Marissa Mayer : PDG de Yahoo ou pin-up pour Vogue ?

En acceptant de poser alanguie et sexy sur un canapé pour le magazine Vogue, Marissa Mayer, PDG de Yahoo a déclenché une virulente polémique aux Etats-Unis. Au-delà du très égotique portrait qui est brossé sur celle qui tient les rênes de Yahoo depuis 2012, se pose surtout la question cruciale de la pipolisation des dirigeants d’entreprise.

Outre un cadrage et une mise en scène photographique plutôt déroutants, le cliché de Marissa Mayer a de quoi laisser perplexe. Un tel reportage complaisant et fleurant « bon » les éléments de langage, assorti de poses en version pin-up des affaires, constitue-t-il en effet une priorité pour un dirigeant d’entreprise en termes de réputation ? La question a en tout cas suscité moult commentaires outre-Atlantique.

Et pourquoi pas elle ?

60% d'opinions positives selon un sondage CNBC

60% d’opinions positives selon un sondage CNBC

Marissa Mayer est loin d’être la première femme dirigeante à succomber aux délices de l’autopromotion médiatique. Issue de la même génération que la n°1 de Yahoo, Sheryl Sandberg, directrice générale de Facebook, a également alimenté un solide tohu-bohu communicant autour de la publication de son livre manifeste « Lean in – Women work and the way to lead » paru début 2013. Dans son ouvrage, elle exhorte les femmes à ne pas sacrifier leur carrière professionnelle pour les fourneaux et les couche-culottes et à prétendre sans complexes aux plus hautes responsabilités en entreprise. Un juste combat qui l’a alors propulsée comme jamais sur le devant de la scène médiatique.

Dès lors, pourquoi s’étonner que Marissa Mayer veuille emboîter le pas de sa consœur et apparaître également comme une femme séduisante et féminine et pas seulement une ingénieure à la tête d’un des géants du Web américain ? La chaîne de télévision CNBC a d’ailleurs effectué un sondage en ligne pour mesurer la perception du public à l’égard du reportage glamour de Vogue. Sur près de 4000 réponses enregistrées, 60% des personnes jugent que la photo de Marissa Mayer est appropriée. Dès lors, comment expliquer le concert de cris d’orfraie qui s’est pourtant ensuivi lors de la parution de Vogue ?

Un pied de nez au combat féministe

Ses détracteurs préfèrent Marissa Mayer dans ce rôle !

Ses détracteurs préfèrent Marissa Mayer dans ce rôle !

Les détracteurs les plus acerbes sont venus du camp des militantes féministes. Avec des arguments massue pour dénoncer ce qu’elles considèrent comme un méchant coup de canif dans la cause qu’elles s’évertuent à défendre depuis des décennies. Ainsi, la sociologue et sexologue américaine Pepper Schwartz déclare avec un grand désappointement (1) : « Quel est l’enseignement à tirer pour toutes les femmes qui ne seraient jamais assez belles pour faire ça, mais qui sont assez intelligentes pour faire leur travail? Doivent-elles se sentir inférieures à Marissa parce qu’elles ne sont pas qualifiées pour poser dans Vogue? Marissa ne pouvait-elle pas faire des photos dans lesquelles on la verrait comme une chef d’entreprise classe et jolie, plutôt qu’un canon qui expose ses jolies jambes et ses chaussures à 1000 dollars ? ».

Sur un registre similaire, les femmes impliquées dans l’univers du numérique n’ont guère été tendres avec l’initiative de Marissa Mayer. Patrice Grell Yursik, créatrice d’Afrobella.com, un blog à succès sur la culture et la beauté afro, assène (2) : « Quand GQ ou Esquire fait le portrait de quelqu’un de ce niveau, ils ne lui demandent pas de déboutonner sa chemise et de poser de façon suggestive avec tout un tas d’accessoires ». Autre actrice du numérique aux USA, Anna Nicole Moose est encore plus cinglante. Pour elle, ce cliché va à l’inverse de la cause féminine (3) : « Nous luttons si durement pour être où nous sommes et prouver que là où nous sommes n’est pas le fait de nos corps séduisants, nos seins généreux ou notre charmant minois ». Autant l’étendard brandi par Sheryl Sandberg avait été plutôt bien accueilli, autant l’escapade « gloss » de Marissa Mayer ne lui a pas fait gagner des points en popularité parmi les femmes entrepreneuses et managers !

Pipolisation = Réputation à risque

Au-delà du légitime combat féministe pour une meilleure représentativité des femmes dans les organigrammes des sociétés, le reportage de Vogue pose une autre question sans doute encore plus cruciale car elle peut avoir des conséquences réputationnelles qui dépassent le simple périmètre réputationnel de la personne en question. En soi, l’interview ne révèle pas grand-chose de Marissa Mayer. Les réponses alternent une candeur primesautière un peu nunuche et une odeur de relecture au scanner de son service de communication. En revanche, est-ce vraiment le rôle d’un(e) haut(e) dirigeant(e) de s’exhiber ainsi en surjouant la vamp hollywoodienne à la tête d’un Yahoo qui vient ce mois-ci de dépasser à nouveau Google en termes d’audience Web aux Etats-Unis ?

Jean-Marie Messier fut un adepte de l'exposition médiatique à outrance

Jean-Marie Messier fut un adepte de l’exposition médiatique à outrance

Il est évident que les ressorts nombrilistes de Marissa Mayer sont fortement à l’origine de cette narcissique exposition sur papier glacé. Dans son excellent livre témoignage sur les débuts de Google dont Marissa Mayer fut l’une des tous premiers employés, l’ancien directeur marketing Douglas Edwards brossait déjà un portrait d’une personne fondamentalement individualiste et centrée sur sa petite personne. Mais lorsque les motivations égocentriques commencent à enfler de cette façon et à partir en quête de pipolisation, le risque réputationnel s’accroît d’autant. Pour l’individu mais aussi pour l’entreprise qu’il incarne du fait de sa fonction. Les médias sont particulièrement friands de ces portraits qui percent l’armure médiatique convenue des capitaines d’industrie. Sans aller jusqu’à incarner un dirigeant amidonné et sans âme, les patrons d’entreprise doivent néanmoins veiller à ne pas aller trop loin dans l’exposition personnelle, voire intimiste. Surtout dans des supports médiatiques où la vocation première est de vendre des paillettes, du rêve et du superfétatoire.

En France, il existe un cas célèbre qui fait encore école aujourd’hui. Il s’agit de Jean-Marie Messier, ancien PDG vaniteux de Vivendi. En janvier 2012, l’homme est au fait de sa puissance entrepreneuriale et sa gloire médiatique. On se souvient notamment de cet époustouflant reportage dans Paris Match où le PDG pose sur son lit avec une chaussette quasi élimée et où l’instant d’après il virevolte sur la patinoire de Central Park à New York où il a élu domicile. Son tropisme effréné pour la surexposition médiatique ne sera pas sans générer des réactions mordantes parmi ses pairs et ses adversaires. Aussi, lorsque quelques mois plus tard, est officiellement éventée la débâcle financière abyssale du groupe qu’il préside, la curée sera sardonique et Vivendi traînera longtemps comme un boulet les boursouflures égocentriques de son ex-dirigeant.

Quelles solutions pour dirigeant en mal d’exposition ?

Attention au factice et affecté dont les conséquences peuvent se payer cher

Attention au factice et affecté dont les conséquences peuvent se payer cher

A moins d’être quelqu’un d’absolument atypique comme Richard Branson ou Steve Jobs qui peuvent se permettre de capitaliser sur leur seule personne pour tirer la réputation d’une entreprise, les hauts dirigeants doivent savoir ne pas céder à cette tentation certes bien humaine d’aller toujours plus loin dans la sublimation médiatique de leur personne. Autant leur fonction et leurs responsabilités les amènent à devoir intervenir publiquement, autant il n’est pas absolument nécessaire qu’ils déballent leur carnet intime ou qu’ils se prêtent à de ridicules mises en scène souvent orchestrées plus dans le but d’appâter le lecteur chaland que de raconter un véritable contexte.

Le site américain spécialiste de la vie en entreprise et du management, Inc.com, conseille aux dirigeants de savoir partager le porte-parolat de leur entreprise. Sur l’affaire Marissa Mayer, il a d’ailleurs édicté 5 judicieux conseils à garder à l’esprit en toute circonstance pour ne pas se faire piège ultérieurement par le miroir aux alouettes de l’hagiographie. Il ne faut effectivement jamais perdre de vue que le cycle médiatique est un ogre qui se soucie peu du devenir ou des impacts réputationnels de celles ou ceux qui un jour, se sont abandonnés aux « délices » de la gloriole bricolée à dessein. Dans ce cycle perpétuel où défilent les acteurs, c’est d’abord l’axiome du « Héros un jour, haro l’autre jour » qui gouverne tout.

Si pour Marissa Mayer, le but de figurer dans Vogue en femme fatale était de chasser l’autre image qui lui colle aux basques depuis longtemps, à savoir celle de la geekette robotisée et peu encline à l’empathie, l’effet risque d’être de courte durée. Voire contre-productif si d’aventure, elle renoue avec des déclarations aussi ineptes que celles proférées en mars 2012 au sujet du burn-out comparé à un simple ressentiment personnel et pas une maladie sérieuse. L’humanisation nécessaire de la réputation d’un dirigeant passe par des postures réellement pratiquées, pas par des mascarades lénifiantes à la limite du « cul-cul la praline ».

Sources

(1) – Anaïs Bordages – « Marissa Mayer a-t-elle eu tort de poser pour Vogue ? » – Slate – 22 août 2013
(2) – Matt Wilson – « Too sexy for ya ? Yahoo CEO poses for Vogue? » – Ragan – 22 août 2013
(3) – Ibid.

A lire en complément

– Steve Cody – « (Don’t) Look at me! Marissa Mayer’s Vogue spread » – Inc.com – 20 août 2013
– Christophe Lachnitt – « Le glamour plutôt que la bravoure » – Superception – 21 juillet 2012
– Nicholas Carlson – « The Truth about Marissa Mayer : an unauthorized biography » – Business Insider – 24 août 2013
– Christophe Lachnitt – « Marissa Mayer, plus diva que jamais » – Superception – 25 août 2013
– Justin Gmoser – « 11 little know facts about Marissa Mayer before she became a tech rockstar » – Business Insider – 24 août 2013



2 commentaires sur “Marissa Mayer : PDG de Yahoo ou pin-up pour Vogue ?

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