Communication : verra-t-on disparaître un jour ce trop récurrent syndrome de la boîte à outils ?

C’est un constat qui n’a jamais cessé de me sidérer et de me laisser perplexe durant ma carrière professionnelle. A chaque enjeu de communication (ou presque) qui se présente, nombreux sont ceux qui pensent déjà quincaillerie et tuyauterie. Se préparer à une communication de crise ? Ecrivons vite un cahier de procédures et de messages clés. Relancer la communication interne ? Déployons vite un réseau social d’entreprise ou un baromètre. Détecter des influenceurs ? Achetons vite un logiciel qui pond des jolis graphes rassurants ou faisons un événement trendy. On pourrait empiler ainsi à l’infini ce genre d’exemples tellement la propension à raisonner aussitôt conception et livraison d’outils est largement répandue parmi les communicants et les agences. Et si la communication était d’abord l’art d’investiguer intellectuellement et avec pragmatisme ? Pour mieux cerner et analyser les atouts, les faiblesses, les risques et les opportunités d’une organisation donnée dans son écosystème, pour mieux comprendre les parties prenantes et les thématiques qui les préoccupent et au final pour mieux bâtir la stratégie idoine. Alors ensuite seulement, la boîte à outils pourra être déballée de son carton. Réflexions libres.

Sortira-t-on un jour de ce réflexe pavlovien qui consiste à dégainer immédiatement l’outil miracle lorsque se pose une problématique de communication ? Après plus de 20 ans d’exercice de ce métier de communicant, je me pose sérieusement la question. J’ai certes heureusement croisé plusieurs professionnels qui déplorent tout autant que moi ce conditionnement mécanique qui fait alternativement du communicant, un éditeur de brochures et des sites Web, un créateur de page Facebook, un organisateur de conférence, un producteur de contenus éditoriaux et vidéos, un diffuseur de communiqués. La liste est loin d’être exhaustive. Cette approche fallacieusement rassurante n’a pourtant jamais rien résolu sur le fond et dans la durée sur la réputation des organisations. Si vous ne prenez pas au préalable la peine de comprendre votre identité propre, vos publics et vos enjeux réputationnels au sein de votre secteur d’activité, vous assurerez probablement la fortune du commercial qui vous vend des outils mais pas forcément celle de l’organisation que vous êtes censé servir.

Pour illustrer mon propos, j’ai souvent coutume d’établir une comparaison avec le bricolage ! Quand vous pénétrez chez Leroy Merlin ou autre pour acheter du matériel, vous avez généralement un projet initial auquel vous avez mûrement réfléchi en interrogeant des experts, en s’informant, en comparant, voire en se formant, etc. Qu’il s’agisse de repeindre un mur, d’installer une canalisation, d’agrandir une pièce, etc, c’est toujours à la lumière de ce projet que vous sélectionnez ensuite l’outillage nécessaire, voire les compétences supplémentaires requises pour réaliser l’objectif final. Pourquoi ce paradigme tellement évident ne serait-il pas le même pour le métier de communicant ?

Vite, un outil et on va tout résoudre !

Nation Builder - schema softwareCe léger agacement vient de me saisir à nouveau avec la lecture récente des nombreux articles consacrés par la presse au logiciel Nation Builder qui est actuellement la coqueluche des partis politiques en France tous bords confondus. Nation Builder est l’illustration emblématique de ces pratiques qui pensent décrocher la timbale communicante en s’achetant le dernier outil informatique à la mode. Non pas que ce dernier soit une arnaque. Loin de là. Conçue en 2009 par Jim Gilliam, cette plateforme en ligne permet de constituer et gérer des bases de données auprès d’un public visé, d’inviter les personnes identifiées à se mobiliser pour une cause en faisant des donations financières et/ou en favorisant à leur tour la viralisation de contenus argumentaires, le tout à travers un site Web dédié qui brasse ensuite en permanence les données collectées pour amplifier et affiner la dynamique d’un mouvement. Aux Etats-Unis (Barack Obama en tête et dont l’outil est lui-même inspiré de la campagne de porte-à-porte électronique du candidat en 2008), les politiciens de tous horizons se sont vite emparés de l’outil pour mener leurs opérations électorales. Il existe même une version désormais disponible pour les entreprises qui veulent mettre en place de manière similaire des opérations de marketing automatisé comme le pétrolier Chevron, le site Airbnb ou encore l’opérateur télécoms Telefonica (2).

En France, Nation Builder a surgi pour la première fois sur la scène politique en 2013 à Marseille durant l’investiture pour défendre les couleurs du Parti Socialiste aux futures élections municipales de la cité phocéenne. A l’époque, la bagarre fait rage entre Samya Ghali et Patrick Menucci. La première ira jusqu’à mettre des mini-bus gratuits à disposition pour inciter les gens des quartiers à aller voter tandis que le second expédiera plus de 12000 SMS aux 24 000 personnes inscrites (1). Or, cette « prouesse » technique (à la limite du spam dirais-je) était précisément due à l’usage de Nation Builder. A tel point que le soir du résultat où Patrick Menucci l’emporte de 300 voix d’écart sur sa rivale, ce dernier aura un mot de remerciement pour … les équipes de Nation Builder, persuadé sans doute qu’il leur devait ce coup de rein militant décisif pour gagner. Depuis, l’outil est plébiscité en masse par les candidats qui affûtent déjà leurs armes rhétoriques pour les primaires de leur parti et la présidentielle de 2017.

Nation Builder - Le MondeEn plus du PS qui a entretemps formé des militants au maniement de l’outil, d’autres figures notoires ont adopté Nation Builder comme Alain Juppé, Bruno Le Maire, Nathalie Kosciusko-Morizet, Nicolas Sarkozy mais aussi Jean-Luc Mélenchon et probablement d’autres encore qui n’osent pas forcément assumer ouvertement cette industrialisation digitale du militantisme politique.

En revanche, un point est systématiquement commun à tous ces thuriféraires de Nation Builder : ils vont forcément faire la différence grâce à l’outil ! Chercheuse et auteure d’une thèse sur le militantisme en ligne, Anaïs Théviot ne dit pas autre chose (3) : « C’est une vision très marketing, très technique, un militantisme pragmatique, rationalisé (…) un changement dans la manière de concevoir les campagnes électorales, avec l’image d’un marché politique où l’électeur est un consommateur et le candidat un produit ».

On se calme et on boit frais !

Nation Builder n’est pas le seul outil de communication digitale à exciter les directeurs marketing et communication. On ne compte plus les logiciels de veille, d’identification, d’automatisation, de tracking et de viralisation qui promettent monts et merveilles aux marques et aux entreprises si celles-ci se décident à les utiliser dans leurs dispositifs communicants. Parmi eux, il existe effectivement d’excellents outils qui permettent effectivement de gagner un temps précieux dans la récolte et le traitement des données électroniques recueillies sur le Web, les médias sociaux et les bases de courriels. Mais le paradoxe de cette efficacité décuplée est qu’il vient encore un peu plus nourrir cette vision purement technologiste de la communication. En d’autres termes, il suffit d’installer l’outil, configurer quelques paramètres, appuyer sur un bouton et recevoir peu de temps après la récolte sous forme de camemberts multicolores, d’histogrammes bigarrés et autres livrables soigneusement packagés pour rendre l’info plus digeste et forcément parfaite.

Nation Builder - ToolboxC’est d’ailleurs le même registre de croyance qui prévaut actuellement avec l’engouement autour des chatbots qui vont répondre sur les messageries instantanées en ligne et qui vont ainsi forcément améliorer la relation avec les clients, les fournisseurs, les électeurs, etc. Alors qu’on aurait pu croire que la complexification croissante des stratégies de communication avec l’avènement du Web social aurait incité les professionnels du secteur à d’abord privilégier la compréhension de leurs propres enjeux et publics avant de choisir tel ou tel outil, c’est en fin de compte l’inverse qui se produit avec le retour en force et en fanfare de la « boîte à outils » miracle qui va tout révolutionner et solutionner sans trop d’huile de coude, ni jus de cerveau. Cette culture très utilitariste recèle pourtant des pièges létaux. Que des outils soient la traduction concrète d’une stratégie mûrement réfléchie ne pose en soi aucun problème. Néanmoins, lorsque ces derniers deviennent la stratégie elle-même, on s’égare dans une confusion très regrettable. Un outil à lui seul n’a jamais assuré le succès intégral d’une communication d’entreprise, de marque ou de personnalités. Il n’est qu’un vecteur plus ou moins pertinent qu’on active en fonction d’un contexte donné, d’une problématique à résoudre et d’acteurs qui gravitent autour de celle-ci. Cela implique par conséquent une réflexion préalable qui passe par un temps d’audit, d’interviews, d’échanges, d’analyses, de recoupements voire de débats contradictoires et de recueils d’attentes auprès des communautés ciblées.

N’en déplaise à certains neurones d’ingénieurs qui ne jurent que par la véracité du code informatique et à certains communicants frileux qui pensent justifier leur vraie valeur ajoutée en sélectionnant des outils sur catalogue, les enjeux d’opinion, d’image et de réputation sont devenus trop subtils, évolutifs (pour ne pas dire parfois aléatoires) et surtout interactifs pour continuer encore et toujours à ne s’en remettre qu’à des outils si puissants soient-ils d’un point de vue technologique. A ma connaissance, il n’y a qu’un cerveau humain, fort de son expertise métier, de son acuité intellectuelle à capter et relier des tendances, des idées et des signes et son empathie contextuelle, qui puisse être l’aiguillon et le pilote d’une stratégie de communication digne de ce nom. Qu’il se dote ensuite d’une boîte à outils pour augmenter ses capacités à dialoguer avec les parties prenantes et à rester agile à tout moment, est ensuite normal. Malheureusement, il semblerait que le mythe de « la boîte à outils » ait encore de beaux jours devant lui. Pourtant, un peu de jugeote et d’expérience humaines demeurent bien plus efficaces qu’un logiciel glam ou hype pour anticiper, jauger et agir en conséquence. Même l’intelligence artificielle dont certains vantent l’hyper-puissance inégalable est encore capable de se faire berner par des petits malins. L’avatar Tay de Microsoft s’en souvient encore sur Twitter !

Sources

– (1) – Corentin Durand – « Qu’est-ce que Nation Builder, le CMS qui veut renouveler la démocratie ? » – Numerama.fr – 11 février 2016
– (2) – Références clients affichées sur le site institutionnel de Nation Builder
– (3) – Amaelle Guiton – « NationBuilder : aide-toi, le logiciel t’élira » – Libération – 19 avril 2016



17 commentaires sur “Communication : verra-t-on disparaître un jour ce trop récurrent syndrome de la boîte à outils ?

  1. Patricia Lane  - 

    Votre article tombe à pic ! J’échangeais cette semaine avec un client, patron d’une jeune boîte sur le point de décoller après plusieurs années de croissance quasi-naturelle avec très peu de comm’ ou de marketing. Il souhaite que je l’accompagne dans sa communication tant en France qu’à l’international.

    Je l’écoutais lister les outils qu’il envisageait d’exploiter, me demandant mon avis et les autres outils que je pourrais proposer. Après un assez long échange, où je soulignais la nécessité impérieuse de commencer par définir une stratégie claire et des objectifs cohérents afin de pouvoir faire le tri parmi tous les outils possibles pour choisir les plus appropriés, il a compris. Il est en effet inutile d’acheter chauffage central, mobilier, électroménager et ainsi de suite avant d’avoir conçu (et construit) avec soin la maison dans laquelle on veut vivre et s’épanouir !

    Et hop ! Je partage votre billet avec lui 🙂

  2. Bruno Louisfert  - 

    Cela me rappelle quelques unes de nos conversations… Si tu le permets, on pourrait ajouter :
    – le tropisme de dirigeants prompts à s’esbaudir devant les arguments d’aigrefins prêts à tout (pourvu que ça fasse moderne) ;
    – l’air ambiant, qui vend du quantitatif miracle en oubliant (volontairement ?) le qualitatif (relire Morozov, sur le « solutionnisme ») ;
    – la paresse ou la vacuité de communicants auto-proclamés qui espèrent masquer leurs suffisantes insuffisances…
    La liste est longue et j’attends, comme toujours, ton prochain billet avec gourmandise !

    1. Olivier Cimelière  - 

      Merci Bruno !
      Effectivement je confirme totalement l’existence de ces 3 symptomes que j’ai également subis durant ma carrière ! On pourrait également le pressing forcené de certaines agences pour vendre à tout prix des outils sinon elles vous disent que vous êtes ringards ! En ce moment, c’est ce qui se passe avec Snapchat chez certaines capables de prétendre vendre cela à une maison de retraite s’il le faut !!!

  3. Yves  - 

    Pour communiquer, il faut savoir quoi dire, comment le dire, à qui le dire. Et c’est là que les outils entrent en jeux. A mon avis s’il y a plusieurs outils, c’est qu’il y a probablement des besoins à combler. Il faut savoir choisir et utiliser ces outils. Il ne pas oublier que communiquer, pour une entreprise est une grande tâche qui impacte beaucoup sur elle sur plusieurs aspect. Je préfère garder les bases d’une bonne communication puis trouver l’outils qu’il me faut pour atteindre mes objectifs. Innover dans en outillage n’est donc pas la priorité si on a pas le vrai sujet et les bases solides pour une bonne communication.On aime bien la communication sur le blog mon-capitaine.com. Merci pour l’article

  4. Mael Roth  - 

    Amen!

    Effectivement « a fool with a tool is still a fool »! À maintes reprises je fais l’expérience que l’attente de certains managers et décideurs est qu’un outil va résoudre des problèmes (notamment internes), mais un outil peut seulement aider à surpasser des obstacles, non pas tout faire… J’ai tellement d’exemples en tête pour cela… 🙂

    Merci pour cet article!

  5. Pontrev / Christophe  - 

    Excellente analyse ! Merci pour cet éloge au bon sens (et au professionnalisme »artisanale » humain ?). Avec la veille c’est malheureusement le même pb depuis l’avant-éclatement de la bulle internet de 2000. L’incapacité à créer du lien et du sens à partir de l’information disponible est sidérant. Le recueil systématique de signaux faibles issus de sources informelles avec une analyse humaine reste toujours pertinent face à la collecte de donnés analysées et retraitées informatiquement.
    En communication, il est toujours plus rassurant de s’appuyer sur des outils que par des retours terrain montrant les limites de l’audit initial, la compréhension d’un message à transmettre ou l’absence de brief.
    J’aime bien rappeler la basique distinction entre un but et un objectif, une méthode et un outil, une priorité et un moyen.
    Article que je mets précieusement dans mes favoris, Pocket, Evernote, etc. … ou que je vais simplement imprimer et punaiser près de mon ordi ? … 😉

    1. Olivier Cimelière  - 

      Merci Christophe et ravi que ce billet vous ait plu mais d’après ce que je lis, vous faites déjà partie de ces convaincus qui sachent bien faire le distingo entre outils et stratégies et l’ordre dans lequel il faut articuler l’ensemble. Malheureusement, ce discours n’est pas souvent tenu par beaucoup d’agences qui se contentent de facturer de la prestation pure et dure et qu’importe le reste. De même, des dircoms se rassurent en pensant être pertinents parce qu’ils font et utilisent des outils. Sauf qu’un marteau n’a jamais empêché un mur de s’écrouler !

  6. Matthieu  - 

    On est là dans une réécriture technologique de l’éternel combat entre le fond et la forme, non ? Moi, j’aime bien l’image de la « cerise sur le gâteau » : beaucoup ne pensent qu’à la cerise, qui fera beau dans la vitrine, qui donnera à ton travail la touche finale qui emportera l’adhésion. Mais l’important c’est bien le gâteau, le travail de fond, la sincérité de la démarche, la qualité de la réflexion… Tu peux mettre la plus belle cerise, mais si ton gâteau est dégueulasse, personne n’y reviendra deux fois.

    Et tu as remarqué comme les boites à outils, qui viennent toujours (ou presque) d’en haut, sont des échecs constants dans les entreprises ? Il te manque toujours la clé de 12… 😉

    1. Olivier Cimelière  - 

      J’aime beaucoup l’image de la cerise sur le gâteau ! C’est tellement ça ! Pour l’agence qui l’a vendue, c’est l’occasion en plus de se faire mousser en remportant un trophée de la profession et montrer ainsi comment elle est trop forte en matière d’outils ! Pour le communicant qui l’a acheté, c’est une manière de se rassurer et rassurer aussi son PDG ou DG et montrer sa (pseudo) valeur ajoutée.

      Mais comme tu dis, c’est bien beau de faire des blogs super design. S’il n’y a pas le fond, ça fait flop et parfois ça peut même revenir en pleine poire. Je me souviens du blog lancé il y a 3 ou 4 ans par Jean-Bernard Lévy alors patron de Vivendi. En soi, l’idée était bonne. Partager les vues d’un dirigeant du secteur sur l’industrie du contenu et des médias et positionner ainsi l’homme et son entreprise en termes de « Thought Leadership » … Sauf qu’au bout de 4 ou 5 billets creux et écrits en plus avec les pieds, le blog a promptement disparu !

      Il manquait sûrement la clé de 12 là aussi !!

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