[Dircom du Mois] – Benjamin Parrot (RC Lens) : « La réputation d’un club se gagne en gouttes mais peut se perdre en litres ! »

Une fois n’est pas coutume, le Blog du Communicant a rencontré un directeur de la communication qui n’est pas issu d’une grande entreprise traditionnelle mais d’un club de football, le Racing Club de Lens, brillant dauphin du Paris Saint-Germain lors du dernier championnat de France. Au cours d’un entretien passionné, Benjamin Parrot détaille les multiples enjeux réputationnels qu’un club professionnel doit relever en permanence et partage sans langue de bois ses convictions en matière de communication où la créativité doit se conjuguer avec l’efficacité et le pragmatisme. Interview exclusive.

Jusqu’à présent, vous avez accompli l’essentiel de votre carrière professionnelle en occupant des fonctions de communicant dans des clubs sportifs. D’abord à Limoges dans le mythique club de basket français aujourd’hui en pleine renaissance puis dans le football au sein de deux clubs, également piliers historiques du championnat de France, le Stade de Reims puis le Racing Club de Lens que vous avez rejoint en 2022. Vos stratégies de communication ont été à chaque fois couronnées de succès. Qu’est-ce qui différencie votre approche par rapport à d’autres clubs qui ont généralement une stratégie très encadrée (voire standardisée) au point de manquer souvent d’authenticité et de proximité pour privilégier avant tout le marketing et la vente de produits dérivés et verrouiller la communication ?

Benjamin Parrot : Personnellement, je n’opère pas un distinguo entre communication et marketing d’autant que j’ai la responsabilité de ces deux champs d’expertise au sein du RC Lens. Les deux sont intimement liés, ils fonctionnent même de pair. Le marketing définit un territoire de marque que la communication va faire vivre. Ensuite, il y a effectivement des manières différentes d’appréhender et d’exécuter cette mise en œuvre une fois que l’on est au clair avec l’image du club que l’on souhaite cultiver en interne et en externe.

Dans le football, il y a énormément de communication autour des clubs. L’enjeu est donc déjà de parvenir à se différencier et à attirer l’attention sans jamais renier les caractéristiques intrinsèques de l’ADN d’un club, qui est son capital le plus singulier et le plus précieux. En matière de stratégie de communication, le premier tournant marquant a été celui pris par le Toulouse FC qui a choisi d’adopter un ton décalé dès les années 2010/2015 pour s’adresser à ses communautés avec des rebonds sur les commentaires des fans sur les réseaux sociaux et même une certaine auto-dérision. C’était le début d’une communication horizontale et celui-ci a été inspirant.

Lorsque j’ai rejoint le Stade de Reims en 2015 comme directeur communication et marketing, le premier enjeu a été de définir un positionnement. A l’époque, le projet était de préempter un terme puissant, trait d’union entre le passé et le présent, celui « d’institution du football ». L’ambition était de se réapproprier l’histoire du club et rappeler qui était le SDR. Puis d’institution, nous avons basculé à « maison de football » avec une identité plus moderne, un clin d’oeil aux maisons de champagne et fruit d’une volonté d’adopter une communication plus souriante, ouverte et notamment d’ériger le Président en personnage paternaliste du football dans un milieu parfois déshumanisé et inondé de fonds étrangers. On a alors imaginé des campagnes impactantes, bourrées de clins d’œil et de références humoristiques. La croissance du club a été importante et le travail remarqué.

Quand je suis arrivé à Lens en 2021, j’ai repris le même travail que tout dircom & marketing entreprend, à savoir établir un diagnostic et définir une stratégie. Ici, ce qu’il fallait mettre en perspective, c’est la puissance du collectif et l’expérience que l’on vit au stade Bollaert. La tonalité de notre communication a pris des accents événementiels avec une narration du réel à l’instar de la prolongation de contrat du capitaine, Seko Fofana en toute fin de mercato. On a immortalisé l’événement en organisant une signature officielle dans le rond central après un match disputé dans le stade mythique de Félix-Bollaert-Delelis devant 37 000 spectateurs (voir vidéo ci-dessous). Cela a eu un très fort retentissement et a de surcroît montré les valeurs qui fondent le RC Lens, à savoir l’authenticité, la ferveur, le collectif. Toutes ses actions doivent en effet découler du positionnement de marque et ne pas être des artefacts de communication juste pour le buzz. Il faut incarner avec véracité. Pas uniquement faire des coups de com.

https://youtu.be/o0_8dR4s7k8

Au journal L’Equipe, vous expliquiez en mai dernier qu’une stratégie de communication qui fonctionne, requiert d’abord l’adhésion des différents entités du club. Surtout lorsqu’elles sont sollicitées pour contribuer à certaines opérations de communication. Les joueurs en particulier. C’est une démarche peu commune dans le football professionnel où les joueurs ne sont pas forcément consultés. On se souvient d’ailleurs du mécontentement public de Kylian Mbappé en avril 2023 à propos de la vidéo de la campagne de réabonnement pour la saison 2023/2024 pour laquelle la direction du PSG avait misé uniquement sur l’image du joueur sans demander son avis. Comment travaillez-vous avec les joueurs pour les convaincre, voire amender ou enrichir votre projet initial ? Pourquoi sollicitez-vous autant leur regard ainsi que celui du staff ?

Benjamin Parrot : Sincèrement, le mécontentement de Kylian Mbappé me semble tout à fait légitime. On évoque régulièrement les « obligations contractuelles d’un joueur » comme consentement systémique mais quel salarié accepterait de mettre son image en jeu dans un cadre qui n’est pas parfaitement défini ? C’est une question de clarté et de respect. On ne peut rien faire de bien sans l’adhésion des personnes concernées sinon on verse dans un storytelling formaté qui sera en fin de compte peu efficace. J’estime qu’il faut d’abord sonder les intéressés, obtenir leur engagement et même parfois échanger sur des idées tout en étant maître du principe de spécialité. En tissant ce lien de confiance, les joueurs se sentent impliqués dans la démarche. En avril 2022, nous avons par exemple imaginé une grande collecte pour le Don du Sang au stade durant la journée qui précédait un match de championnat. Un joueur, Yannick Cahuzac, avait particulièrement à cœur de participer. Nous avons eu l’idée de floquer au dos du maillot les groupes sanguins de chaque joueur pour sensibiliser le public. Devant le succès, nous avons renouvelé cette activation cette année avec des joueurs qui incitaient les fans dans des vidéos à venir donner leur sang.

Toujours cette année, nous avons également soutenu une cause défendue par notre gardien de but, Brice Samba : la lutte contre la discrimination raciale. Symboliquement, les joueurs ont évolué durant la rencontre contre Angers avec leur numéro habituel mais avec le nom d’un de leurs coéquipiers inscrits dans le dos. Associer ceux qui font vivre le club est aussi une mission de la communication. Cela renforce l’engagement et l’impact du message que l’on veut délivrer.

Cette saison, on a pu remarquer que vous cherchez à innover constamment en n’hésitant pas à tester des idées un peu provocatrice même si cela reste bon enfant. Notamment en trollant le PSG sur la polémique du char à voile et des voyages en avion. En revanche, une vidéo humoristique se moquant de l’arbitrage et son recours à la technologie de la VAR suite à un match un peu agité entre Brest et Lens, a reçu un accueil assez froid de la part des autres clubs qui n’appréciaient la tonalité plaintive des propos. Jusqu’où peut-on s’autoriser à pousser les lignes sans pour autant mettre en péril la réputation du club ou générer de l’agressivité ?

Benjamin Parrot : Le football doit gagner en légèreté. C’est toujours un exercice un peu particulier lorsqu’on ose faire bouger les lignes, j’en conviens. Tout ce qu’on gagne en gouttes, peut parfois se perdre en litres si on se trompe. Mais à mon sens, cela vaut le coup de prendre des risques calculés. Dans les enquêtes d’opinion, le club lensois est toujours très bien classé avec en moyenne 75% de perception favorable et très favorable. On a l’image d’un club sympa mais être gentil n’est pas une qualité dans le sport de haut niveau. Cela peut donner l’impression qu’on accepte tout, y compris les erreurs d’arbitrage. Lors du match auquel vous faites référence, il était capital de faire entendre notre point de vue à propos d’une décision arbitrale non pertinente et pourtant validée par la VAR. Si jadis, on disait que l’arbitre peut se tromper, aujourd’hui il ne faut pas oublier qu’il est aidé par des outils de pointe.

Dans l’arsenal du communicant, il y avait plusieurs options. Soit diffuser un communiqué ferme mais avec le risque de tomber dans une position victimaire. Soit une prise de parole d’un dirigeant mais avec l’éventualité que les paroles soient déformées ou réduites dans les médias. Soit faire circuler les images vidéo en y intégrant de l’humour. C’est cette voie que nous avons choisi pour nous faire entendre (voir vidéo ci-dessous). c’était une communication tactique qui précédait les annonces des dirigeants du club en faveur de l’arbitrage. Notre objectif était de sensibiliser pour ouvrir un débat sur l’amélioration de l’usage de la technologie dans l’arbitrage. Il faut être lucide. Sans cette campagne, qui aurait regardé les images d’un Brest-Lens ? Sans une médiatisation constante, il était clé de trouver d’autres leviers pour faire valoir nos convictions.

https://youtu.be/1Mu9vq_v5Kg
Un ton volontiers moqueur pour dénoncer des erreurs d’arbitrage

Aujourd’hui, la grande majorité des joueurs professionnels dispose de comptes Instagram, Twitter et même TikTok. Pour les vedettes, ces comptes sont essentiellement administrés par des community managers qui ne font pas partie du club. Avez-vous des interactions régulières avec eux pour préserver une certaine cohérence entre la communication du RC Lens et la communication du joueur ?

Benjamin Parrot : Oui, tout à fait. Je crois peu au côté coercitif et universel d’un médiatraining. L’enjeu pour nous est d’aider les joueurs à prendre conscience que la parole d’un footballeur professionnel est associée à des attendus. Elle implique un niveau de responsabilité. Mon approche consiste avant tout à responsabiliser chacun et sensibiliser aux pièges les plus récurrents. Mais en aucun cas, je ne souhaite aseptiser la parole d’un joueur. La communication est une science humaine. C’est l’art d’édicter des règles collectives tout en respectant l’individu. Chacun a sa personnalité, ses convictions, son tempérament et s’il veut dire des choses, je ne veux pas brider à condition que cela reste évidemment correct et en cohérence avec le discours du club sur les sujets collectifs. Dans le sport, on soutient une équipe mais on s’attache à des joueurs. Par leur style sur le terrain mais aussi par leur personnalité en dehors. C’est donc important de rester dans le réel tout en balisant ce qui peut compromettre la réputation d’un joueur.

A contrario avec les plus jeunes, le problématique est un peu différente. Pour les réseaux sociaux, il n’y a pas vraiment besoin de leur expliquer. Ils sont nés avec et maîtrisent les codes de TikTok, Twitter, Instagram, etc. Eux, il faut plutôt les convaincre de parler plus régulièrement aux médias ! Ils ne comprennent pas toujours qu’à travers les médias, on s’adresse au plus grand nombre et pas uniquement à la communauté des fans qui vous suivent sur les réseaux sociaux.

Mais sur ces réseaux sociaux, il n’y a pas que les joueurs qui peuvent éventuellement poser un problème. Beaucoup de rumeurs de transfert et d’informations approximatives circulent, souvent initiées par certains agents, certains journalistes depuis leur compte personnel ou encore des petits influenceurs ou médias émergents football qui cherchent à gonfler leur audience en spéculant sur tout et n’importe quoi. Il faut constamment garder l’œil pour ne pas être pris au dépourvu et répliquer le cas échéant si c’est nécessaire.

Les clubs de football sont souvent rattrapés par des controverses sociétales. En Espagne et en Italie, on note que le racisme pollue régulièrement l’image de certains clubs à cause de supporters extrémisés. La question des salaires est également une pomme de discorde. Même si les Sang & Or n’ont pas l’effectif le plus dispendieux, les revenus des joueurs sont à des années-lumière de la population nordiste. La pratique du ramadan a également perturbé certains vestiaires. Comment parvient-on à positionner le club sur toutes ces questions qui peuvent être clivantes ?

Benjamin Parrot : Je suis toujours surpris par cette propension globale à exiger du football de régler des problèmes de société qui le dépassent largement. D’ailleurs, dans les conférences de presse, je note que le nombre de questions qui ne traitent pas du match à venir a tendance à augmenter de façon exponentielle. Mon rôle consiste alors à accompagner et préparer le coach pour qu’il puisse formuler des réponses fidèles à ses pensées mais sans que cela génère des interprétations hasardeuses, sources de controverses médiatiques sans fin. Là encore, je le répète, il ne s’agit pas de débiter un discours sans aspérité et très formel. Nous n’avons simplement pas vocation à devenir des boucs émissaires sur des problématiques plus globales. Parce qu’il est associé à une économie florissante, le sport professionnel devrait être exemplaire. Est-ce un raisonnement tenable ?

En revanche, nous avons, en tant que club, la responsabilité de nous positionner sur des sujets majeurs avec une contribution concrète à notre échelle. L’exigence sociétale est par exemple de plus en plus forte sur les questions environnementales qui vont des modes de transport utilisés par les joueurs et leurs impacts carbone jusqu’à l’eau consommée par arroser les pelouses des terrains d’entraînement et du stade. Les clubs ont enfin pour la plupart, créé des fondations mais il ne faudrait pas que ces instances viennent à elles seules répondre aux problématiques sociétales.

Imaginons que le RC Lens connaisse une prochaine saison compliquée sur le plan des résultats sportifs (je ne le vous souhaite évidemment pas !) qui génère la grogne des groupes de fans, la désaffection du public ou même des actions « coup de poing » contre des joueurs comme c’est assez souvent le cas lorsqu’une formation perd ou propose un spectacle indigeste. Travaillez-vous sur des scénarios anticipatifs pour prévenir et atténuer de potentielles crises ?

Benjamin Parrot : Contrairement à une entreprise classique, les choses concernant d’éventuelles crises ne se posent pas dans les mêmes termes pour un club de football. Notre temporalité, c’est avant tout le présent et le futur proche qui est le match à venir, la blessure d’un joueur clé, un mauvais résultat, une rumeur de transfert. Les clubs sont des entreprises en permanence sur le grill dont l’agilité communication est de fait aiguisée. Un sujet en chasse vite un autre dans les médias et nous nous devons d’être en permanence réactifs et capables de répondre clairement et factuellement en toutes circonstances.

Evidemment, nous ne sommes pas à l’abri d’autres sujets sensibles extra-sportifs comme il en survient parfois dans les clubs. Je suis en permanence l’actualité. Un dircom est en effet un capteur de signaux faibles et éventuellement un donneur d’alerte si un sujet très sensible commence à poindre et peut menacer la réputation du club.

https://youtu.be/5WG_Myq-xfg
La ferveur du public lensois fier de ses racines et de renouer avec l’Europe

L’an prochain, l’hymne de la Ligue des Champions retentira au moins trois fois au stade Félix-Bollaert. Le RC Lens entre dans une nouvelle dimension. Allez-vous continuer à cultiver ce ton sympathique qui met notamment en avant l’ancrage local du club qui est relié à l’histoire des mines de charbon ou envisagez-vous d’autres idées pour toucher un public européen plus vaste, Lens n’étant de surcroît pas une ville forcément connue à l’étranger et localisée comme telle sur la carte de France ?

Benjamin Parrot : Notre défi, c’est d’apporter une tonalité moderne à une aire qui constitue le terreau de la région du club, celle des mines. A cela, nous allons nous efforcer d’apposer un accent plus international la saison prochaine mais nous n’allons pas nous travestir pour autant au motif que nous disputons la Ligue des Champions et que nous serons beaucoup plus visibles dans l’Europe du football. Le RC Lens incarne et incarnera toujours un région qui a longtemps été imprégnée par l’activité des mines de charbon. Même si le contexte a changé, l’historique demeure. D’ailleurs, lors de chaque fin de saison, le club (via ses dirigeants) a coutume depuis 2020 de remettre aux joueurs, une authentique lampe de mineur pour souligner la transmission de ce patrimoine, saison après saison (voir vidéo ci-dessus).

Un preuve que le cap communicationnel ne doit pas changer : pour célébrer la qualification, nous avons réalisé une petite vidéo où le coach mène à la baguette son orchestre de joueurs qui jouent ensemble l’hymne officiel de la Ligue des Champions. Un hommage aussi aux orchestres à vents très répandus dans la région et une allégorie du collectif. On peut tout à fait garder les pieds dans le bassin minier et avoir la tête dans les étoiles !

https://youtu.be/x8U34_ztLyM
Les joueurs du RC Lens jouent l’hymne officiel de la Ligue des Champions sous la baguette de Franck Haise


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