VISOV : Quand les médias sociaux se transforment en secouristes d’urgence (MSGU)

C’est probablement l’un des aspects les plus méconnus en termes d’usage des médias sociaux. Ces derniers peuvent pourtant se muer en précieux auxiliaires en matière de protection civile et d’interventions d’urgence lors de situations sensibles et de catastrophes naturelles. C’est précisément dans cette optique que l’association VISOV vient de publier un tout nouveau guide pour promouvoir l’usage des médias sociaux dans le domaine de la sécurité civile et leurs apports. Interview avec Marina Tymen, membre fondatrice de VISOV.

Et si vous deveniez un jour citoyen secouriste en étant simplement muni de votre smartphone et de vos comptes sur les réseaux sociaux ? Cette idée, un peu folle à première vue, s’impose pourtant petit à petit dans les schémas d’urgence et de situations de crise. Grâce à la présence numérique de chaque internaute et aux informations que celui-ci peut partager, les pouvoirs publics et les organisations de secours peuvent grandement optimiser les opérations d’assistance et de recherche qu’ils mènent sur le terrain lors d’une catastrophe naturelle ou d’événements exceptionnels. Créée en janvier 2014 mais déjà forte de deux années préalables de pratique, l’association francophone VISOV (Volontaires Internationaux en Soutien Opérationnel Virtuel) propose son appui logistique en matière de veille sur Internet, de cartographie collaborative et de diffusion de consignes de sécurité aux acteurs de la sécurité civile. Le Blog du Communicant a rencontré Marina Tymen, consultante en communication et impliquée dès l’origine dans le développement de VISOV.

Pourquoi et comment est apparue l’idée d’intégrer les médias sociaux dans des dispositifs de sécurité civile qui possèdent déjà des moyens conséquents et rodés en termes d’action et de communication ?

VISOV - Marina TymenMarina Tymen : L’idée repose au départ sur une observation très pragmatique. L’avènement des médias sociaux permet désormais aux citoyens connectés de produire et de partager des contenus écrits, sonores et visuels tout en favorisant l’interaction avec les communautés auxquelles ils s’adressent. L’irruption des terminaux mobiles comme les smartphones et les tablettes a décuplé cette capacité à viraliser des informations en temps réel. Conséquence : des personnes au cœur d’un événement sont totalement en mesure de témoigner sur leurs comptes Twitter, Facebook, YouTube ou Instagram. Cette information immédiate et le plus souvent géolocalisée constitue une mine informationnelle majeure pour tout acteur impliqué dans une crise ou une situation d’urgence.

C’est aux Etats-Unis que l’on trouve trace des premiers exemples d’utilisation des médias sociaux à des fins de sécurité civile. Notamment avec le programme d’alerte baptisé Amber (qui a d’ailleurs été décliné ensuite en France sous le nom de « Alerte Enlèvement ») et activé lors d’enlèvements d’enfants. En 2007, les abonnés du réseau social MySpace ont ainsi été les premiers à recevoir des notifications de la part des autorités en fonction du code postal de l’endroit où ils habitaient. En janvier 2011, Facebook a été à son tour intégré dans le dispositif en collaboration avec le département de la Justice et le National Center for Missing and Exploited Children. Ces expériences ont montré qu’elles permettaient d’accroître la remontée d’informations et par conséquent, l’efficacité des recherches menées par les services de police. C’est ainsi que s’est forgé le concept de VOST pour Virtual Operations Support Team ou ESOV en français pour Equipe de Support Opérationnel Virtuel.

Ce concept a très suscité un vif intérêt chez de nombreux bénévoles pluridisciplinaires issus du monde du secourisme, de la gestion de crise et de la communication. En France, le premier cas d’application notoire a eu lieu pendant la catastrophe ferroviaire de Brétigny-sur-Orge. Une ESOV bénévole s’est ainsi constituée pour demander à la population de libérer les routes menant au lieu de l’accident mais également pour démentir les rumeurs de voyageurs dépouillés par des bandes qui commençaient à enfler sur les réseaux sociaux.

Quels sont les préalables indispensables pour une utilisation optimale des médias sociaux en gestion d’urgence (MSGU) ?

VISOV - tweet MatymenMarina Tymen : Une démarche MSGU ne s’improvise effectivement pas. Même s’il demeure toujours une part d’aléatoire due au caractère exceptionnel d’une situation, il convient néanmoins de tenir compte de certains paramètres si l’on veut que l’appui virtuel des médias sociaux produise des effets concrets et utiles. Il convient d’abord de bien connaître les usages des publics cibles. Par exemple, les habitants de zones rurales n’utilisent pas toujours autant les médias sociaux que ceux situés en zones urbaines. Autre paramètre à intégrer : l’état des infrastructures disponibles en termes de type de connexion fixe et/ou mobile, de bande passante et débit et de couverture géographique. C’est un point crucial. Si le réseau tombe ou est saturé, c’est tout le dispositif de l’ESOV qui est compromis. D’où l’importance de prévoir des alternatives pour continuer à échanger comme FireChat. Il s’agit d’une application qui porte sur 70 mètres par Bluetooth et qui fonctionne même lorsque le réseau global est coupé.

Ensuite, il convient d’éviter de céder à la tentation de trop recourir aux systèmes de veille et d’intelligence artificielle qui automatisent le travail de recherche et de sélection de l’information. Ce type d’algorithme peut aider mais il ne remplace en aucun cas l’intervention humaine. Pour deux raisons principales. D’une part, il n’opère pas d’interaction avec les internautes qui émettent une information relative à une situation d’urgence. Or, il est capital de pouvoir converser pour faire préciser certains éléments ou se tenir au courant des évolutions. D’autre part, il n’est pas complètement satisfaisant en termes d’analyse contextuelle. Il ne saisit pas forcément les subtilités sémantiques et peut passer à côté de signaux faibles, faute de comprendre le contexte précis. Or, la finesse d’analyse est impérative pour appuyer efficacement des équipes qui interviennent sur le terrain.

Enfin, l’intégration des médias sociaux dans une approche MSGU ne doit pas se décider au moment de la crise mais en amont lorsque la situation est normale. Cela suppose notamment que les services de secours (pompiers, police, gendarmerie, etc) et les autorités publiques (préfectures, mairies, etc) créent leurs propres comptes et commencent à interagir avec leurs communautés. Ce sont clairement les liens et les relations qui auront été développés qui constitueront le socle des échanges lorsqu’une situation d’urgence surviendra. Les citoyens penseront alors plus spontanément à communiquer des informations s’ils sont témoins au même titre qu’ils ont le réflexe de composer le 18 ou le 112. C’est là aussi qu’une ESOV peut venir épauler les services de secours et les pouvoirs publics en assurant (même à distance) la recherche, la compilation et le traitement des informations relatives à une crise particulière. L’ESOV est un outil complémentaire qui n’enlève en rien aux prérogatives et aux missions des acteurs traditionnels. C’est juste un précieux atout de plus pour évaluer une situation et agir plus précisément.

Votre association VISOV vient d’éditer un guide très exhaustif d’une cinquantaine de pages sur la bonne utilisation des médias sociaux en gestion d’urgence. Quels objectifs espérez-vous atteindre avec la publication de cet ouvrage ?

VISOV - couverture guideMarina Tymen : Même si nous avons déjà tissé des contacts à très haut niveau comme avec le SIG (Service d’Information du Gouvernement) qui nous aide à faire connaître nos activités, l’approche MSGU demeure encore perfectible en termes d’adoption par les responsables de plans de prévention, de protection et d’urgence civile. C’est justement ce qui nous a conduits à publier ce nouveau guide. Il s’agit de la traduction en français d’un document de référence émanant du département américain de la Sécurité intérieure, de la Science et de la Technologie. Nous l’avons enrichi avec certains passages propres à sensibiliser un public francophone, particulièrement en France et au Québec. Nous y distillons des conseils d’organisation, de techniques à adopter et d’exemples à travers quelques cas d’étude.

Ludovic Lux, le président de VISOV et par ailleurs sapeur-pompier volontaire dans le Bas-Rhin, est d’ailleurs très clair sur l’ambition que nous nous fixons avec ce guide : « Par sa présence sur les médias sociaux, le web en général et encore plus grâce à leur téléphone portable, tout citoyen peut et doit devenir acteur de sa propre sécurité et de celle de tous. VISOV se positionne comme un relais et une interface entre la population et les autorités de sécurité civile comme les pompiers, les cellules de crise gouvernementales ou d’ONG ». Pour accroître d’ailleurs notre propre présence digitale, nous avons lancé depuis le 12 mai, un site Web qui vient étoffer notre écosystème existant, à savoir un compte Twitter et une page Facebook. C’est un bon moyen pour chacun de rester informé sur ce que nous faisons et de devenir à son tour acteur si la situation se présente.

Au final, quels bénéfices peuvent être apportés par VISOV à travers la présence numérique de chacun d’entre nous ?

Marina Tymen : Avant tout, deux valeurs cardinales doivent motiver toute personne qui souhaite s’impliquer à divers degrés dans une démarche MSGU : l’utilité et la solidarité. Ensuite, avec leurs bonnes connaissances en MSGU et grâce à leur forte disponibilité et implication, les bénévoles numériques en gestion d’urgence peuvent engendrer d’authentiques bénéfices comme :

  • contribuer à sauver des vies (géolocalisation, messages de prévention, accélération des recherches et détection des personnes sinistrées/disparues,…). Ce qui est probablement la mission ultime de toute démarche MSGU
  • accéder plus rapidement à l’information en temps réel et bénéficier d’une meilleure compréhension de l’événement en cours,
  •  aider et orienter à la fois les autorités de protection/sécurité civile et les citoyens en difficulté,
  • participer à la diffusion des messages d’alerte et relayer la communication des autorités publiques vers les citoyens,
  • interagir avec les personnes en détresse ou présents sur les lieux sensibles,
  • vérifier, corriger une information, voire couper court aux rumeurs,
  • disposer en amont de la crise de relais/alliés sérieux et fidèles.

Je voudrais profiter de l’occasion de cet entretien pour rappeler que VISOV est une association de bénévoles qui ne fonctionne que par les cotisations de ses 16 membres actuels. Si d’autres volontaires veulent nous rejoindre, nous les accueillerons avec grand plaisir !

Pour en savoir plus

– Visiter le site de l’association VISOV et s’abonner à leurs comptes Twitter et Facebook 

– Télécharger le guide « Utilisation des médias sociaux en gestion d’urgence (MSGU) »
– Lire la note de l’Ifrasec « Médias sociaux pour la gestion d’urgence : comment intégrer la démarche dans les services d’urgence ? »
– En savoir plus sur la composition de VISOV



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