Note de lecture : La décennie décadente du foot français de Bruno Godard et Jérôme Jessel

A l’issue de la calamiteuse prestation de l’équipe de France lors de l’Euro 2012, l’enquête des deux journalistes indépendants apporte un brillantissime éclairage sur les ressorts déliquescents du football tricolore qui sont à l’œuvre depuis 10 ans et qui ont préfiguré le désastre récent.

En plus d’être une enquête explorant sans concession tous les recoins des placards nauséabonds du ballon rond français, l’ouvrage constitue en parallèle une mine d’enseignements très concrets qu’aucun pontifiant manuel de management, ni roboratif vade-mecum de communication de crise ne sauraient égaler. Les multiples épisodes décortiqués sont autant de cas d’étude riches en réflexion pour les communicants et les managers afin d’éviter ce type de Bérézina médiatico-sportive dans laquelle se sont engoncés les acteurs du football français.

Ce que j’ai aimé

Un ouvrage sans concessions qui décrypte l’engrenage décadent du foot français

De tous les livres que j’ai pus lire sur les échouages à répétition de l’équipe de France depuis sa glorieuse période des années 1996-2000, celui-ci est indéniablement le plus instructif même s’il s’arrête à la veille de l’Euro 2012. Sans parti-pris mais avec un regard pointu, Bruno Godard et Jérôme Jessel retracent la lente putréfaction des Bleus qu’une courte mais fallacieuse embellie lors de la finale de la Coupe du Monde 2006 avait un temps estompée. Leur récit n’en prend que plus de valeur quand on connaît l’issue finale de la participation tricolore en Ukraine.

Si les faits narrés sont déjà globalement connus des aficionados du ballon rond,  leur contextualisation et leur mise en perspective par les deux journalistes sont en revanche remarquables. A la lecture de cette passionnante enquête, on comprend l’inéluctable décomposition managériale, sportive et morale que les différents acteurs n’ont cessé d’alimenter. Mais plus hallucinant encore est l’aveuglement individualiste des uns et des autres qui refusent tous de voir la faillite se profiler, d’assumer les responsabilités respectives qui s’imposaient et de s’adonner à une débauche de coups bas et de manipulations médiatiques pour sauver leurs petites personnes.

En termes de leçon de management, le livre est une véritable compilation de toutes les erreurs qu’il convient d’éviter lorsqu’on dirige une entreprise, une institution ou une équipe. Sur ce point, on peut dire que les protagonistes ont accumulé d’invraisemblables incohérences. Tout d’abord à la tête de la Fédération française de football (FFF), Claude Simonet, Jean-Pierre Escalettes, Fernand Duchaussoy apparaissent tous comme des présidents laxistes, souvent dépassés et plus soucieux de préserver leurs prébendes que de réformer les structures du football français et son navire amiral qu’est l’équipe de France.

A cet égard, il faut absolument savourer le passage contant l’irruption quasi irréelle de Roselyne Bachelot, alors ministre de la Santé, des Sports et de la Jeunesse, dans l’hôtel des Bleus pendant la Coupe du Monde 2010 en Afrique du Sud. On y voit des joueurs séditieux et livrés à eux-mêmes, un sélectionneur incompétent et totalement décrédibilisé et un président de la FFF carrément paumé et un brin obsolète. La ministre prend alors les choses en main, organisant conciliabule sur conciliabule entre les impétrants pour tenter d’éviter le naufrage qui s’annonce. Pendant quelques jours, c’est carrément Roselyne Bachelot qui prend les rênes du football français !

Ce que j’ai moins aimé

Le mythe Zidane n’est que légèrement égratigné dans l’ouvrage

Très honnêtement, il faut fouiner pour trouver quelques critiques à cet ouvrage qui décrit par ailleurs excellemment bien les enjeux d’image entre les médias, les sponsors, les joueurs, les coachs, la FFF mais aussi les entourages (notamment les agents de joueurs).

Enjeux où chacun joue sa partition médiatique pour tenter d’intoxiquer l’autre et prendre l’ascendant. Enjeux où les joueurs sont loin d’être les derniers à calculer leurs coups comme ils distillent leurs passes sur le terrain.

A ce jeu, Thierry Henry ressort comme un orfèvre en la matière. Ayant toujours eu des rapports compliqués avec Zinedine Zidane, il se réjouit lorsque le prodigieux n°10 annonce son retrait de la sélection à la fin de l’Euro 2004. Sauf que ses ambitions vont être contrecarrées un an plus tard par un magistral plan de communication orchestré de concert par TF1, L’Equipe et les proches de Zizou pour qu’il revête à nouveau la tunique bleue frappée du coq. L’exercice de rétropédalage rhétorique du meilleur buteur de l’équipe de France est particulièrement exquis !

Néanmoins, l’icône Zidane demeure plutôt préservée par les deux journalistes. Il semble qu’encore aujourd’hui, oser émettre un commentaire critique à l’égard du magicien Zizou soit encore un exercice où l’on ne s’aventure que très peu. Les deux auteurs sont certes gentiment ironiques envers Zidane lorsque ce dernier explique son  envie de retour par une voix qui lui aurait parlé. En revanche, ils ne s’étendent guère sur l’épisode du coup de boule contre l’italien Materazzi. Geste pardonné par quasiment toute la nation excepté un édito offusqué de l’Equipe. Or, cette absolution n’est pas sans lien avec les insultes et les comportements de « bad boys » qui s’ensuivront avec d’autres joueurs. C’est dommage qu’ils n’aient pas un peu plus creusé cet élément.

Le passage à ne pas manquer

Même si elle est trop brève à mon goût, l’évocation du coup de tête de Zinedine Zidane en finale de la Coupe du Monde et des réactions suscitées en dit long sur une certaine omerta footballistique, médiatique et sociétale lorsqu’il s’agit du mythe Zizou (page 166-167) :

« Le public l’a déjà pardonné. A commencer par Jacques Chirac. Au lendemain de la terrible défaite de Berlin, le président de la République accueille Zidane à bras ouverts à l’Elysée et lui adresse une véritable déclaration d’amour : « Vous êtes un homme de cœur, d’engagement, de conviction ». Comme quoi l’indulgence accueillant l’épisode du « coup de boule » traduit l’immunité dont il bénéficie. Personne n’ose émettre de critique. Seul le journal L’Equipe osera briser ce bel unanimisme. Grosse colère : « Zinedine, savez-vous que le plus difficile ce matin n’est pas d’essayer de comprendre pourquoi les Bleus, vos Bleus, ont perdu, hier soir, une finale de Coupe du Monde à leur portée. Mais d’expliquer à des dizaines de millions d’enfants à travers le monde comment vous avez pu vous laisser aller à asséner ce coup de tête ».

Fureur de Franck Riboud, le patron de Danone, l’un des principaux sponsors de Zidane … et annonceurs de la presse en découvrant l’article. Si bien que, le lendemain, Claude Droussent, alors directeur de la rédaction de L’Equipe, présente ses excuses. En page intérieure, une pub Danone montre un Zidane agenouillé devant un enfant. Image christique ».

Le pitch de l’éditeur

Bruno Godard et Jérôme Jessel – La décennie décadente du foot français – 2002/2012 : enquête au cœur des Bleus – Flammarion – 334 pages – 19,90 €

Dix ans les « yeux dans les Bleus », sans trucage ni montage : voici une enquête implacable sur la décennie décadente du foot français. L’étoile du maillot de l’équipe de France de football ne brille plus depuis dix ans. Pourquoi ? Pourquoi, de la pathétique Coupe du monde 2002 en Corée au bus de la honte en Afrique du Sud, a-t-on connu une telle descente aux enfers ? Trop d’argent ? Trop de pressions ? Ce livre répond à toutes vos interrogations.

Vous découvrirez avec effroi que la nomination d’un sélectionneur ne tient pas forcément à ses compétences. Vous plongerez dans un univers de milliardaires dirigés par des amateurs. Vous comprendrez pourquoi Franck Ribéry et Yoann Gourcuff se détestent. Vous apprendrez que le racisme plane sur le foot hexagonal. Vous avancerez sur les traces de la taupe qui a trahi le groupe en 2010 et lirez, avec stupeur, que Nicolas Anelka avait déjà insulté son coach deux ans plus tôt. Ce livre lève aussi le voile sur d’autres aspects sombres du plus populaire des sports : cupidité, luttes de pouvoir, dopage, homophobie, dérapages sexuels? Une liste noire qui souille le maillot bleu.

Les auteurs

Jérôme Jessel

Bruno Godard, 41 ans, est ancien rédacteur en chef société de Rolling Stone et du mensuel de football Grand Stade. Auteur de plusieurs précédents ouvrages sur le foot, il est aujourd’hui auteur et journaliste indépendant pour la presse magazine.

 

Tout aussi expérimenté sur le sujet, Jérôme Jessel, 38 ans, a été grand reporter à VSD durant dix ans. Il est aujourd’hui journaliste indépendant et scénariste. Il a déjà publié avec succès trois autres livres sur les dérives du football : Sexus Footballisticus, Sexe Football Club, et La Face cachée du foot business.

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