Réputation & Désinformation : Serait-on en train de surestimer l’impact des fake news ?

Et si les infoxs n’avaient en fin de compte pas autant d’influence que bon nombre de commentateurs (dont moi !) leur prêtent ? La question a de quoi dérouter à l’heure où le sujet de la vaccination anti-Covid 19 est un embrouillamini d’informations diffuses, souvent biaisées, voire carrément manipulées. Pour s’en convaincre, il suffit d’ailleurs de visiter régulièrement l’excellent de site de debunking, AFP Factuel qui n’a de cesse de traquer et décrypter les faits apocryphes sur les vaccins. Pourtant, plusieurs scientifiques et intellectuels ont émis l’hypothèse que les fausses nouvelles n’avaient autant de portée dans l’opinion publique. Vraiment ?

Cela ne fait que 5 ans que le terme « fake news » s’est propagé dans le débat public, grâce entre autres à Donald Trump qui l’invoquait sans arrêt dès lors qu’il refusait d’entendre une évidence ou une argumentaire contraire à ses convictions. Mais dorénavant, celui-ci surgit à tout propos en omettant quelquefois l’aspect intrinsèque de ce qu’est une « fake news » : induire délibérément en erreur quelqu’un pour lui semer le doute, faire changer d’avis, voire passer à l’action. Le psychosociologue Sylvain Delouvée fait même remarquer que le concept initial a largement digressé (1) : « Aujourd’hui, l’expression ‘fake news’ est utilisée par beaucoup comme un synonyme d’« informations en désaccord avec mes croyances ». Un constat pas faux tant les complotistes, premiers pourvoyeurs d’infoxs, usent et abusent de cette expression pour dénigrer la réalité qui leur déplaît.

Fake news, un truc minoritaire ?

Serait-ce alors le sens sémantique désormais dévoyé de la « fake news » qui ferait donc de celle-ci un virus informationnel moins virulent et contagieux qu’il n’y paraît ? Pour Hugo Mercier, chercheur CNRS en sciences cognitives à l’Institut Jean Nicod à Paris, il convient en effet de moduler l’importance du phénomène (2) : « Les fake news sont rares, dans le sens où elles ne représentent qu’une très faible part de la consommation totale d’informations du public et qu’une grande majorité des gens n’y sont jamais exposés. C’est une observation sur laquelle tous les chercheurs sont d’accord ». En d’autres termes, les « fake news » ne concernent qu’une poignée d’agités ferraillant essentiellement sur les réseaux sociaux.

L’histoire récente montre pourtant que bien des infoxs ont largement débordé de la case minimaliste où d’aucuns voudraient les y confiner. Par exemple, le fait fallacieux que Barack Obama soit soupçonné de ne pas être né américain, a largement percolé dans l’opinion publique américaine et ne s’est pas sagement cantonné dans les milieux suprémacistes blancs.

En revanche, un élément est indéniable : la polarisation politique fonctionne souvent de pair avec la propagation d’une « fake news ». Si la mise en cause de la validité du certificat de naissance de Barack Obama « a pris une dimension considérable, c’est parce que cet argument correspondait à ce que les sympathisants républicains voulaient entendre. Le mensonge a le même effet que de la glu. Aussitôt qu’il est formulé, il colle au sujet » (3) selon le psychiatre Patrick Clervoy, auteur de l’essai « Vérité et mensonge ».

Le faux se porte bien

Pour autant, il semble un peu laxiste que de vouloir à tout prix penser que les « fake news » ne touchent qu’une infime partie de personnes qui seraient de surcroît très politisées et fréquemment situées aux extrêmes. Les sites conspirationnistes véhiculent certes dans leur grande majorité quantité d’opinions et thèses radicalisées. L’actuelle pandémie en fournit une illustration flagrante où virus et vaccin ne sont finalement que les deux faces d’une même pièce destinée à instaurer un nouvel ordre mondial et asservir la population.

En revanche, ces élucubrations n’ont jamais eu autant d’écho et de viralité qu’actuellement. Dans mon propre entourage, je connais trois personnes intellectuellement et culturellement équilibrées qui sont malgré tout devenues fermement convaincues de la validité des théories du complot et qui n’hésitent pas à relayer leurs sources farfelues sur leur page Facebook ou dans des boucles Whatsapp.

L’une d’elles, qui exerce de surcroît une profession de santé, est notamment une férue de la théorie de l’adrénochrome qu’elle distille volontiers sur ses réseaux. Cette thèse soutient que cette substance est extraite de la glande surrénale d’une personne qu’on torture et que les victimes seraient principalement des enfants au motif que leur taux est plus élevé. Une fois recueilli, ce produit aurait des propriétés rajeunissantes. A tel point que des personnalités puissantes et riches comme Hillary Clinton ou Joe Biden en consomment pour rester jeunes et dynamiques. Tout cela est évidemment faux mais cela n’empêche pas l’histoire de continuer à circuler de plus en plus largement.

La fake news se repaît de la défiance

La fausseté de ces « informations » qui triturent les peurs, les dégoûts et les colères de chacun, ne peut pas être regardée simplement comme une amibe de laboratoire qui aurait juste contaminé quelques individus maladroits ou ignorants. Plus encore que l’exacerbation politique, la « fake news » prolifère sur un terreau encore plus fertile et potentiellement explosif : la défiance collective et le ressentiment général. La 21ème et dernière édition du Trust Barometer de l’agence Edelman a malheureusement mis en lumière une nouvelle fois cette confiance déliquescente qui irrigue les opinions publiques dans les pays occidentaux et en France, plus particulièrement.

Dans ce contexte pandémique et désinformationnel, l’étude fait apparaître que les Français se méfient de tout. Le taux de confiance accordé aux dirigeants politiques s’est effondré de 13 points pour atteindre 33 points, un chiffre comparable à celui accordé aux journalistes (-5 points). 57% des Français pensent même que les journalistes tentent délibérément d’induire le public en erreur et un de nos compatriotes sur deux est convaincu que les élites politiques et économiques le trompent (4). Mais pire, d’autres acteurs jusque-là relativement préservés, se font désormais étriller de la même façon. Le niveau de confiance envers les scientifique chute lourdement de 17 points. Les ONG et associations perdent 6 points et se maintiennent tout juste à la moyenne. Or, cette défiance constitue un pain bénit terrible pour les bonimenteurs de l’information dite alternative, « libre » et autres initiés des arcanes complotistes.

 

La fake news n’épargne personne

Emmanuelle Danblon est enseignante-chercheuse en rhétorique à l’Université libre de Bruxelles. Elle travaille notamment sur les théories de la conspiration et leur fonction dans la société moderne. Son constat est implacable (5) : « Le complotisme se nourrit du ressentiment […] Que font les théoriciens du complot, la plupart du temps ? Le bon vieux mécanisme de projection : « Si je ne suis pas plus content de ma vie que cela, ce n’est pas parce que je n’ai pas été à la hauteur ou que j’aurai pu faire mieux, c’est parce que ceux qui ont ce que je n’ai pas ont des appuis, des soutiens, des passe-droits que je n’ai pas ». Or, il n’y a pas besoin d’être grand clerc pour voir qu’aujourd’hui, la cohésion sociétale est délétère, la crise sanitaire n’ayant fait qu’aggraver des symptômes déjà bien enkystés.

Et la mauvaise nouvelle est que personne n’est véritablement prémuni contre les « fake news » d’autant plus lorsqu’on vit dans une ambiance de suspicion permanente et de désenchantement caractérisé. En 2020, les Décodeurs du Monde et Médiamétrie s’étaient penchés sur cette désinformation galopante émanant en particulier des sites alternatifs. S’ils n’atteignent certes pas les audiences de médias reconnus comme Le Monde, Le Figaro, Les Echos, Libération, etc, ils parviennent en revanche à s’immiscer dans toutes les couches de la population. Peu importe l’âge, le niveau socio-culturel et la localisation géographique, toutes les tranches sont représentées. Avec même une prépondérance assez nette des 25-49 ans qui consultent ces sites où pullulent les « fake news » même s’ils s’en défendent bien évidemment.

L’avènement de la fake news « rationnelle »

Cet écho croissant est particulièrement préoccupant. Les « fake news » sont aujourd’hui nettement plus vicieuses dans leur capacité à séduire, convertir et laisser des traces significatives dans l’opinion publique. Elles jonglent astucieusement avec des éléments de véracité, des éléments vraisemblables et des éléments totalement bidons mais qui savent piquer au cœur des émotions. Bénéficiant de surcroît d’un contexte sociétal où la défiance est érigée, elles disposent alors d’un boulevard pour continuer leur travail de sape conspirationniste.

Exemple emblématique de cette capacité à percer dans le débat public : le documentaire Hold-Up qui a été visionné des millions de fois sur Internet fin 2020 et qui reste pour beaucoup, une référence en la matière. Ce qui fait dire à Emmanuelle Danblon (6) : « Le complotisme est vieux comme l’histoire du monde. Mais le complotisme moderne a quelque chose de particulier : il essaye d’être rationnel. Il se déguise en raisonnement scientifique. Il essaye de donner des explications du monde alors que le complotisme archaïque donnait des récits de type bouc émissaire qui fonctionnaient très bien et qui n’avaient aucune prétention à la scientificité ».

A celles et ceux qui entendent minorer l’influence et la porosité des « fake news », qu’ils méditent un peu sur cet extrait ci-dessous issu d’une enquête du Cevipof. Le virus informationnel est loin d’être éradiqué.

Sources

– (1) – Jessica Berthereau – « Populisme, vaccination : pourquoi surestime-t-on le phénomène des Fake News » – Les Echos – 16 février 2021
– (2) – Ibid.
– (3) – Ibid.
– (4) – Frédéric Thérin – « Trust Barometer : Les Français plus sceptiques que jamais » – Influencia.net – 14 mars 2021
– (5) – Alexandra Turcat – « Le complotisme se nourrit du ressentiment » – Ouest France – 6 mars 2021
– (6) – Ibid.



2 commentaires sur “Réputation & Désinformation : Serait-on en train de surestimer l’impact des fake news ?

  1. Tirau  - 

    Il est clair qu’il est important d’avoir une vision globale sur les évolutions de la com. Cet article le détaille vraiment bien. Je pense qu’il serait super intéressant de faire un article sur la nouvelle technologie qu’est l’hologramme !

    J’ai déjà travaillé avec une entreprise Française qui a su me réaliser plusieurs hologrammes et me louer une machine à bon prix pour ma boutique. Le résultat était bluffant ça m’a permis de ramener beaucoup de prospects dans ma boutique.

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