Réalité virtuelle & augmentée : Quelles perspectives stratégiques pour les communicants ?

Longtemps cantonnées dans la sphère des jeux vidéo et des geeks en mal d’innovations dernier cri, la réalité virtuelle et la réalité augmentée commencent à être sérieusement envisagées comme de puissants outils de communication au service des marques et de leur storytelling. Faut-il déjà y voir la prochaine révolution annoncée de la communication ou un simple effet de mode qui s’estompera à mesure que d’autres technologies apparaissent. Etat des lieux d’une tendance qui creuse inexorablement son sillon éditorial dans les stratégies de contenus digitaux des marques, des entreprises mais aussi des ONG.

Augmenté, virtuel ou voire les deux combinés, ce genre émergent de contenu vidéo excite désormais bien des convoitises et des intérêts accrus de la part des communicants et des marketeurs. Durant ces dernières années, la réalité virtuelle et/ou augmentée était encore et surtout l’apanage des éditeurs de jeux vidéo cherchant à procurer aux joueurs une expérience immersive la plus proche de la réalité et de quelques fabricants de terminaux à la pointe de la technologie de l’image numérique comme le célèbre casque Oculus Rift acquis en mars 2014 par Facebook pour la somme de 2 milliards de dollars. Pour justifier sa coûteuse mais prometteuse emplette, Mark Zuckerberg avait d’ailleurs déclaré (1) : « «Le mobile est la plateforme d’aujourd’hui mais nous préparons celles de demain. Oculus a le potentiel pour changer la façon dont nous travaillons, jouons et communiquons ». L’affaire avait déclenché un tollé médiatique chez les puristes de la VR (pour Virtual Reality) mais avait aussi permis à un public plus large de prendre conscience des nouveaux champs communicants qui s’ouvraient. Les choses semblent bien parties.

Second Life, un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître

AR-VR - Second-LifeCela fait pourtant un moment que la réalité reconstituée par ordinateur avec des images en 3D animent les passions. Beaucoup l’ont sûrement oublié et d’autres jamais connu mais l’univers virtuel de Second Life à l’orée des années 2000 constituait déjà une incursion significative dans la recherche d’expériences immersives en ligne, raconter des histoires et interagir avec et entre les internautes. Lancé en 2003 par la start-up américaine Linden Lab, Second Life était un univers virtuel (un métavers pour les initiés !) où les internautes pouvaient créer leur propre avatar et mener ainsi une existence digitale dans un contexte tridimensionnel fait de maisons, de rues, d’immeubles, de magasins, etc et bien sûr d’autres personnes connectées évoluant au rythme de leurs envies, leurs discussions et même leurs achats (bien avant l’existence de l’actuel Bitcoin, l’utilisateur pouvait en effet régler en monnaie virtuelle, le Linden !).

Porté par une vaste campagne médiatique, Second Life est devenu un véritable phénomène de société dès 2005 aux USA puis en Europe au point même de faire la couverture du très sérieux magazine Business Week. Jusqu’en 2008 environ, ce monde virtuel est promis à une destinée fabuleuse. Le réputé cabinet d’analyses Gartner estime même que 80 % des internautes auront une seconde vie dans un univers virtuel à la fin 2011 (2). Nombreuses sont les entreprises qui ne tardent guère à investir cette terra incognita digitale qui suscite autant le buzz. La marque de vêtements American Apparel est la première à ouvrir une boutique où les internautes peuvent s’exprimer sur la popularité des produits mis en rayons. Elle est rapidement suivie par le fabricant d’ordinateurs Dell qui pousse un cran plus loin l’expérience en permettant d’acheter un ordinateur et de le payer dans Second Life avant d’être expédié physiquement vers la vraie maison de l’acquéreur !

Toutefois, l’emballement ne tarde guère à s’estomper. Crise financière de 2008, complexité croissante de la navigation dans le jeu, nombre de clients effectifs très inférieur aux attentes initiales (le pic aurait été atteint en 2009 avec plus 88 000 personnes en ligne simultanément), retrait massif des marques, Second Life ferme alors ses portes virtuelles en 2010. Même si l’expérience ne fut pas concluante d’un point de vue financier, elle a tout de même jeté les bases fondamentales de ce qui anime aujourd’hui les acteurs de la réalité virtuelle et augmentée.

Un peu de sémantique avant tout !

AR-VR - Augmented-reality-001Avant d’explorer les opportunités communicantes de cette réalité digitalisée, il convient de se pencher quelques instants sur les définitions exactes des deux approches tant d’aucuns ont parfois tendance à mélanger un peu trop radicalement celles-ci. Concernant la réalité augmentée (AR pour Augmented Reality), le site Web Futura Sciences fournit une intéressante définition du périmètre que cette dernière englobe exactement (3) : « Entre la réalité et le monde virtuel, se trouve le domaine de la  » réalité augmentée  » : celui de l’image vidéo telle qu’elle est perçue par le cerveau à laquelle viennent se superposer des informations graphiques et textuelles ».

Un projet illustre bien ce que la réalité augmentée peut apporter à l’utilisateur : les Google Glass. Tout en parlant avec son interlocuteur ou en visitant un endroit historique, l’appareil fournit à son propriétaire des informations additionnelles (textes, images, sons, etc) en relation avec la personne en face de lui ou l’endroit où il se trouve. Autrement dit, il s’agit de fournir des contenus supplémentaires virtuels sur un thème donné mais dans un contexte physique bien réel. La réalité augmentée est en somme un affichage de contenus textuels ou vidéo (en 2D ou 3D) qui vient en superposition de l’environnement visible par la personne.

Pour l’instant, les usages de l’AR ont avant tout des visées fonctionnelles comme par exemple le système de réalité augmentée que le groupe automobile PSA vient de mettre au point. Il permet d’afficher en 3D directement dans le champ de vision du conducteur des informations dynamiques virtuelles au service du conducteur. Néanmoins, les usages à caractère éditorial et marketing commencent aussi à se développer. C’est le cas notamment de Wikitude. Cette application à télécharger sur un terminal mobile permet d’enrichir l’environnement direct où se situe une personne. Elle peut ainsi identifier un bâtiment, un restaurant, une statue etc et obtenir des informations relatives à ceux-ci. L’application offre aussi la possibilité de contenus étendus dans des magazines, sur des emballages ou encore des panneaux publicitaires. Une sorte de bon vieux QR Code survitaminé et remis au goût du jour en d’autres termes !

Après l’augmenté, le virtuel

AR-VR - virtualrealityAvec la réalité virtuelle, on s’approche encore plus près des fondamentaux qui ont présidé à la naissance de Second Life. La définition qu’en donne le site Futura Sciences est à cet égard très explicite (4) : « Technologie permettant une simulation interactive et en temps réel de la réalité. Technique de communication homme-machine consistant à immerger à l’aide de dispositifs d’entrée/sortie particuliers, une personne dans un univers sensoriel de synthèse recalculé en temps réel (images, son, sensations tactiles…). Elle est réalisée à l’aide d’images de synthèse, d’un environnement virtuel en 3D dans lequel on peut évoluer, donnant l’impression d’une immersion dans un monde réel ».

La réalité virtuelle peut également emprunter au réel comme pour quasiment « télétransporter » un individu dans un endroit à l’autre bout du bout sans que celui-ci ne bouge pour autant du lieu physique où il se trouve. C’est par exemple ce que vient de réaliser la marque Nescafé pour ses consommateurs. Depuis fin septembre, elle leur propose de télécharger une application mobile intitulée Nescafé 360°. Cette dernière donne alors accès à 3 vidéos réalisées en 3D dans lesquelles l’utilisateur peut naviguer à 360° pour découvrir une plantation de café au Brésil et le travail des cultivateurs. Bien que le rendu visuel soit parfois moindre, voire nauséeux ou requiert parfois un équipement plus spécifique (casque ou lunettes), la réalité virtuelle (comme la réalité augmentée) est jugée comme une perspective appelée à connaître un engouement prononcé.

Signe que les temps changent, des constructeurs comme Sony ou encore HTC travaillent d’arrache-pied pour commercialiser des casques de réalité virtuelle d’ici 2016 respectivement baptisés Morpheus et Valve. Même si l’univers du jeu vidéo demeure prioritairement privilégié, nul ne doute que la multiplication de ce type d’appareil va également démocratiser un peu plus l’accès à la réalité virtuelle et augmentée et l’étendre à d’autres secteurs d’activités. Le cabinet CCS Insights a récemment édité un rapport intitulé « Augmented and Virtual Reality Device Forecast, 2015-2019» dans lequel il prédit que 24 millions d’appareils compatibles pour la VR et AR seront vendus dans le monde d’ici 2018. Ce qui selon eux devrait représenter un marché d’environ 4 milliards de dollars dans 3 ans (5).

AR-VR - CCS_AR_VR_forecast_June2015_s

Un vrai avenir pour la communication des marques ?

RETAIL-VIRTUALA condition de ne pas succomber bêtement à la tentation toujours latente chez les communicants de faire de l’innovation pour l’innovation, la réalité augmentée et la réalité virtuelle constituent clairement des pistes qu’il convient d’intégrer progressivement dans les stratégies de communication des marques mais également des entreprises, voire d’autres types d’acteurs qui voient là une occasion en or pour s’adresser différemment, avec un impact renouvelé et une participation accrue de leurs publics phares. Fondateur de l’agence de contenus Group SJR rachetée depuis 2013 par H+K Strategies, Alexander Jutkowitz s’est déclaré convaincu lors d’une conférence professionnelle sur la réalité virtuelle (6) : « Je vois vraiment une issue pour la réalité virtuelle comme je l’ai vu pour le contenu à valeur ajoutée. Je suis optimiste sur ce sujet. Je pense que d’un point de vue RP, les agences ne sont pas conscientes de ce qu’il est en train de se passer ».

Depuis un an, les marques multiplient les initiatives en matière de réalité virtuelle et augmentée. La marque de vêtements de sport et d’excursion North Face est l’une d’entre elles à s’être essayée à cette nouvelle dimension de la communication. Avec la collaboration d’une agence spécialisée en VR du nom de Jaunt, elle a mis au point une application mobile à télécharger et également disponible dans 3 de ses plus grandes boutiques à New York, Chicago et San Francisco. Grâce à un système sophistiqué de captation vidéo 360° et 3D, l’application de North Face offre de revivre virtuellement une randonnée immersive dans le célèbre parc naturel Yosemite en Californie ou le désert Moah dans l’Utah. Directeur marketing digital de la marque, Eric Oliver n’en démord pas (7) : « Chaque marque veut forger une relation émotionnelle avec ses consommateurs. La mission de notre marque est d’inspirer le goût de l’exploration. Nous avons donc pensé que c’était un bon moyen pour renforcer notre storytelling en utilisant la technologie pour transporter les gens à l’extérieur ». De fait, l’appli a remporté un joli succès : 15 000 téléchargements sur la seule plateforme Google Play !

La « contagion » créative s’étend

AR-VR - Marriott cabinesSi vous êtes un lecteur fidèle de la presse communication et marketing anglo-saxonne, vous aurez indubitablement noté que le tropisme pour l’AR/VR a désormais une nette tendance à s’accélérer. Si certains proposent encore des contenus qui relèvent plus de la sur-promesse déceptive, d’autres n’hésitent absolument pas à tester diverses approches où cette réalité reconstituée est au cœur de leur stratégie de communication avec leurs publics.

A cet égard, la chaîne d’hôtels Marriott (lire par ailleurs le billet du blog sur son ambitieuse stratégie de contenu de marque) est clairement à l’avant-garde. En septembre 2014, elle a ainsi installé deux cabines en plein Londres équipées de la technologie Oculus Rift. Les passants pouvaient expérimenter pendant 100 secondes une « téléportation » sur une plage d’Hawaï filmée en 4D et restituant même les sensations du climat de cette destination de rêve. Vice-président monde du marketing et de la marque Marriott, Michael Dail justifie ce choix (8) : « Marriott avait besoin de construire une crédibilité avec les plus jeunes voyageurs. Nous voulions quelque chose de plus immersif, plus expérientiel qui connecte vraiment les gens avec l’essence profonde du voyage ».

Depuis septembre 2015, la chaîne américaine a récidivé avec une nouvelle opération de réalité virtuelle assez bluffante. Baptisé « VRoom Service », ce programme est décliné dans deux de ses établissements prestigieux à New York et à Londres. Les résidents peuvent sur demande disposer d’un casque de réalité virtuelle sous technologie Samsung. Une fois équipée de son appareillage, la personne peut alors tranquillement choisir depuis sa chambre d’hôtel entre 3 destinations de rêve où elle partage virtuellement le voyage d’une autre personne au Chili, au Rwanda ou à Pékin. De quoi déclencher d’autres envies de voyage dans le futur !

En route pour le storytelling augmenté !

AR-VR - Impact on consumersMême si les technologies ont encore des progrès ergonomiques et de réalisme à accomplir, il n’en demeure pas moins que les expériences visuelles et narratives de la virtualité conquièrent de plus en plus d’acteurs issus d’horizons très variés. C’est ainsi qu’en mai 2015, l’ONG mondialement connue Amnesty International a à son tour recouru au pouvoir émotionnel de la VR dans les rues de Londres. En échange d’une donation pour soutenir l’organisation, les passants se voyaient alors proposer de déambuler virtuellement via un casque VR dans la ville saccagée d’Alep en Syrie grâce à des photos 360° et d’extraits filmés pris par un groupe de journalistes citoyens syriens.

L’autre intérêt non négligeable de l’usage de la réalité augmentée et virtuelle dans une stratégie de communication, est l’attention plus forte qu’il suscite chez la personne engagée. De par le caractère très immersif et la possibilité d’accroître l’interactivité, l’aspect informationnel s’en trouve largement rehaussé. Ceci est d’autant plus crucial alors qu’on estime que 80% de notre capacité d’attention est avant tout visuelle ! Ces nouveaux dispositifs ont par conséquent toute leur raison d’être dans une stratégie de communication. En revanche, il ne s’agit pas de céder au côté « trendy » ou « hype » fréquemment mis en avant par certaines agences pour vendre à tout prix de l’innovation. Pour tirer la quintessence de ces technologies communicantes, il convient de les insérer avec pertinence dans un écosystème communicant plus vaste et en fonction des publics recherchés

Sources

– (1) – Philippe Berry – « Réalité virtuelle : Facebook rachète Oculus et son casque pour 2 milliards de dollars » – 20minutes.fr – 19 septembre 2014
– (2) – « Gartner Says 80 Percent of Active Internet Users Will Have A « Second Life » in the Virtual World by the End of 2011 » – Gartner Newsroom – 24 avril 2007
– (3) – Définition de la réalité augmentée – Futura-Sciences.com
– (4) – Définition de la réalité virtuelle – Futura-Sciences.com
– (5) – « Augmented and Virtual Reality Devices to Become a $4 Billion-Plus Business in Three Years » – CCS Insights Newsroom – Juin 2015
– (6) – Aarti Shah – « The Intersection of Virtual Reality & PR » – The Holmes Report – 15 juillet 2015 –
– (7) – Tanya Dua – « The North Face brings virtual reality to retail » – Digiday – 12 mars 2015
– (8) – India Sturgis – « Explore Hawaii’s beaches without leaving the city! » – Daily Mail – 19 septembre 2014