Marée noire : la communication de BP engluée
A mesure que les nappes de pétrole souillent massivement les eaux du Golfe du Mexique et les côtes américaines avoisinantes, les communicants de BP éprouvent autant de difficultés à replâtrer une image sérieusement engluée que ses ingénieurs en ont eu à obstruer la capricieuse fuite de la plateforme Deepwater Horizon. Depuis le 22 avril, la communication du géant pétrolier apparaît de plus en plus décalée et à contretemps des enjeux réels qui menacent l’entreprise, des questions soulevées par le corps social et des pélicans mazoutés.
Depuis l’explosion de Deepwater Horizon et ses milliers de barils de brut déversés dans le Golfe du Mexique, la communication de BP a de quoi laisser pantois la communauté des communicants. Bien que l’entreprise ait réussi à temporiser dans les premiers instants de la catastrophe en déclarant prestement qu’elle nettoiera les dégâts environnementaux et qu’elle paiera rubis sur l’ongle les préjudices causés aux populations locales, la communication du pétrolier britannique s’est ensuite encalaminé dans un hiatus croissant. Un hiatus devenu terriblement flagrant lorsque la marée noire a commencé à très concrètement lécher les rivages, envahir les bayous et mazouter les pélicans, symboles emblématiques et populaires de la Louisiane.
Tant que le pétrole s’écoulait dans les fonds sous-marins et dérivait dans les eaux profondes du Golfe du Mexique, la perception de la catastrophe restait en effet encore aléatoire même si les prédictions des spécialistes et l’expérience des marées noires précédentes laissaient présager du pire. Dans cette course contre la montre et l’avancée inexorable de la nappe, BP a d’abord tenté de jouer l’écran de fumée rassurant en exhibant son expertise technologique qui viendrait forcément bout de cette fuite récalcitrante.
Gros moyens hollywodiens pour « petite » catastrophe
BP n’a pas ménagé ses efforts pour focaliser le débat sur le challenge technique auquel étaient confrontés ses ingénieurs. Les interventions furent d’ailleurs présentées comme des feuilletons hollywoodiens et affublées de noms de code ronflants comme « Top Hat » ou encore « Top Kill » à l’instar des noms guerriers attribués aux opérations de l’armée américaine. Souvenez-vous des fameux « Desert Storm » ou « Restore Hope» !
Sur le site Web de BP dédié au suivi des tentatives de colmatage, l’entreprise ne lésine pas sur l’abondance des chiffres et des caractéristiques techniques relatifs au matériel engagé dans la bataille. L’ensemble est appuyé à grands renforts d’infographies, de schémas, de photos, de vidéos et de témoignages terrain tout en scénarisant à outrance chacune des interventions des équipes de secours.
Cette étonnante luxuriance de détails aurait pu être perçue comme un authentique effort de transparence et de responsabilité de BP face à la crise provoquée. En fait, elle va s’avérer être un terrible boomerang quand une vidéo diffusée par ABC révèle la vérité sur l’ampleur réelle de la fuite. L’opinion publique comprend alors que l’abondante communication de BP et sa présence incontournable sur le terrain procèdent en fait d’une manœuvre de diversion pour esquiver les véritables questions de fond (les failles dans la sécurité, la réduction des coûts à tout prix, la course à la rentabilité exacerbée sur le marché du pétrole). Le divorce sera d’autant plus accentué que le pétrolier admet du bout des lèvres et seulement 10 jours après le reportage d’ABC que la fuite est effectivement plus importante qu’annoncée initialement.
L’incantatoire n’y suffit plus
Un fait est révélateur du désaveu qu’enregistre la communication mise en place par BP. Le compte corporate de BP America sur Twitter revendique 12 540 abonnés (à date du 9 juin) tandis qu’Oil Spill 2010, le fil officiel de la catastrophe, enregistre un peu plus de 7300 suiveurs. Ces chiffres constituent pourtant une paille comparée au fil pastiche et baptisé ironiquement BPGlobalPR qu’un internaute moqueur se dissimulant sous le pseudo de Leroy Stick a concomitamment ouvert. A ce jour, 144 500 personnes se délectent des citations vachardes que l’internaute anonyme et son réseau grandissant de contributeurs balancent régulièrement sur BP et son fiasco patenté.
Dans une interview au site spécialisé Advertising Age, le trublion n’y va d’ailleurs pas par quatre chemins pour commenter l’attitude déplorable de BP. Il se paie même le luxe d’indiquer la voie à suivre : « S’ils voulaient rebâtir une bonne réputation, ils pourraient commencer par montrer le chemin en développant et utilisant des énergies propres et renouvelables. Ils devraient arrêter de se soucier de leur réputation et commencer à se préoccuper de leurs vrais problèmes. Plus personne n’aime BP désormais. Il est donc inutile d’essayer de nous convaincre ».
Pourtant, BP semble demeurer aveugle et sourd. A total contretemps des révélations assassines qui remontent à la surface, des récriminations du corps social qui s’amoncellent et des enquêtes gouvernementales qui se fomentent sans parler des procédures judiciaires qui ne vont pas tarder à se déclencher.
Au lieu d’adopter un profil bas, commencer humblement et honnêtement à reconnaître les faits et prendre des mesures radicales, BP choisit alors d’adopter le registre de la contrition. Dès le 3 juin, la compagnie pétrolière consacre 50 millions de dollars dans la diffusion d’un spot télévisé où Tony Hayward s’excuse, jure grands dieux que pareille catastrophe ne se reproduira plus et remercie le gouvernement pour son support. La campagne est également déclinée sur les radios, dans les journaux de la région et même sur une pleine page du New York Times.
Un discours aux accents sincères mais qui sonne étrangement creux tellement l’entreprise semble sur une autre planète. Comme si un simple mea culpa vidéo pouvait effacer six semaines de désastre écologique et économique. Un sondage publié le 11 mai par Pew Research Center aurait dû pourtant alerter les dirigeants de BP. A cette date, 63% des Américains interrogés estimaient déjà la réponse de BP à la marée noire entre « à peine passable » et « nulle ».
Au secours, Google, Yahoo, Bing !
Loin d’obtenir l’absolution du corps social et politique, la résipiscence médiatique de BP crispe encore plus les parties prenantes. Barack Obama estime de manière cinglante que l’entreprise ferait mieux de consacrer son argent à nettoyer l’environnement saccagé et indemniser les pêcheurs et les petites entreprises qui ont tout perdu dans la catastrophe. Du côté de l’opinion publique, les attaques redoublent. Les concours de détournement de logos de l’entreprise n’en finissent plus d’essaimer sur le Web (le site Flickr recèle d’ailleurs quelques échantillons très révélateurs de l’irritation forte suscitée par BP). Sur Facebook, des manifestants se préparent à un gigantesque jour de protestation mondiale contre BP le 12 juin prochain.
Pourtant, BP n’en démord pas. Malgré le vacarme des protestations et l’avalanche des critiques, ses communicants maintiennent le cap et s’obstinent à faire absolument entendre la version de l’entreprise sur la marée noire. Comme si la citation de l’animateur du fil factice BPGlobalPR ne comptait nullement.
Dans un contexte où le Web est devenu une arène défouloir, l’entreprise décide alors d’acheter des liens sponsorisés sur les principaux moteurs de recherche, Google, Yahoo et Bing en tête.
Le pétrolier achète ainsi des mots clés tels que « oil spill », « gulf disaster », « BP ». Objectif : orienter en priorité les internautes vers les pages officielles du site de BP et leur donner une autre vision de la catastrophe.
Même si l’on peut comprendre le souci de l’entreprise, la démarche apparaît néanmoins maladroite, voire déplacée alors même que les révélations sur les négligences de BP ne cessent de fleurir et que les premiers oiseaux mazoutés envahissent les pages des magazines et les écrans de télévision. L’information filtre rapidement et le 5 juin, Tony Odone, le porte-parole de BP reconnaît sur ABC News que l’entreprise paie en effet des mots clés pour amener les internautes sur les contenus édités par BP.
Les liens sponsorisés ont aujourd’hui discrètement disparu de Google, Yahoo, Bing et consorts lorsque les mots clés en question sont tapés. Les requêtes proposent à la place des articles de presse sans particulièrement mettre en avant les contenus de BP. Trop tard malgré tout. Le mal est fait. A force de raisonner tactiquement pour faire porter sa voix, la communication de BP a oublié une dimension essentielle : la perception du public générée par ce type d’action et la connotation peu éthique qui lui est associée
Tony Hayward, ennemi public n°1 ?
L’autre incarnation du décalage flagrant et persistant de la communication de BP n’est autre que son PDG, Tony Hayward. Déjà sévèrement tancé par tous les observateurs pour son impuissance à juguler une situation critique en dépit de ses promesses initiales, l’ancien géologue est à l’aune de la communication de son entreprise. Ainsi, le 1er juin, il déclare tout de go à une caméra de télévision qui le suit lors d’une visite terrain en Louisiane : « Je suis désolé. Nous sommes désolés pour la perturbation majeure que cela a provoqué dans leurs vies. Personne d’autre plus que moi ne veut autant voir tout cela fini. J’aimerais pouvoir revenir à ma vie d’avant ». Les familles des 11 victimes et les pêcheurs locaux s’étranglent devant ce nombrilisme plaintif qu’ils jugent indécent par rapport aux impacts socio-économiques de l’explosion de Deepwater Horizon.
L’omniprésence médiatique de Tony Hayward et sa propension à un discours peu adapté aux circonstances et aux attentes sont clairement devenus une faiblesse dans la stratégie de communication de BP. Aujourd’hui, Tony Hayward est quasiment perçu comme l’ennemi public n°1 en Louisiane à tel point que les appels à la démission se multiplient à l’instar de celui-ci paru le 7 juin : « BP n’a pas besoin d’un ingénieur à sa tête mais d’un leader (…) Le PDG Tony Hayward a eu plus de six semaines pour faire la démonstration de son leadership. Pourtant, la situation ne cesse d’empirer, les dommages s’aggravent dans le Golfe et l’action en bourse de BP enregistre une gigantesque dégringolade de 35 ».
Ces commentaires acerbes n’émanent pas d’un activiste vindicatif mais d’un blog de la très sérieuse revue américaine, Harvard Business Review. L’intégralité de l’article est un réquisitoire chirurgical implacable. Sans ambages, il parle d’échec intégral du management de l’entreprise et de Tony Hayward en particulier. La conclusion est sans appel à l’égard du patron de BP : « Il devrait être assez intelligent pour démissionner avant d’être viré (…) La situation est gravement explosive avec des urgences à court terme et des conséquences à long terme. Le problème n’est plus un problème de RP ».
Conclusion : Tony et les pélicans bruns
Aujourd’hui, la communication de BP est de toute évidence dans l’impasse la plus absolue et son PDG est devenu son handicap le plus lourd pour prêcher la bonne foi de l’entreprise. Il faut en effet se souvenir que c’est le même Tony Hayward qui a imposé en 2009 des réductions budgétaires drastiques impactant les projets engagés dans les énergies renouvelables et privilégiant ainsi l’approche pétrolière pure et dure, à contre-courant du concept de « Beyond Petroleum » affiché jusque-là. Autant dire que les 125 millions de dollars dépensés annuellement depuis 2000 pour imposer « Beyond Petroleum » comme la marque distinctive de BP parmi les « Big Oil », ont été dépensés en pure perte. La promesse séduisante d’antan relève désormais plus du greenwashing que de l’accomplissement d’une vision d’entreprise.
C’est ensuite et encore le même Tony Hayward qui a exigé des coups de canif dans les dépenses en matière de sécurité sur les sites d’extraction pétrolifère. Coups de canifs qui ont conduit aux défaillances des systèmes de sécurité de la plateforme Deepwater Horizon. A la lumière de ces paradoxes, on comprend dès lors mieux pourquoi BP s’est vite réfugié derrière son arsenal technologique pour boucher cette fichue fuite et essayer d’évacuer de pressantes remises en question.
Mais à l’heure actuelle, il est un combat d’image où BP a définitivement tout à perdre. Plus que sa capitalisation boursière qui a fondu comme neige au soleil et qui met l’entreprise à la merci d’un raid financier, c’est le pélican brun qui est désormais le pire cauchemar des communicants de BP. Oiseau fétiche et symbolique de la Louisiane et récemment retiré de la liste des espèces menacées, il est à nouveau en danger d’extinction avec la marée noire.
L’association militante américaine Moveon a bien compris la portée et l’impact des photos de pélicans au ramage englué et en train d’agoniser dans les sanctuaires souillés des parcs naturels de Louisiane. Elle les a largement distribuées tandis que BP s’évertue à montrer l’envers du décor avec des pélicans soignés par les sauveteurs. Le combat est perdu d’avance. Un pélican mazouté sera toujours plus fort qu’un Tony Hayward flagellé.
La seule issue encore envisageable pour sauver ce qui peut l’être, réside très probablement dans un acte au moins aussi fort et marquant que le pélican mazouté : un changement de casting à la tête de BP. Au regard des récentes déclarations de Tony Hayward sur la BBC le 6 juin, l’envol de son siège de PDG ne semble pas au programme : « Nous allons nettoyer et réparer les dégâts causés à l’environnement et remettre le golfe dans l’état où il était. Nous serons encore là, longtemps après le départ des médias ». Pour qui seront les plumes et le goudron : Tony ou le pélican brun ?
Pour en savoir plus
– L’article de Rosabeth Moss Kanter sur son blog du site Harvard Business Review – « BP’s Tony Hayward and the failure of leadership accountability » – 7 juin 2010
– L’article d’Associated Press sur la campagne publicitaire de BP – « Apologetic BP ads get criticism, not sympathy » – 6 juin 2010
– L’article de Wood Turner sur le site Greenbiz.com – « BP : The Gulf between greenwashed image and reality » – 21 mai 2010
– L’intégralité de l’étude du Pew Research Center sur BP et la marée noire – « Oil Spill seens as ecological disaster : government, BP responses faulted » – 11 mai 2010