Guerre réputationnelle : les complotistes de V_V inaugurent une nouvelle technique invasive qui risque de perdurer

C’est une technique de plus en plus prisée par les activistes et les mouvements radicalisés : investir massivement une page ou un site considéré comme adversaire pour pourrir l’espace avec des commentaires ou alors voter en nombre pour fausser des mini-sondages que les médias mettent parfois en ligne. Doit-on y voir une tendance durable appelée progressivement à s’étendre aux marques et aux entreprises ? Etat des lieux sur cette guérilla numérique avec le mouvement activiste conspirationniste V_V qui s’attaque à la vaccination.

C’est à un travail de longue haleine auquel s’est attelé le journaliste et auteur spécialisé dans les fake news et théories conspirationnistes, Thomas Huchon. Depuis le 22 mai, il a lancé un robot anonyme qui recense les attaques complotistes sur des comptes Twitter, Discord et Facebook. Baptisé « ComplotistDeleter » et à suivre sur ces mêmes plateformes, le programme vise à avertir des menaces en cours et invite à les contrer. Une initiative à saluer en cette période où la désinformation complotiste mute aussi vite que les variants du coronavirus.

Petit manuel de la guérilla en ligne

Certes, les armées de trolls n’ont rien de nouveau. Les extrêmes politiques les lèvent depuis plusieurs années pour agonir celles et ceux qui s’opposent à leurs convictions, Twitter étant à cet égard le champ de bataille le plus violent qui soit. Tour à tour, les contestataires de tout poil s’acharnent sur une personne désignée pour lui faire rendre gorge et la contraindre in fine à clore ses profils digitaux sous la horde des insultes et des agressions verbales.

ANDRII YALANSKYI/SHUTTERSTOCK.COM

 

Depuis une bonne dizaine d’années, les techniques d’attaques massives ont rivalisé d’inventivité pour casser les reins d’un adversaire et salir au passage sa réputation. Au gré des objectifs et des sujets d’actualité, elles vont et viennent pour étriller des personnalités, souvent politiques, ou des organismes (plus rarement des entreprises et des marques). Dans la panoplie du guérillero en ligne, on trouve notamment ceci (liste non exhaustive) :

  • Le Google bombing. Cette pratique devenue aujourd’hui un peu obsolète (mais toujours capable de créer des dégâts) consiste à faire progresser artificiellement le classement d’une page ou d’un site en en exploitant les failles de l’algorithme de Google. Pour ce faire, la page visée est associée à des dizaines de milliers de liens fictifs et cachés comportant tous la même expression. En juillet 2009, le site de campagne Sarkozy.fr avait été par exemple associé à l’expression « Trou du cul du web ». Google veille désormais au grain mais il n’est pas à exclure que cette déviance puisse ressurgir avec des malveillants qui maîtrisent le référencement.
  • Le défaçage. Avec cette technique qui exploite les failles de sécurité, il s’agit de s’insinuer dans un site, une page ou un compte et d’y insérer des contenus orduriers et/ou mensongers. Il est aussi possible d’en modifier l’aspect en prenant le contrôle de la page d’accueil et en la barbouillant de visuels militants agressifs ou alors en induisant en erreur les internautes qui vont ensuite cliquer vers d’autres sites à diverses vocations (activisme, piratage de données, phishing, etc). En 2020, les sites des éditeurs de jeux vidéo en ligne ont été particulièrement la proie de ces attaques.
  • La requête massive pour signaler un compte. Cette fois-ci, pas de besoin d’expertise informatique pointue. Le seul prérequis est de disposer de suffisamment de militants qui vont alors cibler un compte Twitter ou une page Facebook en signalant en nombre à la plateforme qu’il s’agit d’un profil qui enfreint les règles de la communauté et qu’il faut par conséquent le fermer. Ce n’est pas la technique la plus en vogue car elle nécessite du temps et du monde mais la menace n’en demeure pas moins réelle.
  • L’astroturfing. Nettement plus élaborée et plus puissante, cette approche s’attache à fausser les perceptions et susciter le sentiment d’une mobilisation massive et spontanée autour d’un sujet alors qu’en réalité, tout repose uniquement sur l’assemblage de faux comptes (réels ou totalement fictifs) et le détournement des algorithmes pour viraliser les messages apocryphes. En 2013, Samsung avait payé des étudiants pour répandre des contenus négatifs à l’encontre du nouveau modèle commercialisé par son concurrent HTC. Problème : même si la malversation se sait à un moment donné, les traces continuent malheureusement de perdurer sur le Web.

L’invasion digitale des complotistes de V_V

Le nouveau phénomène que dénonce Thomas Huchon à travers son initiative « ComplotistDeleter » s’inspire en partie de la philosophie de l’astroturfing, à savoir simuler un effet massif qui laisse à penser qu’une gros mobilisation est en cours sur un sujet donné. Avec l’illusion du nombre, il est alors plus facile de duper d’autres internautes pas forcément au fait des derniers éléments et de les convaincre ainsi qu’une majorité se dégage autour d’une cause. Le journaliste pointe du doigt une organisation née en Italie en 2020 avec la pandémie du Covid-19. Ce groupuscule s’appelle « V_V » ou « ViVi » en référence au film « V for Vendetta » où un citoyen baptisé V lutte dans la clandestinité contre un gouvernement fasciste.

Avec une imagerie révolutionnaire qui n’est pas sans rappeler celle des Anonymous et le masque noir et blanc de Guy Fawkes, les V_V entendent dénoncer un « nazisme sanitaire » (sic) dont la vaccination serait l’un des bras armés d’un complot mondial ourdi par Bill Gates et d’autres puissants. Forts d’un groupe Telegram italien de 6800 personnes (1) et d’un autre français plus embryonnaire (environ 800), les V_V ont entrepris d’attaquer et de squatter en masse tous les sites, pages Facebook et comptes Twitter et Discord où la vaccination est encouragée. Le 15 juillet dernier, c’est par exemple la page Facebook de LCI qui a été truffée de commentaires de militants arborant le logo V_V.

Des attaques tous azimuts

Personne n’est réellement épargné par la furia de ces activistes complotistes. Ces derniers jours comme le relève @ComplotistDeleter, ils ont ainsi inondé les pages Facebook des représentations régionales de l’Ordre des Infirmiers, de communes recherchant du personnel pour vacciner ou encore de très nombreux médias. Ils se sont également attaqués à des sondages en ligne et les commentaires qui vont de pair. Avec à chaque fois, l’intention affirmée de créer l’illusion d’un renversement de l’opinion publique en faveur de leurs thèses conspirationnistes.

Cette désinformation est particulièrement préoccupante, non seulement à l’instant T mais aussi pour les traces numériques qu’elle laisse. Plateformes comme éditeurs de pages, de comptes et de sites s’emploient certes à éradiquer les contenus indésirables. Néanmoins, l’assaut massif est difficile à juguler entièrement, surtout s’il est découvert a posteriori. Pour les communicants et les marketeurs, ce nouveau type d’offensive virale constitue un véritable danger pour la réputation des marques et des entreprises. Plus que jamais, il est essentiel d’avoir un dispositif de veille en ligne pointu et en temps réel pour enrayer le plus en amont possible ce genre de guerre informationnelle.

Sources

– (1) – Jacques Pezet – « Immersion chez les V_V, des antivax qui combattent le « nazisme sanitaire » sur Facebook » – Libération – 26 mars 2021

A lire par ailleurs

– Interview de Thomas Huchon – « Qu’est-ce-que le mouvement des V_V, ces antivax qui ciblent les pages Facebook d’institutions et de médias ? » – LCI.fr – 16 juillet 2021
– Témoignage d’un informaticien anonyme qui s’est infiltré chez les V_V (Vidéo LCI)