Le gouvernement fait la chasse aux rumeurs sur Twitter. Une bonne idée ?

Entre mauvaise foi politicienne et intox propagandiste, le gouvernement actuel est perpétuellement sous le feu des critiques mais également sous celui d’une certaine forme de désinformation alimentée par des opposants de tous bords. Pour contrer les rumeurs, la cellule communication de l’Elysée vient de lancer un compte Twitter spécialement dédié au fact-checking. Approche pertinente ou combat vain ?

Face à l’infobésité galopante qui n’en finit plus de charrier tout et son contraire, difficile effectivement de se forger une opinion valide sur un sujet donné sans se faire happer par la rhétorique mensongère de certains. Le défi devient d’autant plus ardu lorsqu’il s’agit en plus de la communication du gouvernement français. Confronté depuis des mois à une impopularité record et encalminé dans un contexte sociétal de défiance exacerbée à l’égard des décideurs politiques, l’exécutif national est devenu la cible où se cristallisent toutes les oppositions, y compris celles prêtes à jouer de la rumeur ou de l’intox pour convaincre l’opinion publique que le pouvoir ment systématiquement. C’est dans cette optique que l’équipe communication élyséenne a lancé le 30 mars, un compte Twitter pour rectifier et/ou démonter les informations déformées et/ou absurdes qui circulent sur les réseaux sociaux.

Un enjeu de vérification devenu majeur

Elysée - compte TwitterIl fallait oser mais le gouvernement n’a pas reculé. Depuis le 30 mars, il dispose d’un compte Twitter anti-rumeurs. A son tour, l’Etat français recourt à cette technique journalistique en vogue qu’est le fact-checking. Consubstantiel au journalisme depuis qu’il existe, le fact-checking a néanmoins connu un regain d’intérêt à l’orée de l’année 2004. A cette époque, les Etats-Unis, médias en tête, viennent de découvrir l’ampleur des mensonges opérés par l’administration Bush pour justifier une intervention militaire en Irak visant à destituer le dictateur Saddam Hussein. C’est dans un contexte de défiance accrue que vont par conséquent se forger les premiers pas du fact-checking.

Depuis, la technique n’a jamais cessé de conquérir de nouveaux adeptes à mesure que réseaux sociaux et sites se disant de « ré-information » ou « contre-information » charriaient quantité de contenus censés dire l’exacte vérité que décideurs politiques et économiques cacheraient en permanence à l’opinion publique. Aujourd’hui, il n’est quasiment plus un média qui ne soit pas doté d’une cellule de vérification des faits et des déclarations des acteurs de la vie publique. Face à la vitesse de propagation et la prolixité des théories conspirationnistes ou tout simplement des adversaires et concurrents prêts à tout pour écorner une réputation, l’enjeu de vérification est effectivement devenu un enjeu à temps plein.

C’est précisément dans cette optique que Gaspard Gantzer, le conseiller en communication de François Hollande, a annoncé le lancement du compte Twitter Elysee_Com. Son objectif est relativement simple mais diablement crucial pour un gouvernement en mal de crédibilité comme le détaille le communicant élyséen (1) : « L’idée, imaginée par le patron de la cellule Web de l’Élysée, Frédéric Giudicelli, nous servira à dialoguer avec des citoyens ou des journalistes pour corriger des informations erronées ou imparfaites que l’on a vues sur le Web. Il ne s’agit pas de créer des contenus mais de renvoyer les internautes vers les bonnes sources ».

Des adeptes du fact-checking toujours plus nombreux

Elysée - LEEML’idée a pour l’instant plutôt séduit puisque le profil Twitter enregistre déjà 18 200 abonnés après une semaine d’activité. Un signe tangible de l’intérêt de la démarche même si elle a été stigmatisée par plusieurs acteurs politiques de l’opposition, à commencer par l’inénarrable n°2 du Front National, Florian Philippot. Ce dernier n’hésite pas à qualifier l’approche de « honte pour la France, un rabaissement sans précédent de la fonction présidentielle. Un but : le buzz ». Une réaction étonnante lorsque l’on sait que son propre parti a lui-même inauguré en octobre 2014 une web-série intitulée « Le décodeur Bleu marine » visant à corriger les « approximations » des journalistes à l’égard du Front National !

Lors de la campagne municipale pour la mairie de Paris en 2014, Nathalie Kosciusko-Morizet avait elle aussi recouru à cette tactique de mise en perspective avec une rubrique baptisée « Le Vrai du Faux ». L’objectif affiché était de contrecarrer et démonter les affirmations et les estimations chiffrées de sa principale rivale, Anne Hidalgo. Côté entreprises, l’industrie pharmaceutique à la réputation plus que ternie, n’a elle non plus pas hésité à sauter le pas. Depuis janvier 2012, le Leem (syndicat professionnel des industries du médicament) a mis en ligne un site de fact-checking relatif à son secteur d’activités pour battre en brèche certains préjugés à l’encontre des laboratoires et des croyances médicales. Directeur de la communication du Leem, Eric de Branche explique (1) : « C’est très utile pour combattre les idées reçues sur des sujets complexes, très techniques et facilement mal interprétés ».

Peut mieux faire malgré tout !

Elysée - fact checkingIdées reçues, préjugés, mensonges, rumeurs, désinformation, etc … Les motifs sont en effet nombreux pour que des acteurs autres que les médias s’emparent de cette technique de traitement de l’information. Lors de la conférence Public Reputation Lab qui s’est tenue le 31 mars dernier à Paris, Romain Pigenel, directeur adjoint du Service d’Information du Gouvernement (et pilier par ailleurs de la stratégie digitale de la communication gouvernementale) a utilement rappelé le contexte dans lequel s’inscrit ce nouveau compte Twitter : « La parole de l’institution n’est plus garantie de véracité aux yeux du public. La culture descendante avec le tampon gouvernemental ne suffit plus ».

L’approche retenue par ce compte Twitter veut donc justement sortir de cette communication officielle. Interrogé sur le contenu proposé, Gaspard Gantzer insiste clairement sur le fait qu’il ne s’agit pas de créer des contenus pour contrer une opposition mais plutôt renvoyer les internautes vers des sources adéquates. Pourtant, à la lecture des premiers échanges avec les twittos, on est quelque peu surpris par les sources indiquées. La majorité d’entre elles provient de sites gouvernementaux mais beaucoup plus rarement de sites tiers faisant également autorité (à ce jour, 2 retweets seulement d’articles de médias).

Dans un environnement où la parole gouvernementale est suspecte (à tort ou à raison) et quasi systématiquement contestée, le fait d’articuler sa ligne éditoriale uniquement sur du contenu officiel n’est pas forcément gage de succès à terme. Objectiver sa parole pour tenter de contrebalancer une fausse information nécessite de s’appuyer aussi et surtout sur des analyses tierces. Si l’idée en soi de déminer les rumeurs et la désinformation est plutôt pertinente, elle ne se traduit pas encore au regard des tweets actuels par un effort accru pour orienter l’internaute vers des sources variées. Attention par conséquent au piège du discours autocentré. Non seulement, il ne sera pas suffisant pour contrebalancer efficacement les incohérences assénées par d’autres acteurs mais il pourrait en plus à terme devenir contre-productif s’il ne s’enrichit pas de contenus fiables n’émanant pas automatiquement de sources sous tutelle étatique.

Sources

– (1) – le Scan politique – « L’Elysée se dote d’un compte Twitter pour démonter les rumeurs » – Le Figaro – 30 mars 2015
– (2) – Delphine Masson – « A l’épreuve du fact-checking » – Stratégies – 15 mars 2012



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