Le fact-checking est-il l’avenir des médias, des réseaux sociaux et de la communication ?

Rumeurs, contre-vérités, mensonges, distorsion des faits et autres joyeusetés n’en finissent plus d’inonder l’agora médiatique et la sociosphère. A coups d’affirmations pleines d’aplomb, de tweets à répétition et de chaînes de partage de contenus, chacun assène sa vérité pour mieux pilonner l’autre, quitte à s’arranger avec la véracité. Avec la consécration du temps réel numérique, la prise de recul et le recoupement des informations deviennent des exercices d’une incroyable complexité pour le journaliste comme pour le citoyen ou l’entreprise. Et si le « fact-checking » constituait une piste pour limiter les bobards et intoxs en tout genre ? Tour d’horizon d’un phénomène en pleine expansion.

C’est une petite brève parue sur le site spécialisé Presse News qui le dit (1). En février 2014, un pureplayer entièrement dédié au fact-checking de l’actualité devrait se lancer sur le marché français. Lancé par Jean-Charles Simon, administrateur de la régie publicitaire Hi-Media, le site baptisé Factamedia.com entend passer au peigne fin de la vérification, les informations politiques, économiques et internationales grâce à une rédaction composée d’une dizaine de journalistes. Il comportera en outre une partie collaborative où les internautes férus d’actualité pourront aussi déposer des contributions. Le fact-checking (ou littéralement vérification des faits) est-il vraiment en train de devenir un genre éditorial majeur dans l’écosystème médiatique et social ?

Une naissance en réaction à un mensonge

Le fact-checking a d'abord été consacré aux USA

Le fact-checking a d’abord été consacré aux USA

En soi, le fact-checking est consubstantiel au journalisme depuis qu’il existe. C’est toutefois à l’orée de l’année 2004 que cette technique journalistique va connaître un regain d’intérêt jusqu’à devenir un genre à part entière. A cette époque, les Etats-Unis, médias en tête, viennent de découvrir l’ampleur des mensonges opérés par l’administration Bush pour justifier une intervention militaire en Irak visant à destituer le dictateur Saddam Hussein. C’est dans un contexte de défiance accrue que vont par conséquent se forger les premiers pas du fact-checking.

Le pionnier en la matière est le site FactCheck.org. Affilié au Centre de politique publique de l’Université de Pennsylvanie et sous la houlette d’un ex- de la chaîne d’info CNN, Brooks Jackson, le site entend corriger les erreurs des acteurs de la scène politique américaine et enrayer les rumeurs qui ne manquent pas d’essaimer à mesure que l’échéance présidentielle de 2008 s’approche. C’est d’ailleurs lors de cet événement que le site va obtenir ses lettres de noblesses en mettant en lumière un certain nombre de faits occultés par l’équipe de campagne du parti Républicain. Michael Dobbs, lui-même fact-checker au Washington Post, explique cette genèse (2) par le fait que « le journalisme américain s’était cantonné à une fausse objectivité qui consiste à donner la parole à chacun et à s’en laver les mains ».

Dans la foulée de FactCheck.org, d’autres sites similaires ont vu le jour comme PolitiFact.com, une émanation créée en 2007 par le quotidien régional Tampa Bay Times. Le site décrochera d’ailleurs en 2009 le prix Pulitzer du reportage national pour avoir passé au crible 750 affirmations issues de la campagne présidentielle de l’année précédente entre Barack Obama et John McCain. Depuis, le succès ne s’est jamais démenti et le fact-checking s’est sans cesse perfectionné. En septembre 2013, le Washington Post a ainsi annoncé la naissance d’un algorithme de vérification de l’information scrutant en temps réel la parole des politiciens. Intitulé « Truth Teller », l’application encore en version bêta est couplée à une vidéo d’un discours d’un décideur politique. Elle indique au fur et à mesure si telle ou telle assertion est juste ou fausse, l’ensemble s’appuyant sur une robuste base de données enrichie régulièrement par les journalistes du célèbre quotidien.

La France se pique aussi au jeu

Le Véritomètre fut actif pendant la présidentielle 2012 en France

Le Véritomètre fut actif pendant la présidentielle 2012 en France

Dans l’Hexagone, c’est en 2008 que démarrent les premières initiatives structurées en matière de fact-checking. Face à un président de la République, Nicolas Sarkozy qui a fait de l’agenda médiatique une véritable machine de guerre communicante où s’enchaînent les annonces à une cadence infernale, plusieurs médias investissent dans ce scanner journalistique. Aux côtés du précurseur « Arrêt sur Images » devenu site Web en 2008, se lance le blog Désintox sous la houlette du quotidien Libération. Quelque temps plus tard, le blog des Décodeurs sous la bannière du Monde s’attaque à son tour au fact-checking en parallèle de deux chroniques radio dédiées avec le Vrai/Faux de l’info sur Europe 1 et le Vrai du Faux sur France Info. Tous traquent les petites phrases et les grands chiffres jetés en pâture par les acteurs de l’actualité du moment. Le résultat est souvent édifiant tant les approximations, les sophismes et les exagérations ne manquent guère.

Aujourd’hui, la plupart des médias disposent a minima d’une rubrique qui s’attache à vérifier et à croiser les arguments qui font irruption dans le débat public. Grâce notamment à l’apport de nouvelles sources comme des blogueurs experts mais également l’implacable mémoire documentaire du Web, il devient plus aisé de dénicher les petits et grands arrangements avec la véracité des faits. Jim Jarrassé, journaliste politique au Figaro.fr confirme l’intérêt de cette approche (3) : « Avec le web, on se contente de moins en moins de la simple parole des politiques. Maintenant, on favorise les faits et leurs vérifications bien plus que le journalisme politique des réseaux et de connivence ». Une évolution que soutient pleinement Elaine Cobbes, correspondante de CBS News à Paris (4) : « Le fact-checking dans la présidentielle va peut-être apporter un peu moins de langue de bois. Vous les Français, vous êtes beaucoup trop gentils avec les politiques. Il y a une sorte de respect mal placé ».

Les résultats semblent en tout cas être globalement au rendez-vous des investigations des fact-checkers. Journaliste au Monde, Samuel Laurent constate (5) : « Depuis deux ans, on trouve moins de déclarations comprenant des chiffres complètement fantaisistes ou inexistants dans les discours des politiques. Je pense qu’à force de se faire prendre, ils se sont dits qu’ils allaient arrêter ce type de communication ». Pour d’autres en revanche, l’avis est plus nuancé, voire encore chagrin tant le recours au fact-checking (relativement gourmand en termes de ressources humaines) demeure marginal.

Quelles perspectives pour l’information ?

FC - dessinCertains journalistes et communicants restent dubitatifs devant cette émergence malgré tout prononcée du fact-checking. Président de l’agence Vae Solis Corporate, Arnaud Dupui-Castérès n’y va d’ailleurs pas de main morte. Son jugement est sans appel (6) : « Il existe aujourd’hui une défiance incroyable des citoyens envers les politiques. Le fact-checking contribue à remettre en cause et à détruire leur autorité et leur crédibilité. J’y vois un délitement du système démocratique ».

Sans pour autant être aussi comminatoire, il est vrai que le fact-checking pratiqué avec une philosophie d’ayatollah peut en effet vite dériver vers une sorte de décodage binaire où les choses ne se résument pourtant pas au simple axiome vrai-faux. C’est notamment le cas en ce qui concerne les chiffres et les statistiques qui prises sous tel ou tel angle et dans tel ou tel contexte, peuvent signifier tout et son contraire.

Néanmoins, il apparaît bien léger de vouloir balayer d’un revers de main ce traitement journalistique. Dans un contexte sociétal où la suspicion affleure particulièrement et où les émotions prennent vite le pas sur toute autre considération, le fact-checking constitue une intéressante prise de recul pour s’efforcer d’objectiver et de rationaliser au maximum des débats épidermiques. Pourtant particulièrement contestée et suspecte aux yeux de beaucoup, l’industrie pharmaceutique n’a pas hésité à sauter le pas. Depuis janvier 2012, le Leem (syndicat professionnel des industries du médicament) a mis en ligne un site de fact-checking relatif à son secteur d’activités pour battre en brèche certains préjugés à l’encontre des laboratoires et des croyances médicales. Directeur de la communication du Leem, Eric de Branche explique (7) : « C’est très utile pour combattre les idées reçues sur des sujets complexes, très techniques et facilement mal interprétés ».

Autre terrain peut-être plus inattendu où le fact-checking s’étend : les plateformes collaboratives. En Italie, une initiative mérite vraiment d’être suivie : « Fact Checking – la verifica della notizia ». Lancée par Civic Links, une start-up proposant des plateformes d’agrégation, le site propose aux internautes de soumettre des informations pour vérification, de proposer des sources fiables et de partager les résultats obtenus avec la communauté. Ensuite, plus un contributeur est sérieux, plus il acquiert des points et devient à son tour un « fact-checker » estampillé ! Dans un autre registre, on trouve en France, une autre jeune pousse éprise de fact-checking : Trooclick. Cette fois-ci, le service recourt au big data grâce à une application faisant appel à l’intelligence artificielle. Moyennant un abonnement modique, le site se définit comme un service automatisé de vérification de la fiabilité des informations économiques et financières diffusées sur Internet. A terme, il sera couplé avec les réseaux sociaux.

Conclusion – Oui, le fact-checking est bénéfique !

A quand un débat avec du fact-checking live intégré à l'émission ?

A quand un débat avec du fact-checking live intégré à l’émission ?

Quelle que soit la forme que revêt désormais le fact-checking, l’engouement actuel est révélateur d’une tendance forte : l’exigence de fiabilité et de véracité de la part de tout acteur qui s’exprime auprès de ses publics. Assez étonnamment, on peut noter que les chaînes de télévision ne sont pas forcément les plus proactives dans ce domaine. Il existe certes quelques incursions du côté de la social TV où les internautes peuvent commenter en direct un programme de divertissement ou d’information. En revanche, aucune émission de débat ne propose d’adjoindre en direct un fil de fact-checking qui analyserait en temps quasi immédiat les chiffres et affirmations prononcés par des invités en plateau.

Consultant expert des médias, Erwann Gaucher le déplorait à juste titre dans un récent billet publié sur son blog. Selon lui, le fact-checking ne doit pas relever d’un second écran à l’instar d’un fil Twitter où les téléspectateurs s’expriment. Il doit être assuré par un journaliste capable de croiser des sources et d’aller ensuite les confronter devant l’orateur. Le jour où effectivement, une émission d’information ou un talk-show osera intégrer un tel concept, il est évident que le succès sera au rendez-vous. Y compris pour la personnalité sur le gril tant elle pourra apporter la preuve (ou pas !) de la crédibilité de son propos.

De même pour les entreprises et les institutions, le fact-checking est une option éminemment valable. Naturellement et quotidiennement, celles-ci fabriquent, brassent et diffusent des données sur divers sujets pour le bon fonctionnement de leurs propres activités. Il suffirait d’en extraire les plus pertinentes pour désamorcer certaines polémiques stériles ou contre-vérités souvent brandies sans vergogne par des associations ou des opposants de mauvaise foi. Ces données seraient d’autant plus valides qu’elles sont généralement vérifiées par des cabinets d’audit, de standardisation et de comptabilité avec lesquels il n’est pas vraiment question de filouter ! Cela aurait de surcroît le mérite d’extirper le discours des dirigeants des récurrentes et pathétiques incantations qui ne fonctionnent plus auprès d’un corps sociétal aux exigences informationnelles plus strictes que jamais.

Sources

– (1) – « Factamedia, premier site de fact-checking » – Presse News n°458 – 21 janvier 2014
– (2) – Corine Lesnes – « Feu sur les fact-checkers de la campagne américaine » – Le Monde – 7 septembre 2012
– (3) – Marc Bouchage et Jean-Baptiste Pattier – « Vive le vent du fact-checking ! » – La fabrique de l’info.fr n°3 – 2012
– (4) – Ibid.
– (5) – Alice Antheaume – « Le fact checking politique, de l’échauffement au lancement » – Blog Work In Progress/Slate – 19 septembre 2011
– (6) – Delphine Masson – « A l’épreuve du fact-checking » – Stratégies – 15 mars 2012
– (7) – Ibid.



2 commentaires sur “Le fact-checking est-il l’avenir des médias, des réseaux sociaux et de la communication ?

  1. Altospam  - 

    de mieux en mieux, c’est la première fois que j’entends ce fact checking. Toutefois, quel intérêt y accorder? Je ne partage pas tellement l’idée que le fact checking soit l’avenir de la communication. C’est très discutable.

  2. Nicolas IFDP  - 

    Bonjour,

    Dans cette mouvance, le « véritomètre », que vous utilisez en illustration de ce billet, était bien fait et donnait de précieuses informations quant aux discours des candidats à la présidentielle. Maintenant effectivement comme vous l’indiquez en fin d’article en reprenant le blog d’Erwann Gaucher, le fact-checking doit rester le fruit d’investigations journalistiques complémentaires aux faits et non pas la simple surveillance d’une timeline.

    Nicolas

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