Twitter : Quelle analyse tirer du retrait de Serge Papin, président de Système U ?
L’annonce a quelque peu défrayé la chronique du petit monde des twittos français. Depuis le 7 avril, le président de la coopérative Système U, Serge Papin a fermé son compte Twitter pour faire place à un compte institutionnel où l’enseigne de distribution prendra désormais la parole à titre collectif. Avec ce retrait, la twittosphère hexagonale perd l’un de ses plus ardents patrons connectés. Un choix étonnant à l’heure où l’édition 2014 du rapport anglo-saxon Brandfog souligne le caractère crucial d’une présence numérique pour les dirigeants d’entreprise.
Avis d’obsèques sur Twitter : le compte @sergepap n’est plus. Ouvert en 2011 par l’emblématique patron des enseignes Système U, Serge Papin, le fil était pourtant un incontestable succès ayant drainé plus de 5300 abonnés intéressés par l’actualité de l’entreprise et les messages de son n°1. Au bout de 3 ans, l’expérience s’arrête pour passer le témoin avec un compte institutionnel baptisé @LaCooperativeU. Pour le moment, ce dernier ne déchaîne pas vraiment les foules, ni les orphelins du compte de Serge Papin. Après une semaine d’existence et 28 tweets émis, 387 followers seulement se sont enregistrés. Serait-ce une erreur d’aiguillage communicant ?
Itinéraire d’un patron pionnier
La fermeture du compte de Serge Papin constitue une première. Il n’est certes pas le premier dirigeant d’entreprise à déserter Twitter après y avoir effectué une incursion. En revanche, son retrait est plus surprenant dans la mesure où sa démarche avait été couronnée d’un franc succès auprès de ceux qui s’intéressent au secteur de la grande distribution et au positionnement original que Système U incarne dans cet écosystème. Le compte Twitter de Serge Papin était d’autant plus reconnu et cohérent que l’homme a toujours été un infatigable et engagé promoteur de son entreprise et des valeurs sociétales du commerce de proximité.
Déjà apprécié des journalistes et des médias traditionnels pour son ton volontiers direct, voire iconoclaste, Serge Papin s’était fort logiquement emparé de Twitter qui déclarait-il dans une interview vidéo accordée au site TweetBosses, est « un élément supplémentaire à la prise de parole » et un « outil de management de la communication ». Dans cette vidéo tournée en octobre 2012, Serge Papin ne tarissait d’ailleurs pas d’éloges son expérience sur Twitter. A ses yeux, cela constituait une prise de température en directe du marché. En guise d’exemple, il citait ses échanges passionnés avec le twittos @ChouetteAgile très impliqué dans la valorisation des produits gastronomiques régionaux et issus du bio. De même, il se déclarait satisfait du contact direct tissé avec les journalistes le suivant ou encore la possibilité de mettre en avant les innovations lancées par Système U. En d’autres termes, rien ne laissait supposer que Serge Papin allait tirer le rideau numérique devant cette pléthore d’avantages communicants argués par l’impétrant.
Changement de propriétaire
Le 7 avril, le couperet de 140 signes est cependant tombé avec un ultime message de Serge Papin : « Je passe le relais au compte @LaCooperativeU créé aujourd’hui et qui a vocation à se substituer au mien qui s’arrête là ». Sur les raisons profondes de ce changement de cap, on n’en saura pas plus de la bouche de celui qui demeure pourtant l’incarnation des dirigeants ayant pleinement saisi l’impact et le caractère stratégique des médias sociaux à l’instar d’autres personnalités comme Françoise Gri, directrice générale de Pierre&Vacances/Center Parcs, Marie-Laure Sauty de Chalon, PDG d’Auféminin.com et d’autres encore à retrouver sur le site de TweetBosses lancé par le pionnier en la matière, Nicolas Bordas aujourd’hui, président de BEING et vice-président de TBWA Europe.
Les seules explications publiques ont été avancées par l’intermédiaire de Thierry Desouches, responsable des relations extérieures de Système U dans un article publié par les Echos. Le premier argument brandi pour justifier l’arrêt du compte présidentiel est un souci de prévenir des excès de personnalisation de la communication de l’entreprise où tout serait focalisé à travers le prisme du n°1 (1) : « « Le message y est beaucoup trop personnalisé. Il y aura d’autres patrons de Système U après Serge Papin, il ne peut pas autant incarner le groupement à lui tout seul ». Argument surprenant s’il en est car Serge Papin était loin d’être le seul dirigeant de Système U à s’exprimer déjà sur Twitter. Parmi les autres voix managériales, on peut par exemple citer Dominique Schelcher. Président de Système U région Est, il est opérationnel depuis décembre 2011 et rassemble près de 2000 followers autour d’une activité qui n’a jamais posé le moindre problème.
Autre élément concourant à la fermeture du compte Twitter mis en avant par Thierry Desouches : la voracité en termes de temps qu’induit la gestion d’un fil. Pour le communicant de Système U, Serge Papin était trop sollicité par … les clients de l’enseigne (2) : « « Serge Papin se retrouvait à devoir répondre, rapidement, aux consommateurs comme s’il faisait partie du service consommateur ». Au risque de surcroît de perturber le travail des équipes chargées du service après-vente. Là encore, l’explication laisse pantois. Nombre de dirigeants effectivement interpelés par des twittos, renvoient systématiquement sur le SAV en ligne et/ou le compte dédié sans que cela ne leur prenne un temps monstrueux dans leur agenda.
Aujourd’hui, le compte officiel de l’entreprise assure en lieu et place la prise de parole sur Twitter. Bien qu’il semble possible à l’avenir que Serge Papin y fasse quelques apparitions signées de sa patte, la timeline est rapidement devenue très quelconque. En une semaine, le fil s’est essentiellement consacré à l’ouverture d’un nouveau magasin dans le Maine-et-Loire, au partenariat signé avec la coopérative agricole Terrena, à l’agenda médiatique de Serge Papin et à une publicité pour le site Web de Système U. Soit un contenu un peu chiche en termes de conversation et d’engagement par rapport à l’animation éditoriale moins calibrée assurée jusqu’à présent par Serge Papin. Est-ce que les aficionados de l’ex-président twittos suivront désormais le nouveau compte ? Rien n’est moins sûr si la tonalité ne se débride pas un peu plus.
Etude Brandfog 2014 : 3 raisons pour que les dirigeants soient plus actifs
L’effacement de Serge Papin sur Twitter sonne d’autant plus à rebours des enjeux de communication actuels que la nouvelle édition du rapport de l’agence américaine Brandfog vient à nouveau de souligner le caractère crucial de la présence numérique des dirigeants. L’étude a ainsi interrogé plus de 1000 salariés aux USA et au Royaume-Uni dans divers secteurs et diverses tailles allant de la start-up à l’entreprise figurant dans le classement Fortune 1000. La conclusion générale est sans appel pour Ann Charles, présidente et fondatrice de Brandfog (3) : « Dans le monde hyper-connecté et orienté information d’aujourd’hui, les PDG et les directeurs généraux sont censés avoir une présence sociale active. L’image de la marque, la confiance en elle et le succès à long terme de l’entreprise en dépendent ».
A la lecture du rapport, trois enseignements ressortent très clairement des réponses apportées par les personnes interrogées. Premier constat : un dirigeant actif sur les réseaux sociaux est perçu comme un meilleur leader. 45% des répondants avaient déjà cette opinion en 2012. Ils sont désormais 75% ! Second constat : cette présence numérique accroît la confiance des parties prenantes envers l’entreprise. Deux-tiers des interviewés au Royaume-Uni et trois-quarts aux Etats-Unis jugent qu’il s’agit d’une preuve d’ouverture et de capacité à tenir compte des opinions des autres sur la réputation de la société, ses produits et ses activités. Troisième constat : les médias sociaux sont perçus comme une activité moderne de relations publics. A nouveau, plus de 2/3 du panel pense qu’il est désormais impossible de faire l’impasse sur les canaux de communication où se déroule la conversation.
Sans pour autant céder abusivement à une vision dogmatique qui riverait en permanence les dirigeants à leur clavier, ce coup de sonde opéré par Brandfog démontre très clairement que l’expression digitale des dirigeants est maintenant considérée comme un atout par un nombre sans cesse croissant d’acteurs. Qu’il faille instaurer des garde-fous et une ligne éditoriale consistante, tombe évidemment sous le sens. En revanche, reléguer les figures managériales derrière un improbable fil corporate ou les réduire au silence n’apparaît pas comme l’option la plus pertinente au regard de l’exigence sociétale appuyée de dialogue et d’engagement. Le curseur n’est certes jamais aisé à placer. Mais une chose est sûre : un fil Twitter conçu comme un enfilage de messages calibrés et sans aspérités est un investissement à perte. A contrario, l’implication de la direction générale est perçue positivement par les publics de l’entreprise. Peut-être assistera-t-on alors au come-back de Serge Papin dont les tweets informatifs et sincères vont manquer pour qui apprécie les dirigeants ouverts.
Sources
– (1) – Florian Debes – « Pourquoi Serge Papin (Système U) arrête Twitter » – Les Echos – 9 avril 2014
– (2) – Ibid.
– (3) – Rapport Brandfog 2014
Pour en savoir plus sur le rapport 2014 de Brandfog, télécharger ici le document dans son intégralité