[Com de Crise] – L’excellente réponse du gouverneur de la Banque de France à un article biaisé du Monde

Dans un article paru le 17 mai, Adrien Sénécat, journaliste au Monde, a durement mis en cause le montant des notes de frais de François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France. Sur l’exercice 2023, le haut-fonctionnaire a dépensé plus de 50 000 € de frais professionnels. Se présentant comme une enquête des Décodeurs du Monde, l’article est cinglant et dénonce un comportement dispendieux. La communication de la Banque de France n’a guère tardé à mettre nettement les choses au point. Retour sur une bonne pratique de communication de crise.

J’avoue que le journal m’est quelque peu tombé des mains (oui, je lis encore des versions papier !) lorsque j’ai lu l’article d’Adrien Sénécat. D’abord parce qu’il s’agit d’un journaliste dont j’apprécie la plupart du temps, les papiers fouillés et informatifs sur divers sujets économiques et financiers. Mais dans ce cas précis, les éléments mis à disposition sous sa plume, m’ont semblé bancals et biaisés, relevant même d’un certain militantisme approximatif et plutôt dérangeant in fine. Familier des univers corporate, un tel montant n’a rien d’astronomique à mes yeux (c’est même plutôt chiche), surtout s’il est en plus dépensé en toute régularité dans le cadre d’activités de représentation professionnelle.

Un portrait acide

Ainsi, apprend-on que François Villeroy de Galhau aurait claqué 50 700 euros en 2023 pour assouvir une propension immodérée pour les hôtels de luxe et les sièges confortables de la 1ère classe des compagnies aériennes durant ses déplacements professionnels. L’article se poursuit de manière tout aussi acide avec des exemples glanés parmi les pérégrinations du gouverneur de la Banque de France en citant notamment des vols long-courrier à plus de 4 800 € le fauteuil, des billets première classe pour le train et des séjours dans des cinq étoiles, avec toujours un chiffre précis au centime d’euro près, histoire de montrer que le journaliste détient bel et bien des informations béton.

L’inventaire à la Prévert est bien évidemment accompagné de commentaires outrés et acrimonieux émanant de deux figures syndicales de la Banque de France avec d’abord la CGT (1) : « Il y a une forme d’indécence dans ces pratiques, alors qu’il est venu pour faire baisser la masse salariale globale et réduire les effectifs ». Puis, c’est au tour du collectif d’agents publics Nos services publics de s’égosiller (2) : « Il y a des restrictions extrêmement importantes pour tous les agents, y compris de haut niveau, sauf à de rares exceptions ». Et l’article de se conclure en soulignant un manque global de transparence des institutions financières sur les avantages professionnels qui leur sont octroyés.

Un « scandale » qui émeut visiblement un confrère de Libération qui publie à son tour un article à charge en reprenant quasi in extenso les arguments avancés dans le Monde.

Un peu de nuance ne nuit pas

Pour quiconque ayant évolué et travaillé dans des grands groupes internationaux (ce qui a longtemps été mon cas) et des institutions ayant de nombreuses sollicitations à l’échelle mondiale, le pseudo-scoop d’Adrien Sénécat s’apparente plutôt à de la vinasse éventée. J’ai eu personnellement à gérer en tant que directeur de la communication, certains déplacements de grands PDG sur des événements organisés par l’entreprise. Les factures étaient autrement plus somptuaires et à des années-lumière des malheureux 50 000 euros brandis comme des dépenses exorbitantes de la part de François Villeroy de Galhau.

C’est un fait que les hauts dirigeants fréquentent des hôtels haut de gamme, empruntent des vols dans des conditions plus agréables (voire affrètent des jets privés autrement plus coûteux qu’un billet de 1ère classe sur une compagnie régulière) et sont souvent conduits par des chauffeur de grande remise plutôt que des taxis et des VTC. On peut certes parfois s’en émouvoir car les sommes engagées ne sont pas toujours neutres. Néanmoins, il convient de préciser aussi qu’il y a des impératifs de sécurité (des lieux neutres à l’accès filtré, des gardes du corps, etc) et d’efficience professionnelle (tenue de réunions dans un avion ou un train avec nécessité de privatiser, besoin de confidentialité et de rapidité) lors de ces voyages.

Une communication réactive et précise

Quand on lit le détail des différentes prestations consommées par le gouverneur de la Banque de France, il n’y a vraiment pas de quoi s’étrangler de colère même si effectivement, les sommes à trois ou quatre zéros ont souvent tôt fait de faire fantasmer le quidam moyen peu coutumier à dépenser de pareils montants. Conscient d’un possible effet délétère sur l’image de François Villeroy de Galhau, la direction de la communication dirigée par Fabrice Hermel, a immédiatement pris le pouls de la situation générée par cet article que l’on qualifiera poliment de partial.

Peu de temps après la publication de ce dernier, l’institution bancaire a aussitôt dégainé un communiqué de presse pour remettre les choses dans leur contexte, à commencer par préciser haut et fort que les chiffres mis en avant par le journaliste ont été fournis … par la Banque de France elle-même ! Etonnant donc quand le même reporter se plaint d’une transparence lacunaire. C’était effectivement le bon réflexe à avoir. Le communiqué a été mis en ligne sur le site de la Banque de France mais également, au titre du droit de réponse, à la suite de l’article d’Adrien Sénécat sur le site du Monde.

Les 4 « C » : carré, clair, concret et courtois

Autres bonnes pratiques à noter dans cette réponse immédiate : le ton carré, clair, concret et courtois du texte. Après une introduction qui explique que tous les éléments et détails avaient déjà été fournis au journaliste, le communiqué remet en avant des explications circonstanciées et nuancées concernant les dépenses les plus élevées et rappelle par ailleurs utilement des exemples où le gouverneur n’a pas hésité à prendre une nuit d’hôtel à 88 € à Grenoble (qui compte pourtant des établissements huppés) ou encore le recours au train pour les trajets en France et à Francfort, siège de la BCE (Banque centrale européenne).

La conclusion du communiqué s’achève sur des questions (fort pertinentes) à l’égard des motivations réelles du journaliste qui l’ont conduit à tronquer son récit pour conférer au gouverneur, un profil de pacha au panier percé (3) : « qu’est-ce qui justifie une telle attaque personnelle et sans fondement ? Est-ce la volonté de nuire à la Banque de France, et de l’empêcher de réaliser ses missions européennes et internationales ? Est-ce pour faire taire une des voix indépendantes, qui éclaire effectivement – sans jamais polémiquer – sur notre situation de finances publiques ? Est-ce pour bloquer, sous pression notamment d’une organisation syndicale en particulier que vous citez dans l’article, la transformation du grand service public qu’est la Banque de France, dont les 9 000 hommes et femmes sont attachés à rendre aux Français des services encore meilleurs au meilleur coût ? Est-ce pour céder à une tentation populiste que votre journal dénonce souvent par ailleurs ? ».

Ce genre de dérapage n’est malheureusement pas une première même si dans l’immense majorité des cas, le travail des journalistes en France est de bonne facture, notamment en presse écrite. Personne n’est évidemment à l’abri d’incompréhensions ou de mauvaises interprétations d’informations qui sont confiées par une entreprise ou une institution. Mais dans ce cas précis, il y a de quoi être dubitatif. Est-ce, de la part du journaliste, une absence de connaissance des pratiques des entreprises ? Personnellement, je n’y crois pas d’autant qu’Adrien Sénécat couvre régulièrement nombre de grandes entreprises. Au bout du compte, peu importe. Ce qu’il faut retenir de cette anecdote est la promptitude de la communication à répliquer, recontextualiser et renvoyer la balle. Le tout avec une tonalité sans ambages, sans agressivité et avec fermeté. Et en exigeant un droit de réponse dans le média concerné.

Sources

– (1) – Adrien Sénécat – « Hôtels de luxe et vols en classe affaires : les notes de frais du gouverneur de la Banque de France en question » – Le Monde – 17 mai 2024
– (2) – Ibid.
– (3) – Communiqué de presse de la Banque de France – 17 mai 2024



4 commentaires sur “[Com de Crise] – L’excellente réponse du gouverneur de la Banque de France à un article biaisé du Monde

  1. pas-dupe  - 

    Le Monde d’Hubert Beuve-Méry estait un vrai journal. Puis Colombani et Plenel sont arrivés et l’ont perverti un canard chergé de diffuser leur ligne rédactionnelle politiKement KorreKte soit-disant de gôche, pour essayer d’aurmenter le tirage auprès des bobos germanopratins. Aujourd’hui c’est un torchon qui ne cesse plus d’utiliser les mises en cause détournées, les insinuations malhonnêtes, les dossiers montés à charge, et inventent des secenarios qu’il veut faire passer pour des réalités. C’est bien triste. Mais à défaut de respecter ses lecteurs en les informant objectivement, il lui lui resterait encore une utilité. Mais le papier est moins doux que celui qu’on utilise actuellement dans certain endroit isolé de la maison …

  2. Antoine PERNOD  - 

    Merci Olivier pour cette analyse qui souligne la qualité de la réaction de la Banque de France.
    Je ne suis malheureusement pas surpris du papier évoqué. Il m’est également arrivé d’être confronté à ce genre d’attaque aux sources fragiles, biaisées et au ton de redresseur de tort (ce que l’on pourrait appeler le ton « Cash investigation »).
    Et parfois, les journalistes sont (sans parfois le réaliser) les « idiots utiles » d’intérêts qui les dépassent et les instrumentalisent. J’ai en tête un exemple précis de manipulation sur la bases de chiffres justes mais incomplets et biaisés mais surtout d’analyses faussées ou fausses. Curieusement c’était le même journal. Et après enquête nous avons retrouvé qui cherchait à profiter (après l’avoir monté) de cette fragilisation de l’entreprise.

    1. Olivier Cimelière  - 

      Merci Antoine. Tu fais bien de rappeler que les journalistes sont également objets de manipulation. Lorsque j’étais tout jeune journaliste, mon rédacteur en chef me répétait plusieurs fois de toujours m’interroger sur qui me donnait spontanément des infos et quelles pouvaient être ses réelles motivations à le faire.

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