Boursorama : une marque peut-elle vraiment se mêler de débats politiques ?

La banque en ligne a suscité un vif émoi parmi les internautes la semaine passée. En cause ? L’invitation faite à Marion Maréchal, figure notoire de l’extrême-droite française à s’exprimer sur les perspectives économiques françaises et son programme en tant que tête de liste Reconquête dans le cadre des prochaines élections européennes du 9 juin. Si d’aucuns ont vigoureusement applaudi l’initiative de Boursorama, d’autres se sont indigné en menaçant notamment de fermer leurs comptes bancaires. Cette passe d’armes est en tout cas révélatrice du risque réputationnel que prend un marque en faisant écho à des idéologies politiques.

Elle n’était pas peu fière, Marion Maréchal de partager sur X, sa participation à un entretien vidéo sur la plateforme d’information financière de Boursorama. Elle dont le patronyme est vite sulfureux même si elle a gommé depuis quelques temps la particule Le Pen. Il n’en demeure pas moins qu’elle incarne un courant dur et nationaliste de l’extrême-droite en étant vice-présidente de Reconquête, parti fondé par le non moins clivant (et multicondamné pour provocation à la haine raciale) Eric Zemmour. A trois mois des élections européennes, est-il légitime qu’une marque offre des tribunes d’expression à des personnalités politiques qui s’inscrivent de surcroît dans des courants de pensée où la xénophobie affleure ?

Être un média comporte des obligations

Marion Maréchal pouvait en tout cas être contente du bon coup réalisé grâce à Boursorama. Trente minutes offertes pour dérouler confortablement son argumentaire économique sans aucune objection, ni correction contradictoire de la part de la journaliste pourtant spécialiste des questions bancaires et monétaires. L’échange aurait été filmé dans un cadre plus militant qu’il n’aurait guère été plus « soft ».

Toutefois, au-delà de cette approche éditoriale bien complaisante pour une plateforme qui se pique de faire de l’information, c’est surtout la question de l’intérêt que Boursorama peut poursuivre en faisant défiler des militants politiques. Autant la plateforme est dans son rôle lorsqu’elle convie des experts, des dirigeants et des analystes financiers, autant l’on peut s’interroger sur le bien-fondé de vouloir singer les émissions politiques dominicales. Face à la polémique qui enflait sur les réseaux sociaux et que les médias classiques ont ensuite repris, Boursorama a alors tenu à rectifier la position de l’entreprise en faisant valoir trois points dans un tweet le 26 février :

  1. Depuis 20 ans, le portail d’information Boursorama est un média qui suit l’actualité économique et financière. Comme tout média, il s’efforce d’assurer un principe d’équité entre les différents partis et mouvements politiques de notre pays.
  2. La liste des invités de l’émission Ecorama qui est composée d’hommes et femmes politiques de tous les grands partis et des principaux représentants syndicaux en atteste.
  3. De fait, Boursorama n’est pas le « partenaire » d’un parti politique, quel qu’il soit. Soyez assurés que nous veillons constamment à ce que toutes les sensibilités politiques soient représentées sur notre média.

Une étrange conception de la représentativité politique

La démarche d’inviter des figures politiques dans l’émission Ecorama est en fait relativement récente. Elle date de novembre 2023. A ce jour, en plus de Marion Maréchal, cinq autres membres de partis ont été interviewés. Or, à y regarder de plus près, l’affirmation de Boursorama sur son attachement à représenter toutes les sensibilités politiques, a de quoi faire tiquer sérieusement. Entre le 6 novembre et le 23 février, c’est d’abord l’extrême-gauche qui a ouvert le bal avec Aurélie Trouvé de la France Insoumise avant de voir se succéder au micro Nicolas Bay (également de Reconquête), Jean-Philippe Tanguy (Rassemblement national) et Bruno Retailleau (représentant de l’aile la plus droitière des Républicains).

Faut-il ensuite y voir une cause à effet ? Toujours est-il que trois jours après le passage de Marion Maréchal, c’est Marc Ferracci (Renaissance) qui est venu sur le plateau. En revanche, point de représentants des partis de droite, centre, écolo et gauche républicaines. A croire que ceux-ci n’ont aucun orateur capable de s’exprimer sur les questions économiques débattues dans l’optique des élections européennes. Ce décompte actuel ressemble en tout cas plutôt à la façon dont CNews conçoit la représentativité politique sur ses plateaux avec 75% pour la droite dure et extrême et 25% pour la piétaille d’ailleurs.

La marque ratiocine

Au-delà de la foire d’empoigne qui s’est ensuivi sur les réseaux sociaux, on peut également s’interroger sur le bénéfice d’image pour Boursorama. Du côté de la droitosphère, à lire les commentaires aux anges de ses fans, la banque est limite adulée. Ailleurs, le son de cloche est beaucoup plus grinçant et offusqué qu’autant d’écho ne soit accordé à un parti extrémiste et anti-européen. Les plus énervés ont même appelé au boycott de la marque ou ont brandi la menace de retirer leur argent sur leur compte détenu chez Boursorama.

Est-ce donc un si bon calcul réputationnel ? D’après le service de presse de la banque qui répondait à un média en ligne, il faut en fait opérer un distinguo (1) : « Nous avons plusieurs activités. Il y a le portail d’information économique et financière, plus que politique. Puis, il y a Boursobank, qui est la banque et enfin la bourse ». La belle affaire ! Comme si le client lambda était réellement au courant du changement de nom de la branche bancaire intervenu le 2 octobre 2023. Dans ce cas de figure précis, c’est avant tout la marque Boursorama dans sa globalité qui est affectée et qui risque de se voir affublée d’une étiquette d’entreprise conciliante avec l’extrême-droite.

Par ailleurs, il serait intéressant de savoir comment en interne, les collaborateurs ont vécu l’épisode ? Hormis les adeptes de la doxa hardcore de Reconquête, il ne doit pas être vraiment agréable de voir que sa propre entreprise ouvre grand et majoritairement les micros à la frange la plus dure de la droite française sans proposer un véritable équilibre des courants d’expression.

N’est pas média d’information qui veut

Autre point litigieux : le portail Boursorama.com ne peut pas exactement se prévaloir du statut qui régit la presse d’information générale (avec notamment l’attribution d’un numéro de commission paritaire pour celle-ci), ni revendiquer un cadre purement d’activité journalistique. Dès lors, est-ce vraiment à une marque de s’immiscer dans les débats électoraux sous couvert d’une mission d’information ? La question peut être posée.

Qu’une marque s’implique dans une cause sociétale peut se concevoir (à condition qu’on ne dérive pas dans du « purpose-washing »). Qu’une marque prétende éclairer sur les enjeux politiques d’une élection est nettement plus contestable, surtout lorsque la représentativité du spectre politique n’est pas vraiment au rendez-vous. La marque Boursorama a plus à gagner en réputation à distiller des analyses et des conseils d’experts financiers et de dirigeants économiques plutôt qu’aller patauger dans le marigot de l’extrême-droite et concourir à une forme de dédiabolisation.

Sources

– (1) – Lina Fourneau – « Réseaux sociaux : Pourquoi la banque Boursorama a-t-elle invité Marion Maréchal en se mettant à dos ses clients ? » – 20 Minutes.fr – 26 février 2024



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