Cas d’étude croisés : Quel langage de marque pour les cosmétiques et les voyagistes en ligne ?
L’Institut de la Qualité de l’Expression a dévoilé le 23 mai à Paris les premiers enseignements de son étude sémantique menée sur le langage adopté par des marques réputées de l’univers du voyage et de la cosmétique à travers leurs différentes prises de parole numériques. Résultat : encore des divergences entre les intentions discursives et l’établissement d’une relation authentique entre la marque et le consom’acteur mais aussi des bonnes pratiques. Synthèse des faits saillants.
Fondatrice et présidente de l’Institut de la Qualité de l’Expression, Jeanne Bordeau n’a de cesse de marteler cet axiome à l’heure où la conversation 2.0 est au bout de toutes les souris d’internaute (1) : « Le langage apporte une réelle valeur ajoutée à une époque où l’entreprise est obsédée par la différenciation. Une quête d’autant plus difficile que les différences entre les offres sont souvent infinitésimales et que les biens et services sont de plus en plus dématérialisés ».
D’où la nécessité croissante et cruciale de soigner la ligne discursive d’une marque, d’en assurer la cohérence et le sens à travers tous ses espaces d’expression et particulièrement le Web qui devient de plus en plus le point de contact central dans la relation au client. C’est sur ce postulat que les équipes de l’Institut de la Qualité de l’Expression ont planché pour passer au crible plusieurs postures de langages issues de voyagistes en ligne et de produits cosmétiques après avoir décrypté l’an passé des exemples tirés du monde bancaire et des vépécistes.
Invitation digitale au voyage : peut mieux faire !
L’univers du voyage voudrait a priori que l’on offre du rêve aux internautes en mal d’escapade. Pourtant sur les sites observés par l’Institut de la Qualité de l’Expression, c’est avant tout le pragmatisme commercial qui règne en maître, y compris dans l’expression digitale des différentes marques. L’immense majorité des sites privilégie en effet un contenu purement fonctionnel à vocation avant tout signalétique pour orienter l’internaute vers les services qu’il recherche en un minimum de clics.
De plus, ce contenu fonctionnel a tendance à être dupliqué à divers endroits du site en vue d’optimiser le référencement de celui-ci sur les mots-clés que tapent les internautes lorsqu’ils effectuent une requête dans un moteur de recherche. Il en résulte au final une expression rédactionnelle minimaliste et sans effort particulier pour créer une ambiance particulière et/ou établir une relation conviviale avec l’internaute. On évolue majoritairement dans un registre sémantique à vocation « service » à l’instar d’un mode d’emploi impératif.
Cette approche sémantique basique se retrouve par exemple sur le site de Last Minute. La langue y est certes spontanée, légère, avec même des injonctions pulsionnelles où l’internaute est invité à s’affranchir de toute planification de voyage pour fonctionner à l’opportunité coup de cœur. Néanmoins, ce langage qui met l’accent sur l’efficacité pour concrétiser l’acquisition de clients, risque à plus ou moins brève échéance de s’essouffler et par ricochet d’affadir la relation avec l’internaute, voire de le lasser purement et simplement.
Autre point constaté : l’émiettement et/ou la superposition de langages différents selon les espaces numériques. C’est le cas de Last Minute mais également de son concurrent Opodo. Sur le site principal, le ton est volontiers formel et écrit tandis que sur les réseaux sociaux, il se relâche pour privilégier une oralité plus ludique. Toutefois, malgré ce grand écart verbal, Opodo se distingue par sa volonté d’instaurer un dialogue avec ses visiteurs. A l’inverse de Last Minute, Opodo ne recourt pas à l’injonction amicale mais se place plutôt à égalité avec ses internautes. Le vœu conversationnel est particulièrement marqué sur le blog « OhMyGlobe » proposé en complément du site ou encore l’application « Check my trip » qui accompagne le client une fois sa transaction effectuée.
Cosmétiques : sans fard et en toute connivence
A cet égard, Jeanne Bordeau rappelle que l’empreinte sémantique dans la conversation d’une marque n’est pas neutre. C’est clairement d’elle que découle la capacité de cette dernière à décliner un univers qui donne confiance, qui différencie et qui au final créé de la proximité avec ses clients acquis et potentiels. Dans leur étude, les équipes de l’Institut de la Qualité de l’Expression ont précisément repéré deux marques cosmétiques qui savent cultiver avec dextérité et pertinence ce lien conversationnel en toutes circonstances.
La première marque citée en exemple est l’américaine M.A.C. Son univers conversationnel reflète sans ambages le code génétique de la marque, à savoir l’American way of life, l’hédonisme, la mode et l’art de vivre. La volonté de dialogue avec les internautes est avérée avec une multiplicité de points d’échanges dédiés à cet effet comme des vidéos didacticielles sur les techniques de maquillage, un chat live, une plateforme Twitter distillant des conseils de pros ou encore une page Facebook évoquant les événements phare de la marque et répondant aux questions. En dépit d’une traduction française parfois hasardeuse, la consistance du langage est maintenue sur tous les canaux avec un vocabulaire à connotation artistique identique. « Cette irrigation sémantique à dose homéopathique mais régulière est efficace » fait remarquer Jeanne Bordeau (2), « Elle donne envie à l’internaute de rester sur le site et d’y revenir ».
Autre marque à évoluer avec la même aisance conversationnelle : Bourjois. Cette fois, la beauté parisienne, la joie de vivre et la pétillance théâtrale qui sont ses marqueurs génétiques, se prolongent harmonieusement dans la sémantique des prises de parole sur le site. Là aussi, on remarque un dialogue et un ton cohérents sur Facebook, dans les vidéos tutorielles et même à travers des blogs de blogueuses associés au site Bourjois. « Bourjois traduit une consistance remarquable » note Jeanne Bordeau, « Dans son site, on y retrouve pleinement l’esprit de Babette. Parisienne en diable et coupe à la garçonne, cette égérie imaginaire avait été créée en 1924 pour guider les femmes sur les chemins de la séduction en racontant dans les journaux ses aventures et son shopping dans les magasins. Cette connivence ressurgit totalement dans les phrases déclinées sur le site ».
Conclusion – Pas de bla-bla dans le langage 2.0
A la lumière des premiers enseignements de cette étude qui comporte un volet supplémentaire sur les cartes de crédit (lequel sera présenté le 21 juin dans les locaux de l’Institut), une remarque s’impose : le langage ne peut ni s’improviser, ni céder à des effets de mode. La capacité rhétorique d’une marque est au contraire un atout majeur pour cultiver une relation forte et signifiante avec ses publics. Aux yeux de Jeanne Bordeau, « les récits mettent en scène des situations qui suscitent le questionnement ». Une phrase qui résume clairement l’enjeu que doit relever le langage 2.0. Sinon, c’est la dilution du sens qui guette lorsqu’on se contente d’empiler des mots et des images sans articulation pensée, ni inspiration puisée dans l’essence originelle de la marque.
Sources
(1) – Laurence Allard – « Il faut travailler le langage » – Le Point – 4 novembre 2010
(2) – Conférence de l’Institut de la Qualité de l’Expression du 23 mai 2012
Pour en savoir plus
– Lire le livre de Jeanne Bordeau – « Entreprises et marques : les nouveaux codes de langage » – Editions d’Organisation – 2010
– Ecouter les chroniques de Jeanne Bordeau sur Canal Académie, site francophone des académies