Fake news, désinformation & réputation des entreprises : la cote d’alerte s’élève encore
« Ne pas prévoir, c’est déjà gémir » dit en substance une célèbre citation de Léonard de Vinci. Cet avertissement conserve toute son acuité à l’heure où les fake news continuent leurs ravages en matière de réputation, d’impact économique et de déstabilisation démocratique. La pandémie du Covid-19 a constitué à cet égard un véritable accélérateur à particules pour les infoxs. Pour les entreprises et les marques, il n’est plus question d’esquiver et/ou de pondérer le phénomène. L’addition finale du coût réputationnel atteint des proportions jamais atteintes jusqu’alors. Et cela risque encore de s’aggraver si le sujet n’est pas plus fermement combattu.
78 milliards de dollars, c’est le montant estimé en 2020 de la fortune détenue par Larry Page, co-fondateur de Google et membre du très sélect Top 10 des hommes les plus riches de la planète. Ce montant vertigineux, c’est aussi celui attribué en 2019 aux dégâts économiques et financiers mondiaux commis par les faussaires de l’information. Ce calcul, certes non exempt de certaines approximations, résulte du travail universitaire de Roberto Cavazos, professeur d’économie à l’université de Baltimore. Un calcul repris par un rapport réalisé par la société israélienne de cybersécurité CHEQ qui reste à ce jour l’un des documents de référence les plus chiffrés sur le problème des infoxs.
Alerte aux infoxs !
En 2018, la 13ème édition du rapport « Global Risks » édité par le Forum Economique Mondial désignait pourtant déjà les fake news comme l’un des dangers les plus graves menaçant la planète. La crise sanitaire mondiale du coronavirus a confirmé de manière effarante la justesse de cette prédiction. Pourtant, la prise en compte des fake news dans les stratégies de communication des entreprises et des institutions peine toujours à se frayer une place dans l’agenda. Aux yeux d’aucun, l’infox demeure encore l’apanage du terrain politique, géopolitique et électoral. S’il est acquis que le Brexit et l’élection de Donald Trump en 2006 ont largement résulté d’intenses tripatouillages informationnels, le sujet des fake news s’est depuis largement amplifié pour contaminer d’autres terrains de jeux.
Cela serait une considérable erreur que vouloir réduire les fake news uniquement à des guerres de propagande d’Etat (même s’il s’agit de toute évidence d’une source majeure) ou à des cohortes complotistes jamais avares en théories plus ou moins farfelues. Au même titre que le Covid-19 peut frapper quiconque, l’infox est devenue multi-cibles et les marques sont dorénavant dans le viseur. Au-delà de la mécanique délétère induite par ce phénomène, la fake news a aujourd’hui acquis une cinétique redoutable grâce à la défiance record qui sévit dans les opinions publiques et la chambre d’écho fournie par les réseaux sociaux.
La contagion par le plus petit nombre
Le propre de la fake news n’est en effet pas seulement mué par des armées de faux comptes et bots de toute sorte issus d’officines obscures. L’infox s’est désormais insinuée jusqu’au bout des doigts de chacun d’entre nous qui cliquons sans toujours vérifier la véracité du contenu. De fil en aiguille et avec la défiance en toile de fond, se propagent ainsi insidieusement des rumeurs, des légendes urbaines comme la technologie de téléphonie mobile 5G qui est flanquée de tous les maux, y compris les plus absurdes tels que l’affaiblissement de notre système immunitaire et la diffusion du Covid-19 via les antennes et les ondes.
Sur les vaccins, autre thème fertile en fake news, Roberto Cazavos confirme (1) : « Il ne faut pas imaginer des millions de zombies s’abreuvant tous à la même source. La contagion est plutôt le fait de nombreux groupes, de, disons, 10.000 personnes, qui vont lire une page Facebook ou un petit site. Ces additions d’infos contradictoires finissent par former des comportements de masse, qui nourrissent le refus du vaccin ». Et c’est bien là, le cœur du réacteur à infoxs : des gens plus ou moins mal intentionnés, souvent intellectuellement paresseux ou anxieux face à un monde qu’ils n’arrivent plus à comprendre. La fake news vient alors doucement tintinnabuler aux oreilles de ces profils qui ne demandent qu’à croire et être renforcés dans leurs convictions déboussolées.
Le 4 janvier dernier, l’institut Ipsos dévoilait les résultats d’une étude menée sur 15 pays à propos des intentions de vaccination. La France s’avère être le pays le plus réfractaire à l’égard du vaccin contre le Covid-19 avec seulement 4 Français sur 10 enclins à se le faire injecter (2). Motifs communément avancés : la crainte des effets secondaires ou le doute sur l’efficacité du produit. Mais, on trouve aussi des plus irréductibles aux desquels l’industrie pharmaceutique concourt avec ses vaccins à asservir ou trucider la population au profit de quelques élites.
Personne n’est immunisé
Cette ritournelle du « Big Pharma », outil d’un vaste complot mondial ourdi par des nantis puissants, est malheureusement potentiellement transmissible à d’autres secteurs d’activités. Pour rester sur le sujet de la pandémie, le passeport vaccinal subit à son tour à l’heure actuelle les foudres de nombreux détracteurs qui y voient là une intolérable atteinte aux libertés individuelles et aux données de santé de chacun. La suspicion affleure en permanence et les entreprises ne sont pas les dernières à être pointées du doigt en leur prêtant des intentions mercantiles ou de flicage organisé de la société parce qu’elles traitent des données personnelles.
Or, il suffit de peu dorénavant pour qu’une grande enseigne ou une organisation soit soudainement attaquée sur sa réputation pour divers motifs relevant tout ou partie de la fake news. Un exemple concret est le déploiement des antennes 5G en France et en Europe. Depuis plusieurs mois, ces dernières font l’objet de saccages et d’incendie volontaires « justifiés » par les arguments sanitaires qu’invoquent les auteurs de ces actions radicales.
Un coût réputationnel et financier qui est loin d’être neutre pour les opérateurs télécoms : la réparation d’une antenne vandalisée tourne autour de 150 000 euros sans compter la méfiance générée à l’égard de l’entreprise. Secrétaire général d’Orange, Nicolas Guérin a constaté de visu les dérives (3) : « J’entends le débat sur la surconsommation, l’environnement. Mais sur la santé, des choses surréalistes sont dites par des professionnels de l’angoisse, alors que 20 autorités sanitaires dans le monde ont validé l’innocuité de la 5G ».
Quelles ripostes ?
Dans le contexte actuel, les fake news peuvent clairement déstabiliser, brouiller voire nuire à la réputation des marques et des entreprises. Sur le volet purement financier et boursier, certains grands acteurs en ont déjà fait durement les frais. En janvier 2019, la multinationale américaine de gestion d’actifs BlackRock et son emblématique PDG, Larry Fink ont été victimes d’une fake news émanant d’activistes. Sous la forme d’un faux courriel et faux site Internet, la société annonçait un virage sans précédent avec un retrait de ses investissements dans les énergies fossiles. Plusieurs grands médias (notamment The Financial Times et CNBC) se font fait abuser et ont repris l’infox. L’affaire est ensuite rentrée dans l’ordre mais a laissé des traces.
Des épisodes comme celui-ci risquent malheureusement de survenir à nouveau. Alors quelles approches adopter ? Sur le plan de l’authentification de l’information émise, Wiztopic, une société française, a développé une plateforme logicielle baptisée Wiztrust pour les équipes communications d’entreprises. Cet outil permettant de certifier des documents en utilisant la technologie de la blockchain qui permet alors d’attribuer à une information émise, une « empreinte digitale » attestant que celle-ci émane bien de l’émetteur mentionné. Son dirigeant, Jérôme Lascombe explique (4) : « Cela permet de parer les fake news financières, d’éviter les manipulations boursières et de protéger les intérêts de leurs actionnaires tout en préservant la réputation de leurs dirigeants ».
La veille réputationnelle est obligatoire
Pour autant, la fake news peut également naître ex-nihilo et connaître une propagation plus latente et lente mais non moins terrible. Sur cet aspect, il n’y a pas des milliers d’options à activer. Seule la mise en place d’une veille réputationnelle solide permet de repérer les signaux faibles avant que ceux-ci ne dégénèrent en fake news mortifère. A chaque détection, il conviendra alors de riposter de manière appropriée et surtout en évitant d’être soi-même le catalyseur. Il ne s’agit effectivement pas de contribuer à nourrir l’infox en cours de formation mais à l’éradiquer habilement.
Sans une veille digne de ce nom, la réputation de l’entreprise prête le flanc aux attaques et aux falsifications. Avec le risque de métastases encore plus complexes à gérer et une empreinte réputationnelle fortement endommagée auprès des collaborateurs, des clients, des médias et des diverses parties prenantes formant l’écosystème d’une entreprise. A l’instar d’un vaccin, une veille réputationnelle ne préserve pas de tout mais peut nettement contribuer à amoindrir les coûts imputables à une fake news.
Sources
– (1) – Benoît Berthelot & Philippe Eliakim – « Fake news : comment les théories du complot fragilisent notre économie » – Capital.fr – 20 avril 2021
– (2) – « Les intentions de vaccination des Français en chute de 14 points depuis octobre dernier » – Etude Ipsos pour le Forum économique mondial – 4 janvier 2021
– (3) – Benoît Berthelot & Philippe Eliakim – « Fake news : comment les théories du complot fragilisent notre économie » – Capital.fr – 20 avril 2021
– (4) – Maurice Midena – « La Blockchain Pour Combattre Les Fake News ? » – Forbes.fr – 21 octobre 2019