Entreprises : « Dirigeants, changez votre langage numérique ! »
Cette bienveillante mais ferme exhortation émane de Jeanne Bordeau. Créatrice du bureau de style en langage, l’Institut de la Qualité de l’Expression, et surtout auteur tout récemment d’un petit manifeste sur les dirigeants et la prise de parole à l’heure du numérique, elle invite ces derniers à prendre la pleine mesure des exigences linguistiques que le digital requiert et éviter de tomber dans une novlangue désincarnée et automatique. Réflexions glanées au fil du livre.
« Mesdames, Messieurs les dirigeants, êtes-vous sûrs de savoir adapter le ton juste face à la formidable conversation permanente qui se déroule sur le Net ? ». Dès les premiers paragraphes, cette question pose le décor et interpelle sans détours les dirigeants auxquels le nouvel ouvrage de Jeanne Bordeau est plus particulièrement destiné. S’il y a encore peu, le patron d’entreprise pouvait calibrer et sécuriser son discours derrière les innombrables validations et bons à tirer de son service communication, la posture relève désormais de l’obsolescence programmée. Plus qu’une menace (certes réelle si elle n’est pas considérée), c’est aussi une opportunité qui s’ouvre selon Jeanne Bordeau pour explorer de nouveaux terrains d’expression et de conversation où les dirigeants pourront regagner cette influence souvent érodée par des paroles convenues et aseptisées. Le Blog du Communicant a sélectionné quelques points clés mis en lumière par ce bref mais riche opuscule.
Offrir une communication de qualité
Aux yeux de Jeanne Bordeau, la question qui prévaut aujourd’hui envers les médias sociaux et le Web en général, n’est plus tant de savoir s’il faut y aller ou pas mais plutôt de déterminer comment y évoluer avec consistance et pertinence : « Je vis chaque jour dans des entreprises où le Web est confié à des collaborateurs qui seront plus soucieux des fonctionnalités numériques que de la richesse des discours qu’ils emploient pour parler à la palette composite de leurs publics ». Autrement dit, il n’est plus question de céder à la mode tentatrice du dernier gadget « hype » sur la Toile mais au contraire de se préoccuper de ce que l’on partage, répand et grave sur le Web.
Bien plus qu’un simple média de l’instant, Internet est devenu aussi une gigantesque armoire mémorielle où tout ce qui a été dit, écrit et montré, peut ressurgir en toute circonstance et faire vaciller des pans entiers de discours d’entreprise si aucun fil conducteur linguistique n’articule les prises de parole. Jeanne Bordeau insiste à raison sur ce point fondamental trop souvent occulté par des dirigeants et des communicants plus obsédés par le taux de clic et le nombre de « likes » que par la cohérence de l’expression de l’entreprise, ses marques et ses collaborateurs dans le temps.
Cette métamorphose de la puissance du langage sous l’impulsion d’un numérique connecté 24 heures sur 24, n’est pas le moindre des défis que les dirigeants doivent relever dans l’exercice public de leur leadership et de leur management. Plus question de se réfugier derrière des artifices langagiers certes créatifs à l’occasion mais si fréquemment vides de sens et de pérennité. Jeanne Bordeau martèle : « Si ce que votre entreprise exprime, ne reflète pas ce que vous êtes, alors tôt ou tard, vous affronterez un déficit de qualité. La qualité, c’est savoir caractériser son discours, écrire avec une langue fidèle à son projet, à ses convictions, à ses collaborateurs. De grandes méprises existent à ce sujet ».
Le savoir dire vient de l’intérieur
A la base de cette métamorphose du langage dont le numérique n’a pas fini de produire ses effets, est l’indispensable authenticité du langage. En d’autres termes, arrêtons de plaquer des concepts creux de copywriters en ébullition sur la communication verbale de l’entreprise et ses acteurs. Pour Jeanne Bordeau, les dirigeants doivent au contraire s’inscrire à rebours de cette déformation encore en vigueur dans nombre de stratégies de communication : « Partons du terrain. Ecouter. Ecouter ce qu’une hôtesse d’accueil vous dit de l’entreprise peut porter autant d’informations que ce que vous dit un manager ».
Lorsque ce corpus est nourri, consolidé et décliné harmonieusement et en fonction des différents publics de l’entreprise, alors commence la seconde étape : véhiculer le sens et s’assurer qu’il soit bien compris. A ce propos, Jeanne Bordeau écrit : « Si j’étais à votre place, Mesdames, Messieurs les dirigeants, je ne laisserais pas le choix de mon univers sensible, de mes symboliques, voire de l’imaginaire qui va transporter mon projet à des entreprises extérieures qui ne connaissent pas les défis et les souffrances qui ont édifié mon histoire, mon patrimoine, ni l’âme même de mon entreprise ».
Plus que jamais avec le numérique, il faut se débarrasser de ce que Jeanne Bordeau appelle le « packaging verbal ». Un packaging qui finit par suinter et inonder les communications de tous à un tel point que chacun raconte la même chose. Certains communiqués de presse sont par exemple des summums de vacuité standardisée où il suffit d’emboîter n’importe quel nom de l’entreprise dans le texte pondu. Cet abrutissant jeu de « Lego » corporate doit en effet s’effacer au profit d’un langage cousu main et vecteur authentique de l’ADN de l’entreprise et ses constituants.
Moins en dire mais mieux le dire
Autre piège amplifié par l’irruption du digital dans les stratégies de communication : la propension à inonder de messages et parler à tout propos pour occuper le terrain et espérer exister dans le brouhaha linguistique charrié au fil des pages Web, des tweets et des flux RSS. Cette illusion doit être battue en brèche d’après Jeanne Bordeau. L’enjeu n’est pas de s’aligner dans une compétition verbale où chacun dégaine les mots plus vite que l’autre.
Ce challenge est voué à l’échec comme le rappelle Jeanne Bordeau : « Le Net n’est pas un prétexte pour sur-communiquer mais offre le privilège de mettre en musique et de synchroniser les contenus au diapason de l’entreprise, personne morale possédant des valeurs ou des traits de personnalité qu’il faudra savoir irriguer dans tous les registres de langages déployés ». Une posture que l’on pourrait résumer avec la formule suivante : le bon message au bon moment avec le bon contenu à la bonne personne. Une simplicité biblique pourtant trop régulièrement perdue de vue par les bavards et les obsédés du bruit médiatique !
Confiance in fine
Si ce travail de dentelle linguistique est absolument indispensable pour espérer retrouver de l’impact et du sens dans la communication des dirigeants, cela ne signifie pas pour autant qu’il faille s’absoudre d’un autre aspect ô combien crucial mais là aussi souvent malmené et trituré par des communicants peu regardants : l’authenticité du langage et sa vérité intrinsèque. Il ne s’agit plus de se comporter en puissance communicante autoritaire du haut de son piédestal scintillant qu’un besogneux communicant s’ingénie à quotidienne passer au « polish » discursif.
A cet égard, Jeanne Bordeau est sans ambages : « Nous ne sommes plus dans une parole d’autorité vieillie, imposée mais dans l’ouverture de registre de discours en création constante (…) Une entreprise pourra-t-elle longtemps tenir deux discours, le discours séduisant sur les produits et le discours de crise des réalités (…) Avec la transparence numérique, une entreprise devra donner du sens et être cohérente dans ses paroles et ses actes ».
A ce défi essentiel, Jeanne Bordeau a coutume de dire qu’il s’agit de savoir « raconter une histoire mais pas des histoires » ! Autrement dit, les actes doivent se joindre à la parole à l’aune du dicton anglo-saxon si puissant : « Walk the Talk ! ». C’est à cette condition unique d’avoir un langage cohérent, à l’écoute de l’autre et s’appuyant sur de vraies références et des perspectives que les dirigeants pourront acquérir un souffle discursif où la confiance s’installera durablement avec les différents publics de l’entreprise.
Pour en savoir plus
– Pour recevoir le manifeste de Jeanne Bordeau, « Le langage des dirigeants : une métamorphose », il vous suffit d’adresser un chèque de 20 € à l’Institut de la Qualité de l’Expression, 2 rue René-Bazin, 75016 Paris
– Visiter le site de l’Institut de la Qualité de l’Expression
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