Dans la famille « influence digitale », je demande le « KOL » !

Ca y est, on le tient ! Après le micro, le nano, ce n’est pas le pico ou le femto-influenceur qui débarque sur les tablettes des communicants et des marketeurs mais le « KOL ». Rien à voir avec l’acronyme d’une nouvelle compagnie aérienne. Il s’agit là de l’abréviation anglaise déjà largement répandue de « Key Opinion Leader ». Décidément, cet univers de l’influence digitale fait couler beaucoup d’encres et d’octets tant le talisman si convoité est devenu volatile et à géométrie variable. Et si on remettait un peu l’église au milieu du village au lieu de s’encombrer de buzzwords qui fleurent un peu trop le mercantile et l’onanisme fumeux ?

D’aucuns doivent amèrement regretter le bon vieux temps où il suffisait de sulfater du point GRP à coups de vagues de spots publicitaires à la télévision. Une petite campagne et hop, le tour était joué. L’admirable ménagère de moins de 50 ans avait forcément entendu parler du dernier pot de yaourt à ouverture circulaire ou de l’innovante pilule minceur qui fait fondre les capitons comme neige au soleil. Rien de mieux que cette influenceuse derrière son caddie ! Sauf que voilà ! L’histoire de l’influence de masse s’est quelque peu enrayée depuis que la défiance sociétale n’a jamais été aussi prégnante et que les réseaux sociaux ont accouché d’une flopée d’acteurs turbulents capables de vous flanquer par terre la belle réputation de votre marque ou de votre enseigne.

Influence sans confiance, n’est que …

A mesure que le Web est devenu à la portée de tous dès lors qu’il s’agit de s’exprimer, la sacro-sainte influence jusqu’alors réservée aux sachants, aux puissants et aux brillants, s’est diluée. Mais pas par hasard. Ce qui faisait autorité auparavant comme le statut, la célébrité, l’expertise, le pouvoir, n’est plus considéré comme argent comptant par la société. On l’oublie sans doute un peu vite mais l’influence (qui par ailleurs a toujours été l’obsession de l’humanité) classique s’est étiolée à cause de nombreuses ruptures sociétales qui ont toutes un point commun : la perte de confiance dans une catégorie d’acteurs.

A ce jeu de chamboule-tout, les politiques et les médias (mais aussi les décideurs économiques) sont d’ailleurs ceux qui en prennent plein la figure depuis des décennies, suspectés qu’ils sont de manipuler, de mentir et d’œuvrer pour leur propre compte. Il faut bien avouer que certains gros mensonges publics comme le nuage nucléaire de Tchernobyl qui a sagement contourné les frontières françaises, les scandales sanitaires à répétition (dont les implants médicaux sont le dernier avatar en date), la déconnexion abyssale des élites des réalités du quotidien (et la liste n’est pas exhaustive) ont malheureusement alimenté la machine à soupçons. A tel point que les théories complotistes et conspirationnistes se portent comme des charmes et que les « fake news » (pardon, les infoxs !) essaiment et pullulent bien plus prestement que les faits concrets et tangibles.

Ces nouveaux influents du clavier

Puisque les figures d’autorité sont dorénavant vacillantes, d’autres voix se sont engouffrées dans la brèche grâce à l’avènement des réseaux sociaux. Ainsi, à chaque (courte) époque a-t-on vu débarquer les premiers blogueurs auparavant parfaits quidams qui avaient bien du mal à faire entendre leur opinion et partager leurs vues. Puis explosion de la vidéo en ligne oblige, est apparue l’espèce des « Youtubers ». D’aucuns se sont ainsi constitués de belles rentes de situation en distillant du conseil, des tutoriels ou tout simplement en amusant la galerie. Twitter a ensuite un peu plus atomisé la notion d’influence avec des profils capables de vous aligner des communautés d’abonnés à 5 ou 6 zéros (merci le mass following, les bots et les achats de fans vrais ou faux !) pour aller porter le fer sur tel ou tel sujet. Il y eut aussi les éphémères « Viners » dont les hypnotiques boucles vidéo de 6 secondes faisaient le buzz à tout va. Aujourd’hui, c’est l’enviée population des « Instagramers » qui est brandie au sommet himalayen de l’influence.

Entretemps, il a bien fallu se réorganiser dans les rangs des communicants et des marketeurs devant toutes ces expressions individuelles capables d’être plus « influentes » que le bardé de diplômes, le docte professionnel ou le spécialiste du secteur. Comment remettre de l’ordre et de la compréhension dans ce mouvement brownien de l’influence digitale ? Pour tant de générations de professionnels gorgés d’études marketing, de sondages et de statistiques en tout genre avec des catégories socio-professionnelles bien établies, ces nouveaux influenceurs en ligne posaient problème. Certains ont bien tenté le déni en leur prédisant un évanescent et funeste destin. Mal leur en a pris. Pour quelques-uns évanouis pour toujours dans la Toile et d’autres pris dans le pot de confiture de bidonnage de comptes, nombreux sont ceux qui ont agrégé une véritable audience et acquis une écoute (voire une confiance) après laquelle galopent encore actuellement les politiciens.

Vite, mesurons et profilons l’influence !

Cela a abouti à des recettes de marabout comme Klout, le fameux indice de popularité censé établir des classifications infaillibles sur l’influence d’untel ou untel. On a vu ce qu’il est advenu. Et pourtant, les thuriféraires du Big Data (devenu au passage Smart !) n’en démordent pas. Le chiffre, le chiffre et rien que le chiffre comme mètre-étalon de cette satanée influence éparpillée. Pourquoi pas après tout ? Mais très vite, force a été de constater que les margoulins en mal de reconnaissance digitale ont multiplié les astuces pour s’auto-déclarer influents en triturant justement ces chiffres. Ce blog en a régulièrement fait l’écho et s’en est toujours agacé. Pourtant, la supercherie continue même si des marques et des entreprises (comme par exemple Unilever) commencent sérieusement à passer l’aspirateur et reconsidérer l’influence numérique sous d’autres prismes. On ne peut que s’en féliciter mais …

… mais arrêtons aussitôt les billevesées qui infestent ponctuellement le secteur de la communication et du marketing au sujet de l’influence et ses nouvelles formes. Oui de toute évidence, celle-ci s’est complexifiée avec la multiplicité des acteurs et des canaux de transmission. Oui encore, celle-ci est devenue plus instable et volatile tant beaucoup veulent leur petite minute de gloire warholienne. Oui enfin, d’authentiques nouveaux visages pèsent autant (sinon plus) que les abonnés des plateaux TV et des talk-shows.

En revanche, agitons le drapeau blanc sur les concepts foireux de quelques planners (le mot n’a jamais été aussi idoine !) stratégiques qui nous rebattent les oreilles avec désormais la micro-influence, la nano-influence. A quand le microscope moléculaire pour bâtir des stratégies de communication ? Comme le dit mon confrère et ami blogueur Hervé Monier (1), « la nano-influence fait son apparition dans le vocabulaire toujours très inventif du marketing digital. S’agit-il d’un concept réellement pertinent, ou du recyclage creux de notre bon vieux « bouche-à-oreille » ? La nano-influence serait-elle la nouvelle pilule miracle de la pharmacopée digitale ou poudre de perlimpinpin ? ». Dans une récente chronique mordante mais non moins juste, Catherine Cervoni, experte des relations presse et digital, tapait du poing sur la table (2) : « Demain verrons-nous l’avènement de « l’infinitésimal influenceur » ? Ou encore si on continue dans l’échelle du « nano » qui correspond à un rapport à l’unité de mesure de 10-9 parlera-t-on demain du piko-influenceur (10-12) ou encore du femto-influenceur (10-15) ? »

Et le « KOL » est arrivé … sans se presser ?

C’est dans ce contexte de course à l’échalote frénétique où quelques-uns traquent la nouvelle molécule d’influence que le terme de « KOL » est subitement apparu depuis un petit moment dans les colonnes des sites spécialisés en communication et marketing. Cette fois, c’est bon ! Vous pouvez mettre au rebut votre pyramide de l’influence et oublier vos tables de mesure. Il n’existe qu’un seul profil d’influenceur : le « KOL » pour Key Opinion Leader. Si anglais soit le concept (qui travaille à l’international depuis des années connaît d’ailleurs déjà cette expression), c’est de Chine qu’il nous est importé. C’est un article de 7X7 (au demeurant pas inintéressant sur les pratiques culturelles du marketing chinois) qui lance le buzzword en évoquant ces KOL chinois (et pas col Mao – oui je sais, elle est facile !) devenus stars incontournables de la consommation grâce à leur présence sur WeChat et Weibo, réseaux sociaux qui brassent des centaines de millions de fans à l’échelle d’un seul pays (certes, c’est la Chine).

Et c’est ainsi que le KOL chinois se voit estampillé quelque temps plus tard comme la « version 3.0 de l’influenceur digital ». CEO de Kolsquare, Quentin Bordage souligne la nouvelle ligne de démarcation d’avec tous les kilos et epsilon influenceurs (3) : « Moins portés sur les placements de produits hasardeux et l’achat de faux followers, les KOL sont vus comme de véritables prédicateurs. C’est là que les key opinion leaders prouvent leur supériorité : ils sont, par essence, des influenceurs qui préservent avant tout le lien de confiance avec leur communauté et choisissent minutieusement leurs partenariats parce qu’ils ont du sens. Ce qui compte avant tout est la réaction des abonnés, qui le leur rendent bien car ils sont vus comme de véritables prédicateurs. L’argent est donc loin d’être le seul moteur des KOL ». Comme si parmi les KOL chinois et ceux à venir ailleurs dans le monde, il n’y avait que des enfants de chœur !

Plus récemment, Catherine Meddhadi, président de l’agence Influences, a publié une tribune intitulée « Arrêtons de galvauder le terme d’influenceur ». Influenceur qu’elle définit ainsi (4) : « Un influenceur est d’abord un tiers de confiance qui a fait la preuve de sa légitimité et de sa fiabilité à relayer une information dont il a été le dépositaire par un émetteur X ou Y. Cet influenceur n’a pas vocation à être rémunéré puisque ce qui intéresse dans sa capacité à relayer l’information est sa parfaite objectivité quant au sujet traité. C’est de là qu’il tire toute sa crédibilité ». Voilà ! La boucle est bouclée.

Et on revient quand aux fondamentaux ?

Au-delà des arguties statisticiennes du Big Data, de la novlangue des marketeurs et de cette énervante propension à sortir du chapeau des concepts « trendy », l’influence est surtout la confiance qu’on inspire. Digital ou pas, c’est le cœur du sujet et c’est comme dans la vraie vie. Vous accordez votre confiance à un individu sur ce qu’il fait réellement et pas uniquement sur ses promesses, son CV, son compte en banque, sa bonne gueule ou sa notoriété (même si on peut quand même se laisser malgré tout embarquer par ces uniques critères !). Les logiciels de détection et de veille ne seront jamais en mesure de déterminer pour vous si tel ou tel acteur en ligne est vraiment digne de confiance. Ils peuvent aider à trier et filtrer. Mais il faudra toujours un cerveau humain et une relation humaine pour que l’équation influence/confiance fonctionne. Ce n’est pas en inventant des étiquettes et des labels d’influence qu’on saura trouver les bons interlocuteurs et relais d’opinion.

En revanche, la rétribution n’est pas forcément un signe d’influence déviante. Si le partenariat est clairement affiché et assumé en tant que tel, où est le problème ? Auparavant, de grands penseurs étaient payés pour donner des conférences publiques. A-t-on vu pour autant leur influence dégringoler mécaniquement ? Non. L’influence ne tient qu’à la qualité, l’honnêteté intellectuelle et la pertinence du propos tenu (même si on peut ne pas être d’accord avec celui-ci). Et cette règle n’est en rien nouvelle. Pas plus avec les KOL qu’avec les influenceurs en « o ». Pas plus à l’ère digitale d’aujourd’hui qu’à l’ère du papier d’antan. C’est la confiance qui créé l’influence. Et cela s’entretient plus que cela ne se décrète avec des théories et des classifications.

Sources

– (1) – Hervé Monier – « La « nano-influence » : nouvelle pilule miracle de la pharmacopée digitale ou poudre de perlimpinpin ? » – Les Eclaireurs de la Com – 1er septembre 2018
– (2) – Catherine Cervoni – « Le marketing d’influence a-t-il encore de la valeur ? » – Culture RP – 7 novembre 2018
– (3) –Quentin Bordage – « Le KOL est la version 3.0 de l’influence digitale » – Stratégies.fr – 16 novembre 2018
– (4) – Catherine Madhadi – « Arrêtons de galvauder le terme d’influenceur » – Stratégies.fr – 28 novembre 2018

A lire par ailleurs