Sans expérience client constructive, pas de réputation crédible : le cas Société Générale

En délicatesse avec le service client de son agence bancaire, une libraire parisienne s’autorise à critiquer publiquement Société Générale sur Twitter et Facebook. Résultat : la banque décide de clôturer tous les comptes de l’impétrante. Au royaume du marketing fantasmé de l’expérience client et de la réputation d’entreprise, il semblerait que la déconnexion d’avec le monde réel persiste encore chez certains communicants et marketeurs. En juin 2004, un fabricant de cadenas (Kryptonite) avait failli mourir à cause d’un bad buzz. Quinze ans plus tard, l’histoire balbutie encore. C’est pour quand la vraie expérience Client et sans les blablas technos ?

Il n’existe pas un manuel marketing, si poussiéreux soit-il, qui n’omet de souligner que réputation d’une marque et excellence du service procuré au client se conjuguent systématiquement de pair. C’est d’ailleurs le mantra inoxydable de l’industrie du luxe pour laquelle le client doit être écouté et choyé en toutes circonstances. Dit comme cela, l’assertion ressemble même à un bélier défonçant des portes ouvertes. Pourtant, l’actualité nous prouve régulièrement que les cerveaux experts de l’expérience client boguent de manière récurrente. En témoigne encore une fois l’épisode pitoyable vécu le 28 décembre dernier par une libraire de la région parisienne avec sa banque, la Société Générale.

Les histoires d’A … finissent mal en général !

Avec son époux, Julie Goislard tient depuis 10 ans une librairie indépendante située à de Clichy-la-Garenne dans le département des Hauts-de-Seine. Une librairie dont elle peaufine l’ambiance et le sens personnalisé du conseil auprès des clients et des badauds qui passent par sa devanture. Une librairie qu’elle a lancée grâce au soutien indéfectible d’un banquier prénommé Thomas (1). A l’inverse de nombreux confrères et concurrents, il croit dans le projet entrepreneurial du jeune couple. Lui-même amateur de livres, les aide à boucler le dossier financier pour lancer l’aventure. Ce jeune homme était directeur d’une agence Société Générale implantée dans la même ville que les libraires débutants. Puis, il fut muté et les relations commencèrent progressivement à se déliter jusqu’à ce jour fatidique du 28 décembre 2019.

L’actuel directeur d’agence n’est a contrario pas vraiment un poète. Il apprécie encore moins la contradiction. Surtout lorsque cette dernière est rendue publique sur Twitter. En effet, excédée par l’amoncellement d’erreurs, de défaillances à répétition et la valse perpétuelle des interlocuteurs au sein de l’agence, Julie Goislard partage ses mésaventures sur le compte Twitter de la librairie et sur sa page Facebook dédiée tout en alertant qu’elle implique le service client de la banque sur Twitter : @SG_etvous. C’est d’ailleurs parce qu’elle se plaint ouvertement sur les réseaux sociaux qu’elle finit enfin par obtenir le directeur en personne au téléphone puis dans son bureau. Problème : non seulement, les choses ne rentrent pas dans l’ordre mais la banque intime à sa client de cesser les récriminations en ligne. Ce qu’elle ne consent pas tant qu’une solution viable ne sera pas trouvée, à savoir un terminal de paiement électronique qui fonctionne correctement.

L’éternelle spirale du bad buzz

La psychorigidité procédurale a alors frappé. Julie Goislard raconte la suite (2) : « Au moins mes tweets m’auront permis d’avoir enfin un interlocuteur au téléphone… un petit miracle en soi. 3 semaines après, dans son bureau, l’actuel directeur, lors d’un entretien agressif et ubuesque, nous expliquait que la banque nous mettait dehors, à cause de ces tweets. Pas de raisons bancaires ». Et la sanction ne s’arrête pas là puisque c’est au tour du concubin de la libraire de se voir signifier la fermeture de ses propres comptes puis de leur fille de 9 ans juste avant le Réveillon. Contrairement au slogan corporate de Société Générale, « C’est Vous l’Avenir », la famille Goislard est vouée à n’en plus faire partie selon l’oukase d’un directeur d’agence !

Piquée au vif (il y a de quoi), Julie Goislard ne se démonte pas pour autant. Chaque épisode de résiliation opérée par Société Générale est méticuleusement conté sur Twitter et Facebook. Un feuilletonnage qui aboutit rapidement à un petit tollé sur les réseaux sociaux qui viralisent l’histoire incroyable de cette librairie virée d’une banque pour cause de prolixité trop critique envers sa banque. Avec au passage, chacun y allant de sa propre anecdote subie au sein de la même enseigne bancaire.

Le schéma classique se met alors en place. C’est le quotidien Le Parisien qui publie le premier les mésaventures de Julie Goislard, suivi de plusieurs reportages (dont l’AFP) sur ce dénouement ubuesque d’autant que la future ex-client n’a par ailleurs aucun passif bancaire, ni accident de parcours. Comme le dossier commence à faire du bruit, l’AFP contacte la Société Générale. La réponse tout en acajou corporate vaut son pesant d’or (3) : « Jamais nous ne fermons un compte pour des messages envoyés sur Twitter. Au contraire, nous encourageons nos clients à échanger via notre service après-vente sur les réseaux sociaux, disponible depuis plus de dix ans et au travers duquel plus de 60 000 messages par an sont traités ». Pour le reste, la banque invoque le secret bancaire et se refuse de commenter la situation particulière de Julie Goislard.

L’expérience client ne se décrète pas, elle se fait

En revanche, Société Générale par le truchement de son compte @SG_etvous poursuit son petit autosatisfecit. Le 3 janvier 2020, l’établissement bancaire tweete : « Vous avez été nombreux à réagir au témoignage d’une cliente sur la fermeture de comptes suite à des tweets. Nous vous comprenons, @SG_etvous existe pour vous aider et améliorer nos services grâce à vos tweets, et nous vous avons toujours engagé à vous exprimer sur Twitter ! (1/2). Non, nous ne fermons pas de comptes parce que les clients s’expriment sur les réseaux sociaux ! Ce type de décision se prend en dernier ressort et en évaluant globalement la relation. Nous veillons au quotidien avec toutes les équipes @SocieteGenerale à la satisfaction client (2/2) ». Deux tweets qui valent aussitôt à la banque, une volée de bois vert de la part des internautes qui ne croient pas un mot du prêchi-prêcha institutionnel et qui partagent de nouvelles anecdotes de mauvaise expérience. En attendant et jusqu’à l’heure actuelle, la famille Goislard et leur librairie demeurent en voie d’expulsion bancaire !

Pourtant, l’expérience client, c’est le dada favori de Société Générale. Depuis plusieurs années et avec l’immixtion des réseaux sociaux, cette dernière se veut à la pointe de la relation avec sa clientèle. Déjà en 2013, la banque trompetait avec un clip vidéo intitulé « Nous répondons à toutes les questions de nos clients en moins de 30 minutes » (grâce à la mise en place sur Twitter du service @SG_etvous) et diffusé en télévision et sur le Web. Les années suivantes, Société Générale engrange les récompenses dans son armoire à trophées. Et tout particulièrement d’afficher fièrement fin 2019 que Société Générale a décroché pour la 7ème fois de suite dans la catégorie « Banque », le prix Service Client de l’Année. Marie-Christine Ducholet, Directrice de la Banque de détail en France Société Générale, n’était d’ailleurs pas peu fière (4) : « Je suis très fière de cette distinction. Elle récompense les équipes des Centres de relation clients et Réseaux sociaux pour le travail réalisé et symbolise de façon très positive notre stratégie de déployer un modèle de banque associant le meilleur service de nos conseillers et l’efficacité du digital ».

On redescend quand dans le monde réel ?

A la lumière des avatars vécus par Julie Goislard (qui est loin d’être un cas unique chez Société Générale, l’auteur de ces lignes peut personnellement en témoigner avec un litige à l’été 2018 avec son agence à Paris, résolu dans la douleur), une question immédiate s’impose. Comment les entreprise peuvent-elles encore se prévaloir de colifichets marketing et de babioles commerciales si dans la vraie vie, la satisfaction de l’expérience client n’est pas au rendez-vous. Or, lorsqu’on parcourt les commentaires déposés sur TrustPilot.fr, Société Générale obtient un bulletin calamiteux. A la décharge certes de la banque, les mécontents et les grincheux sont effectivement plus prompts à faire feu de tout bois que les personnes contentes qui restent le plus souvent silencieuses.

Cependant, cela ne suffit pas à dissiper le grand écart qui existe entre les réalités vécues et les professions de foi affirmées. Sur 435 avis déposés sur TrustPilot à l’encontre de Société Générale, 79% des remarques sont qualifiées de « mauvais » ! A leur lecture et hormis quelques attaques gratuites d’énervés perpétuels, les situations exposées résonnent terriblement en termes de similitude et de récurrence. Dans ce contexte, quand les marques vont-elles enfin cesser de dérouler tout un barnum technologique à coups d’agents conversationnels, comptes Twitter, intelligence artificielle (et j’en passe) pour enfin se concentrer sur ce qui constitue un ciment profond de leur réputation (et de la confiance qui en découle) : l’expression des clients.

Si celle-ci pouvait encore être quelque peu mise sous le tapis il y a quelques années, la tentation est aujourd’hui une impasse mortifère pour la réputation d’une entreprise et de ses marques. Les armadas de communicants et marketeurs savent en principe que le consommateur s’exprime à travers des plateformes de commentaires, de notations, voire des pétitions en ligne ou du trolling en règle sur Twitter pour obtenir gain de cause. Dès lors, pourquoi cultiver des attitudes hermétiques et droites dans leurs bottes lorsqu’un problème surgit. Le digital n’a pas fini d’agir comme une puissante chambre d’écho qui à terme et à force de répétition, peut détourner durablement des clients. Alors Société Générale ? Est-on prêt à rendre ses cartes bancaires à la famille Goislard ou on persiste dans l’arrogance corporate d’un secteur d’activité qui a déjà bien toutes les peines du monde à être apprécié et crédible ?

Bonus

Dans le même esprit que le cas de la Librairie de Clichy, je vous invite à lire mon billet sur l’invraisemblable pataquès dans lequel Chronopost m’a trimballé pendant plusieurs jours. Là aussi, voilà une marque vilipendée en permanence pour la pauvreté crasse de ses services qui persiste à prendre de haut ses clients même lorsque le Président et le Directeur de l’Expérience Client sont nommément interpelés sur les réseaux sociaux.

C’est à lire par ici et vous allez bien rigoler ! Autant commencer 2020 en fanfare !

Sources

– (1) – Post de Julie Goislard sur la page Facebook Librairie Villeneuve Clichy – 28 décembre 2019
– (2) – Ibid.
– (3) – « Une cliente critique la Société Générale sur Twitter, son agence clôture ses comptes » – AFP et Franceinfotv.fr – 3 janvier 2020
– (4) – Communiqué de presse – « Société Générale élue Service Client de l’année 2020 » – 11 octobre 2019



Un commentaire sur “Sans expérience client constructive, pas de réputation crédible : le cas Société Générale

  1. luciolebrune  - 

    ça m’étonne pas ! j’ai connu la même expérience avec un resto étoilé qui après plus d’1 h n’avait pas pris notre commande et nous avait laissé en plein courant d’air…
    Me suis pas gênée pour me plaindre sur leur page, com même pas effacé.
    Les cons.

Les commentaires sont clos.