Boycott & Marques : Tactique de communication ringarde ou à régénérer ?

Longtemps, le boycott fut essentiellement une mesure de rétorsion économique d’Etat à Etat avant de devenir en plus un recours médiatique pour des consommateurs ou des groupes d’action qui ont décidé de stigmatiser telle ou telle marque en fonction de critères éthiques, environnementaux et sociaux. L’histoire contemporaine abonde de ces bras-de-fer qui nourissent les gros titres de la presse. L’avènement des médias sociaux a ouvert de nouvelles perspectives au boycott en lui permettant potentiellement d’élargir son périmètre et son impact. Mêmes des marques célèbres s’y emploient désormais pour tirer la sonnette d’alarme. Toutefois, n’est-ce qu’un effet de manche momentané ou un authentique levier pour atteindre des objectifs de communication ? Ça se discute !

A l’origine, « boycott » est un vocable multiséculaire apparu pour la toute première fois en 1879 en Irlande. Là, un certain Charles Cunningham Boycott qui est l’intendant d’un riche propriétaire terrien (et ancien capitaine de l’armée britannique) suscite un tollé général au cœur de son comté. Le personnage n’est pas franchement d’un humanisme débordant au point qu’il s’accommode très bien des conditions de travail déplorables que subissent les fermiers travaillant sur le domaine. Il fait preuve d’inflexibilité hors pair. Pour s’insurger contre cette situation, ces derniers choisissent alors de se regrouper, de bloquer la sortie des produits et d’inciter par voie de presse à boycotter toute substance émanant du domaine tant que la réduction de leurs loyers ne leur sera pas accordée pour pouvoir faire face aux mauvaises récoltes de la période. A cause de ce rapport de force entamé (grèves, refus de payer les traites, etc), le domaine agricole fut ruiné et le mot « boycott » s’imposa très vite comme un moyen d’action radical pour porter une cause. D’ailleurs, ce dernier fut adopté dès les années 80 en France sous le terme de « boycottage ». 

Boycott à tous les étages

Depuis, la pratique du boycott n’a cessé d’essaimer à travers les siècles et les décennies en étant la plupart du temps consubstantielle à des problématiques prioritairement sociales et économiques, voire nationalistes. En 1837 au Québec, les chefs Patriotes incitent les compatriotes à boycotter les produits importés d’Angleterre pour tarir les fonds publics et les revenus douaniers perçus par la Couronne britannique. Objectif : assécher les ressources de l’occupant anglais et libérer ainsi la Belle Province. C’est ainsi que les Québécois rejettent des produits anglais comme le rhum, l’eau-de-vie, le thé et la toile pour privilégier les équivalents québécois. Bien plus tard, d’immenses figures historiques comme le Mahatma Gandhi ou encore le pasteur Martin Luther King auront recours au boycott pour contester la colonisation, le racisme, l’exploitation humaine.

Il faudra attendre en revanche 1970 pour qu’une marque se retrouve à son tour confrontée à la technique du boycott. C’est Outspan qui va ainsi essuyer les premiers plâtres de cet activisme jusque-là plutôt cantonné sur des questions politico-économiques. Outspan est en effet une entreprise sud-africaine qui détient un quasi-monopole sur l’exportation des agrumes du pays et notamment des oranges. Lesquelles sont très distribuées en France et en Europe. Or, dans ces pays, les associations combattant l’apartheid que le régime sud-africain a érigé en règle discriminatoire de société, sont extrêmement actives. En 1973, une virulente campagne de boycott démarre aux Pays-Bas contre Outspan accusée de profiter du régime ségrégationniste. Les ONG et les grandes associations relaient le message. Une affiche d’appel au boycott représente même la tête d’un enfant noir sur un presse-agrumes. Trois ans plus tard, les ventes d’Outspan baisseront de 25 % en 1976 (1). Le boycott connaît son heure de gloire.

Boycotter pour mieux s’imposer ?

Dorénavant, les marques et les enseignes corporate sont à leur tour prises dans les mailles du boycott qui devient une donnée supplémentaire à intégrer dans la stratégie de communication de crise. Un exemple fameux est celui que le groupe Danone a dû gérer en 2001. Entreprise à la réputation très sociale, celle-ci doit pourtant annoncer un plan social drastique qui implique la fermeture de 6 usines (dont 2 en France) et la suppression de plus de 1800 emplois (dont 570 sur le territoire national). Le choc est profond dans l’opinion publique d’autant que financièrement la société n’est pas au plus mal. A l’époque, le Web effectuait se premiers balbutiements en matière d’outils de communication mais il servit en premier lieu de catalyseur d’appel au boycott des produits Danone avec l’ouverture d’un site estampillé « Jeboycottedanone.com » et de nombreuses manifestations terrain dans la foulée. L’effet sur le chiffre d’affaires fut visible. La croissance des ventes biscuits s’est ralentie (2). Sur les neuf premiers mois de 2001, la croissance n’a été que de 0,4 %, contre 6,4 % sur la même période en 2000. De même, la croissance des ventes totales en France a été nettement moindre en 2001 : 2,7 %, contre 5,3 % sur l’année 2000. Le géant de l’alimentaire n’avait d’ailleurs pas apprécié la démarche et avait traîné cette dernière en justice pour non-respect du droit des marques. Depuis cet épisode rugueux, Danone a de nouveau eu sporadiquement à croiser le fer avec divers appels au boycott dans plusieurs pays où les consommateurs souhaitaient se défouler contre la marque.

De manière plus générale, plus aucun secteur n’échappe au spectre du boycott dès lors que les produits ne satisfont plus à l’acceptabilité sociale, réglementaire ou environnementale. L’industrie du textile fait particulièrement partie de ces pans d’industrie sans cesse interpelés pour leur laxisme dans le contrôle effectif de leurs chaînes de sous-traitance qui ne respectent pas (ou peu) les règles de sécurité minimum mais qui recourent également au travail des enfants. Les tenants du boycott estiment qu’il ne faut pas relâcher la pression. Pour Gildas Minvielle, directeur de l’observatoire économique de l’Institut Français de la Mode (IFM) (3), « Ne rien faire c’est accepter ». Activement engagée de longue date sur le sujet, Quitterie de Villepin est sans ambages (4) : « La première chose que le consommateur peut faire dès aujourd’hui, c’est de retourner son propre vêtement et considérer l’être humain qui l’a confectionné ».

Du boycott à toutes les sauces

S’il est indéniable qu’une opération de boycott peut sérieusement entacher la réputation d’une marque ou d’une entreprise, celle-ci a-t-elle intrinsèquement les moyens d’aller jusqu’au bout pour contrer définitivement les sujets qu’elle dénonce ? La question n’est pas si superfétatoire que cela. Autant le boycott peut se concevoir sur le coup de l’émotion pour accentuer la pression et la prise de conscience sur les différents acteurs concernés, autant a-t-il notoirement des chances de durer dans le temps sans parler d’effets pervers qu’il peut parfois engendrer ?

Sur ce point, les experts se montrent globalement plus nuancés. Certes, certaines opérations de boycott ont pu aboutir à des résultats sévères. La France en sait d’ailleurs quelque chose lorsqu’elle s’est diplomatiquement désolidarisée des USA en 2003 pour le projet d’invasion militaire de l’Irak. Le vin français a subi un boycott massif de la part des consommateurs américains. Bilan : 112 millions de dollars en moins pour les chiffres de l’exportation du vin tricolore, selon le Bureau national de recherche économique (5).Ensuite, la logique souvent binaire du boycott n’est pas toujours de bon aloi par rapport à la problématique que celui-ci entend dénoncer et régler. En 2012 suite à un conflit territorial entre la Chine et le Japon au sujet d’un archipel proche des deux pays, les consommateurs chinois ont multiplié les appels aux boycotts envers les produits japonais (La Chine étant l’une des premières destinations des exportations japonaises). C’était un peu rapidement oublier que la plupart des produits japonais sont fabriqués « d’une manière ou d’une autre » en Chine. Et d’ailleurs face à cette levée de boucliers et probable baisse des ventes, Toyota et Nissan, les deux principaux constructeurs automobiles japonais, ont confirmé peu de temps après qu’ils allaient geler une partie de leurs chaînes d’assemblage sur leurs sites de production en Chine.

Il est une autre catégorie de boycott qui s’est faite jour plus récemment, notamment sur les réseaux sociaux mais pas que. Les premiers signes tangibles de ce boycott nouveau genre ont eu lieu lors des Jeux Olympiques d’hiver de Sotchi en Russie en 2014. Dans un pays où les droits des homosexuels sont bafoués en permanence, de grandes marques partenaires de l’événement se sont posées la question de maintenir leur présence ou pas. A quelques jours de l’ouverture, les dix principaux sponsors internationaux furent ciblés et encouragés à rompre le silence « Vos marques [y] seront liées de manière indélébile », (6) avertirent 40 groupes de défense des droits de l’homme (Human Rights Watch, Amnesty International, Russian LGBT Network, etc.). En vain.

Rebelote cette fois en mai 2015 avec les affaires de corruption qui frappent les plus hautes instances de la FIFA. Désormais, les marques envisagent le boycott comme une option. Visa, la marque internationale de cartes de paiement, a été la plus virulente à l’égard de la FIFA. Il y a quelque temps, elle avait déjà publiquement interpelé l’instance mondiale lorsqu’avaient été révélées des atteintes aux droits de l’homme subies par les ouvriers du bâtiment sur les chantiers des stades de la Coupe du Monde au Qatar. Le communiqué émis était sans ambages. La marque se disait (7) « troublée par des reportages sur la Qatar détaillant les conditions de vie des travailleurs étrangers ». Dans la foulée de la descente de police embarquant les officiels de la FIFA, Visa a alors nettement haussé le ton en menaçant de cesser de sponsoriser si la FIFA ne faisait pas montre d’une gouvernance plus exemplaire (8) : « A la lumière des révélations d’aujourd’hui, notre déception et nos préoccupations vis-à-vis de la Fifa sont sérieuses. En tant que sponsor, nous attendons de la Fifa qu’elle prenne des mesures immédiates. Cela passe par la reconstruction d’une culture avec des pratiques éthiques rigoureuses. Si tel n’était pas le cas, nous avons informé la Fifa que notre partenariat de sponsoring serait réétudié. ». On ne saurait être plus clair !

Et si on changeait d’angle de vision ?

Ces derniers temps, un appel au boycott a frappé le groupe Webedia à travers le hashtag #BoycottWebedia. Editeur de très nombreux médias en ligne (dont des connus comme Easy Voyages, Allo Ciné, Pure People), l’entreprise s’est sévèrement faite tacler à cause de la plateforme « Blabla 18-25 » qui fait partie du site internet jeuxvideo.com, lui-même propriété du groupe Webedia. Or, cette plateforme a été le violent théâtre d’un harcèlement immonde de la journaliste chroniqueuse Nadia Daam qui dénonçait le sexisme virulent sévissant sur celle-ci. C’est alors que plusieurs féministes ont eu l’idée d’interpeler les annonceurs du groupe Webedia. Lequel semblait faire la sourde oreille. Un appel pas si vain puisque le fabricant de pâte Barilla a annoncé le 5 novembre l’annulation de sa campagne publicitaire, rejoint dans la foulée par le groupe de protection sociale Apicil. Il n’en demeure pas moins que le boycott semble indiqué pour une action coup de poing sur une brève échéance. Nombre de cas s’étalant dans le temps montrent en effet que les effets d’un boycott s’estompent progressivement, s’oublient et parfois reviennent à la normale ou ne font guère évoluer la situation.

C’est par exemple ce qui arrive dans l’industrie laitière française. Depuis 2016, le groupe Lactalis est aux prises avec une campagne de boycott et de pétition en ligne afin que l’opaque groupe familial rémunère à juste titre ses fournisseurs laitiers. Malgré de récurrents pics de tension et de reportages cinglants, on ne peut pas franchement dire que la situation ait significativement bougé. Bien que les consommateurs soient régulièrement informés par le collectif « I-Boycott.org », le contexte des éleveurs laitiers demeure bien aléatoire. Or, plutôt que de s’escrimer en permanence à coups de fleurets digitaux, pourquoi ne pas en fin de compte agir de manière encore plus concrète sans perdre le sens initial de l’objectif visé ? C’est en tout cas la réflexion qui a amené Nicolas Chabanne, fondateur de la marque de lait « C’est Qui le Patron ? » en 2016. Avec un concept simple, un cahier des charges fixé à 100% par les consommateurs via internet, une alimentation saine et de qualité pour les vaches et un prix d’achat digne pour les producteurs, il a élaboré un produit qui vient largement mordre les mollets des grandes marques laitières. Il a même conquis les rayons de Carrefour et Monoprix et décline maintenant le concept pour d’autres produits et à l’international. Et si c’était cela la solution constructive ? Prendre à contre-pied plutôt que boycotter frontalement au risque d’impacter certains acteurs qui n’ont pas besoin qu’on rajoute à leurs difficultés ?

Sources

(1) – Laurent Samuel  – Guide pratique de l’écologiste – Belfond – 1978 – p. 109
(2) – Claire Alet – « Danone ; l’effet boycott » – Alternatives Economiques – 1er décembre 2001
(3) –« Faut-il boycotter les marques qui emploient des enfants ? » – Capital.fr – 12 janvier 2017
(4) – Ibid.
(5) – Daisy Lorenzi – « Le boycott, une arme non-violente à l’efficacité mitigée » – Huffington Post – 31 janvier 2013
(6) – Jeanne Cavelier – « Les sponsors internationaux des Jeux olympiques marchent sur des œufs à Sotchi » – L’Opinion – 4 février 2014
(7) – L. Ha – « Des sponsors inquiets et sous pression » – L’Equipe – 28 mai 2015
(8) – Philippe Bertrand – « Les questions que posent le scandale » – Les Echos – 29 mai 2015