’engagement réellement constaté autour du discours des dirigeants, à savoir les likes, partages, etc.
  • La visibilité via les indicateurs associés à la quantité des contenus émis, à savoir le volume global des prises de parole, les canaux les plus sollicités, les mentions du dirigeant sur le compte Twitter Corporate de son groupe
  • Le contenu via les indicateurs associés à la nature des contenus émis, à savoir le fond (les thématiques éditoriales (stratégie & modèle économique, offre & qualité de service, vision & innovation, marque employeur, vision & société et sujets) et la forme (liberté de ton et rapport entre le « je » et « nous » dans les discours)

Les conclusions de cette étude fouillée sont pareillement implacables et soulignent une fois de plus si besoin est, que la présence digitale ne suffit pas. Ainsi, l’étude fait remarquer que seulement 20% des dirigeants sont réellement actifs sur les réseaux sociaux, que deux tiers n’ont émis qu’entre 10 et 50 prises de parole en l’espace de 6 mois. Et encore en retweetant à 72% des articles issus du tryptique média favori des patrons : Les Echos, Le Figaro et L’Usine Nouvelle (7). Question engagement, on repassera donc un peu plus tard par avoir des profils plus affirmés. Par ailleurs, les entreprises de taille inférieure ne sont guère plus efficaces dans l’appropriation des médias sociaux. Une enquête Opinion Way/American Express de juin 2016 indique que même les réseaux professionnels comme Linkedin et Viadeo sont désertés (8). Le premier recueille 28% d’inscrits, le second 12%. C’est paradoxalement Facebook (37%) qui recueille leurs préférences mais pour y mener avant des campagnes publicitaires (55%), de la veille concurrentielle (29%) et de la prospection commerciale (25%).

Un dirigeant est un levier réputationnel

CEO Digital presence - Agon LinkedinConsultant international en marketing et communication digitale, Minter Dial estime sans détours qu’une présence mal gérée d’un dirigeant sur les médias sociaux constitue même un handicap pour la réputation de l’entreprise dont il conduit la destinée mais également un problème pour achever la transformation digitale de cette même société. A ses yeux, si le n°1 n’incarne pas le mouvement et ne s’implique pas plus en avant, quelle crédibilité peut-elle être espérée auprès des publics internes et externes ? Dans un billet mordant (9), il cite particulièrement l’exemple du PDG de L’Oréal, Jean-Paul Agon. Un profil Linkedin existe effectivement et résume les temps forts de sa carrière au sein du groupe. En revanche, ce même profil affiche … 0 connexion avec d’autres membres, ni aucun partage ou publication de billet sur le réseau. Un élément réputationnel qui va en effet totalement à rebours du discours officiel de L’Oréal qui se veut justement comme étant une société à la pointe de la transformation digitale. Comment dès lors expliquer que son leader en soit si éloigné et non-pratiquant ?

Directrice de la communication chez SPIE ICS, Cécile Paillard abonde pleinement dans ce sens. Ce gap paradoxal ne peut pas être négligé du fait du rôle particulier du dirigeant d’entreprise en termes de communication et de réputation. Dans un billet paru sur Linkedin, elle explique sa vision (10) : « De par sa position, le dirigeant détient une capacité d’influence conséquente sur l’image de l’entreprise. A l’interne, c’est un pouvoir d’alignement stratégique et de motivation qui est très perceptible par les équipes. A l’externe, c’est celui d’incarner la marque, de lui donner des ambitions. Au final, et compte tenu de la très grande porosité des canaux qu’elle emprunte, la communication personnelle du dirigeant permet de générer de la confiance et un capital de sympathie auprès des différentes parties prenantes ».

Pourquoi ce décalage encore prégnant ?

CEO Digital presence - Cup CEOAujourd’hui, tout est connecté en permanence. Qu’on le veuille ou non et qu’on s’en désole ou pas, l’environnement d’un dirigeant s’absout très difficilement de la dimension communicante digitale 24/24. Ne pas y être peut être certes un choix intentionnel mais à condition de savoir clairement l’assumer et d’avoir conscience que cette absence peut être perçue par les parties prenantes comme une esquive ou une volonté de cacher des choses. D’autres expliquent encore le fait de sécher les médias sociaux par manque de temps et/ou peu d’appétence pour le digital en général. Là aussi, l’argument fait long feu. Avant même les médias sociaux, les agendas de patrons ont toujours été des denrées rares et il n’est de surcroît nullement demandé au dirigeant de se muer en community manager pour autant mais de simplement cultiver en ligne sa marque personnelle au service de l’organisation qu’il manœuvre.

Gagen MacDonald, une agence américaine spécialisée dans la conduite du changement au sein des entreprises, s’est récemment interrogée sur les freins qui inhibent encore des dirigeants et les font considérer les médias sociaux comme quelque chose qui ne les concerne pas ou qui va leur causer des problèmes. Cette agence a identifié 5 leviers particulièrement intéressants :

  • La stratégie business est trop complexe à expliquer
  • Ils sont mal à l’aise avec l’agitation digitale
  • Quelqu’un peut poser une question à laquelle ils ne savent pas répondre
  • Ils sont là pour livrer une information, pas mener une conversation
  • Ils n’aiment pas dire de mauvaises nouvelles

Ces points sont très pertinents. Quiconque connaît les arcanes des structures entrepreneuriales (petites ou grandes) comme celles des administrations, sait que globalement un dirigeant n’aime guère être pris en faute ou en contradiction. Le management pyramidal (pour ne pas dire autocratique d’aucuns !) persiste encore même s’il est largement bousculé à l’interne par les nouvelles générations, y compris les jeunes managers et à l’externe par le poids accrue des parties prenantes capables de faire vaciller une réputation comme ce fut longtemps l’apanage des médias.

Y aller mais avec sagacité

Extrait de l'étude Synomia et W

Extrait de l’étude Synomia et W

Bien qu’il soit donc acquis que la présence digitale du dirigeant n’est plus une option discutable mais bel et bien une obligation à intégrer dans une stratégie de communication plus globale, il ne s’agit pas pour autant de se précipiter et d’aller ouvrir des comptes tous azimuts de votre PDG sans préalablement analyser le contexte, cartographier les acteurs influents (concurrents et détracteurs inclus), circonscrire les tendances conversationnelles et thématiques les plus fréquentes. Ce travail de fond requiert certes du temps pour analyser, recouper, bien s’imprégner de l’environnement avant de commencer à poser les premiers jalons d’une stratégie. Ouvrir un profil Twitter, Linkedin ou tenir un blog n’est pas un acte innocent. Il doit par conséquent être pesé à l’aune des enjeux d’image et d’influence qui concernent le dirigeant et son entreprise.

Il est évident que certains dirigeants seront plus spontanément à l’aise avec l’exercice que d’autres qui ont longtemps baigné dans une culture managériale où le silo et la discrétion (y compris médiatique) ont été les maîtres mots ou qui ont tout simplement des personnalités plus introverties. Pour autant, chacun peut trouver sa voix, sa personnalité tout en restant en cohérence avec soi-même et évidemment le positionnement corporate de son entreprise. A l’instar des média-trainings que les dirigeants effectuent à longueur de temps pour se préparer à de longues interviews radio ou TV, voire des discours dans des conférences de premier plan, le dirigeant doit également désormais songer à travailler similairement sa communication digitale avec l’aide de son directeur/trice de la communication et si besoin d’un consultant extérieur. Et travailler ne signifie aussitôt télécharger l’appli mobile de Twitter sur son smartphone pour émettre dans la foulée son premier tweet mais bel et bien apprivoiser les codes, être au clair avec les objectifs et motivations poursuivies et connaître ses potentiels interlocuteurs. Et si le compte digital est parfois délégué à un community manager pour des questions de calendrier, autant le dire ouvertement du moment que le message émis est en phase avec le dirigeant.

Incarner ce que l’on est

CEO Digital presence - Richard GirardPlus que l’outil, c’est le style qui produira un effet bénéfique d’une présence digitale. Et à ce niveau, il n’existe aucune solution clés en main universelle. Certains privilégieront des tacles savamment pesés comme l’avait fait le PDG d’Iliad/Free, Xavier Niel à l’encontre d’Arnaud Montebourg alors ministre de l’Economie. D’autres comme Alexandre Ricard, PDG du groupe spiritueux éponyme, inviteront à des sessions d’échanges en ligne via le compte de l’entreprise. L’essentiel est de bien calibrer (mais pas s’inventer ou aseptiser) la tonalité du discours développé, les sujets qu’on s’autorise ou pas, etc. A l’heure où les entreprises déploient de plus en plus des programmes de salariés ambassadeurs sur les réseaux sociaux, pourquoi le PDG ne serait-il pas précisément l’un d’entre eux ? Le management par l’exemple venu d’en haut a toujours été payant ! Et en termes d’influence et de visibilité, l’entreprise aura tout à y gagner. En ne faisant évidemment pas du Donald Trump version corporate !

Sources

– (1) – « CEOs Visible On Social Media, But Not Engaged » – Holmes Report – 26 mars 2017
– (2) – Grégory Rozières – « Clash entre Mark Zuckerberg et Elon Musk sur l’intelligence artificielle » – Huffington Post.fr – 25 juillet 2017
– (3) – Ibid.
– (4) – Quentin Périnel – « Les patrons français sont toujours plus nombreux sur Twitter » – Le Figaro.fr – 20 octobre 2016
– (5) – « CEOs Visible On Social Media, But Not Engaged » – Holmes Report – 26 mars 2017
– (6) – Ibid.
– (7) – Magali Héberard – « Comment évolue la parole des dirigeants du CAC 40 à l’ère digitale ? » – Siècle Digital – 25 mai 2016
– (8) – Sophie Eustache – « Les patrons de TPE sous-exploitent les réseaux sociaux et l’e-commerce » – L’Usine Digitale – 23 juin 2016
– (9) – Minter Dial – « The big problem when executives fail to create a social presence » – The Myndset Company – Juin 2016
– (10) – Cécile Paillard – « Dirigeants : construisez le marketing de votre marque personnelle » – Linkedin Pulse – 8 novembre 2016

Pour en savoir plus



2 commentaires sur “Dirigeants & Présence digitale : est-elle désormais obligatoire ou toujours optionnelle ?

  1. Olivier Rivière  - 

    Article très intéressant car très fouillé. Un grand Bravo!

    Un point particulièrement intéressant est la nécessité de cartographier les acteurs avant de lancer un dirigeant dans le petit bain, souvent acide, des réseaux sociaux

    C’est un peu dommage de ne pas avoir exploré un autre point, celui que les comptes réseaux sociaux de dirigeants sont massivement gérés par des équipes de comms, et très souvent des agences. Cela introduit un filtre et l’harmonie agence – donneur d’ordre (en général le/la DirComm) – dirigeant n’est pas évidente à établir et maintenir.

    Enfin un troisième point, également intéressant, lorsque le dirigeant est lui-même très actif, en particulier sur Twitter, assurer l’alignement avec les reste des activités de communication peut s’avérer « intéressant », .. au sens britannique!

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