Transport aérien & médias sociaux : y a-t-il un passager twittos dans l’avion ?

Et si le passager lamba d’un avion se transformait en commentateur impitoyable de son expérience aérienne sur les réseaux sociaux ? Depuis le 22 mai, c’est une réalité que propose une initiative originale baptisée « Plane of Shame/Plane of Fame ». Enjeu : recueillir les sentiments « instantanés » des voyageurs pour optimiser les prestations fournies par les compagnies aériennes. Mieux que le questionnaire à bord qui atterrit souvent nulle part, chaque consommateur pourra donner et amplifier un écho positif ou négatif au sujet de son passage en cabine à l’ensemble de la communauté. Explications.

Qui d’entre nous n’a jamais expérimenté un vol désastreux où la console vidéo ne fonctionne pas, où le personnel navigant joue à l’adjudant irascible, où le plateau repas est proche du carton-pâte indigeste, où le siège porte encore les stigmates du passager précédent ? Avec l’intense bataille commerciale que se livrent grands noms de l’aérien et trublions du « low cost », ces saynètes ont parfois tendance à se multiplier au détriment du confort du passager. C’est ce constat pas toujours folichon qui a conduit un professionnel de l’industrie du transport et un expert des médias sociaux à lancer l’opération « Plane of Shame/Plane of Fame ». Attachez vos ceintures et armez vos tweets !

Passenger is speaking !

Gloire ou honte ? A vous de choisir votre vol !

Les deux impétrants à l’origine de l’initiative sont de fins connaisseurs du transport aérien. Le premier est l’élément déclencheur. Il est sud-africain et s’appelle Addison Schonland. Fort de plus de 20 ans d’expérience, il est président et fondateur depuis 2003 d’IAG (Innovation Analysis Group), un cabinet de conseil et d’information spécialisé dans le secteur de l’industrie aérienne. A cet égard, il scrute de très près les tendances du secteur. L’une d’elles capte particulièrement son attention dans la concurrence féroce qu’entretiennent les compagnies aériennes entre elles : l’expérience consommateur du passager. Les vols sont financièrement de plus en plus accessibles mais ne correspondent pas toujours à des niveaux de services impeccables.

C’est cet état de fait énervant à ses yeux qui a incité Addison Schonland à lancer le 22 mai dernier, une opération originale à l’intention des passagers. Dans un billet publié sur son blog, il explique sa démarche (1) : « La consolidation aérienne vous préoccupe ? Devinez quoi, vous avez toujours le pouvoir en tant que passager. Tout ce que vous avez à faire est de vous munir de votre téléphone mobile et prendre des photos de choses qui vous rendent fous ou contents lorsque vous effectuez un vol. Ensuite, téléchargez l’image sur Twitter, Instagram ou Pinterest avec l’un de ces deux hashtags : #planeoffame ou #planeofshame. Ajoutez la date et votre numéro de vol. Une image vaut 1000 mots ! ».

C’est là qu’intervient le deuxième larron de l’histoire : Robert Vinet. Spécialiste de l’exploitation des données marketing sur les médias sociaux, l’homme compte 25 ans d’expérience. En 2010, il créé avec Arnaud Bilquez, Social Media Datalab, une agence spécialement dédiée à la veille, au recueil et à l’analyse des messages laissés par les consommateurs sur les réseaux sociaux. C’est dans cette optique que son entreprise met au point Eezeer Data Lab, un service de « business intelligence » qui permet de traiter des milliers de commentaires en temps réel sur Twitter et Facebook concernant les compagnies aériennes, les hôtels et les aéroports dans le monde entier.

Vers un nouveau plan de vol ?

Les compagnies aériennes cherchent à retrouver le contact direct avec le consommateur

C’est à travers Eezeer qu’Addison Schonland et Robert Vinet sont amenés à se croiser et à travailler ensemble pour toujours mieux décrypter et interpréter le sentiment des consommateurs dans l’univers du voyage et du transport aérien. Aujourd’hui, la base de données d’Eezeer héberge 35 millions de messages (2) qui permettent aux acteurs du secteur d’avoir une prise de température immédiate de la perception de leurs clients sur leurs produits et leurs services. Depuis 2011, est également édité un classement mensuel des compagnies aériennes sur Twitter issu de cette incomparable base de données.

L’opération « Plane of Shame/Plane of Fame » s’est donc avérée être un prolongement naturel du travail accompli jusqu’à présent par les deux hommes et leurs équipes comme le précise Robert Vinet (3) : « Commercialisées par des circuits indirects, les compagnies aériennes entendent entreprendre une reconquête du contact direct avec les clients. La place des médias sociaux dans ce cadre est un outil important. Le monitoring et l’analyse des tweets échangés entre consommateurs et compagnies aériennes est une source d’une richesse très importante pour avoir des sentiments « instantanés » de la perception de leur expérience ».

Depuis deux semaines, près de 1200 internautes se sont déjà abonnés au fil Twitter de « Plane of Shame/Plane of Fame » et 250 ont adopté le tableau Pinterest éponyme pour poster les clichés ravis ou mécontents de leurs expériences en avion de ligne. Robert Vinet commente (4) : « Le principal moteur qui a amené la création de cette expérience est celui du plaisir, de notre plaisir de voyageurs. Le plaisir de récupérer des réactions en direct. La simplicité des médias sociaux est de plus en plus utilisée par les consommateurs ».

Le consommateur est dans le cockpit

Cliché pris sur un vol Delta Airlines et déposé sur Pinterest

Il est évidemment encore trop tôt pour envisager de déjà dresser un premier bilan de l’opération. Celle-ci doit continuer à gagner en ampleur et en visibilité, faire connaître les hashtags dédiés pour rassembler et mobiliser le plus grand nombre possible d’usagers des transports aériens. Toutefois, Addison Schonland et Robert Vinet ne s’inscrivent pas dans une démarche de « brand bashing » mais véritablement dans l’esprit de faire progresser la qualité des prestations à bord des vols. Robert Vinet est très clair sur ce point (5) : « A terme, quand les volumes de tweets deviendront intéressants, ils feront l’objet d’illustrations visuelles sous forme d’infographies. Du côté des compagnies aériennes, il sera possible d’accéder à ces informations, voire de pouvoir intervenir directement avec les consommateurs pour traiter les problèmes qui sont remontés. Voire également d’être content d’apparaître comme une expérience de #planeoffame ! ».

L’idée a en tout cas déjà rencontré un écho favorable auprès de blogueurs experts du domaine aérien comme Roman qui tient « Air Observer », un blog très informé sur les coulisses du secteur (qui m’a d’ailleurs signalé cette information !). Autre blogueur à avoir salué le projet d’Addison Schonland et Robert Vinet : Miquel Ros qui anime le blog pointu « Allplane ». Dans un récent billet, il salue l’approche entreprise (6) : « Promouvoir ces tags pour recueillir l’opinion des voyageurs (positive et négative) apparaît juste comme une extension logique des études de mesure des médias sociaux d’Eezeer (…). Alors, la prochaine fois que vous voyagez, que vous ayez un vol fantastique ou une mauvaise expérience, vous savez qu’il existe un endroit pour le signaler ! ».

Conclusion – Plus rien ne sera comme avant

Un blog mène la chasse aux abus de Ryanair

A la lumière de cette intéressante et très louable initiative, une tendance lourde se profile pour les compagnies aériennes. Se défiler ou faire la sourde oreille à l’égard de ses clients passagers sera désormais un jeu réputationnel dangereux à moyen terme. Si jusqu’à présent, il est encore possible de miser sur le découragement de clients mécontents ou de les perdre dans les arcanes de requêtes sans fin, la tactique est inexorablement vouée à disparaître.

Cette remarque s’applique d’ailleurs également à la gestion des employés et des personnels navigants. Depuis 2011, un Britannique du nom de Joseph John Foley, natif de Liverpool, a ainsi entrepris de dénoncer les conditions de travail abusives et irrespectueuses de Ryanair en alimentant sans discontinuer un blog et un compte Twitter sur les dérives à répétition de la compagnie du fantasque Michael O’Leary.

S’il pouvait encore jusqu’à récemment apparaître comme un néologisme aléatoire, le terme de « consom’acteur » est maintenant indubitablement appelé à s’installer durablement dans le paysage. Une évolution que les acteurs de l’aérien ne peuvent plus passer sous silence selon Robert Vinet (7) : « Comme dans toutes les industries, il est tentant pour les compagnies aériennes de vouloir contrôler mais cela s’avère impossible. Reste la solution d’accompagner. C’est le choix que beaucoup de compagnies ont fait ». Et qui devrait inspirer beaucoup d’autres domaines d’activités, serait-on tenté d’ajouter en guise de conclusion !

Sources

– (1) – Addison Schonland – « It’s been a while » – Blog IAG – 22 mai 2013
– (2) – Site corporate de Social Media Data Lab
– (3) – Correspondance électronique avec l’auteur – 9 juin 2013
– (4) – Ibid.
– (5) – Ibid.
– (6) – Miquel Ros – « Is your next flight going to be be on a #planeofshame or #planeoffame ? » – Blog Allplane – 3 juin 2013
– (7) – Correspondance électronique avec l’auteur – 9 juin 2013