Pape François : Pontificat communicant ouvert ou vernis incantatoire ?

Si Jean-Paul II était déjà un communicant hors pair sachant magnétiser les foules de jeunes fidèles à travers les célèbres JMJ, le pape François est en train d’élever la papauté à niveau de communication jamais vu. A l’approche du premier anniversaire de son élection à la tête de l’Eglise catholique, la planétaire « Francescomania » ne s’estompe toujours pas en dépit de quelques dossiers délicats où l’image du souverain pontife pourrait à terme s’en trouver écornée. Quels mécanismes sous-tendent cet indéniable enthousiasme et procèdent-ils d’une communication durable ou d’une casuistique cosmétique ?

Dans le monde des fidèles catholiques, Jean-Paul II demeure la boussole chrétienne de référence. Encore aujourd’hui immensément populaire, il sera d’ailleurs canonisé le 27 avril 2014, seulement 9 ans après son décès, aux côtés de Jean XXIII, autre figure papale notable qui aura profondément marqué l’histoire de l’Eglise catholique avec la réforme de Vatican II. En revanche, jamais un souverain pontife n’avait recueilli autant de suffrages et de ferveur bien au-delà du cercle des croyants et des pratiquants. Devenu pape François depuis mars 2013, l’Argentin Jorge Maria Bergoglio désormais 266ème évêque de Rome pulvérise les records de popularité qui ne lassent pas d’étonner. Cet élan suffira-t-elle à relancer l’attractivité de l’Eglise catholique depuis si longtemps empêtrée dans des querelles sociétales très conservatrices et des scandales ternissant sa réputation ?

Ce pape qui électrise les médias et les foules

Pape Francois - Rolling StonesDéjà en 2013, l’édition italienne du magazine de mode Vanity Fair avait vite succombé au « style François » en le consacrant d’emblée homme de l’année et en le qualifiant de « pape courage » (1). Rebelote quelques mois plus tard avec l’hebdomadaire américain Time Magazine qui désigne le pape François comme Personnalité de l’année au motif que « le ton, la perception et l’approche de l’Eglise catholique » ont profondément changé pour la directrice du magazine (2). Mais la plus inopinée des couvertures est sans conteste celle que le magazine culturel Rolling Stones a faite avec le souverain pontife en février 2014. Titre emblématique des artistes et intellectuels progressistes anglo-saxons, la Une de l’hebdomadaire a délaissé pour la première fois les rockers et les acteurs de cinéma pour afficher un portrait souriant du pape François. Plus fort encore est le choix de l’ancien cardinal argentin comme figure de l’année 2013 par The Advocate, un magazine gay-lesbien militant pour le fait qu’il envoie « un signal important de discontinuité par rapport à son prédécesseur » (3). Et partout dans le monde, la presse n’en finit plus de dédier des longs reportages à ce patron de l’Eglise catholique pas comme les autres.

Dans les sondages, cette popularité papale ne se dément pas. En décembre 2013, Le Parisien et BVA avaient interrogé un échantillon représentatif de Français (4) à propos de leurs opinions sur le pape François. Ce fut à nouveau un plébiscite patenté où même le réputé Jean-Paul II et son successeur Benoît XVI sont renvoyés dans les cordes avec respectivement 85% de bonnes opinions pour l’actuel locataire du Vatican, 80% pour l’emblématique Polonais et 43% pour l’austère Allemand. Dans les qualificatifs spontanément accolés à la personnalité du nouveau pape, viennent à plus de 80% les épithètes suivants : proche des gens, sympathique, simple, honnête, modeste, généreux, courageux et rassembleur. Même les traditionnels clivages politiques et religieux volent en éclats lorsqu’il s’agit de perception du pape François. Les sympathisants de gauche sont ainsi 80% à juger positivement l’homme (88% à droite), les croyants d’autres religions montent même jusqu’à 88% tandis que chez les athées, 69% sont favorables !

Au quotidien, cet authentique carton plein enregistre une vigueur identique. Historien reconnu des religions, Odon Vallet évoque les foules massives qui se pressent à l’audience pontificale tous les mercredis à Rome (5) : « Il y a en moyenne quatre fois plus de monde que sous Benoît XVI. Peut-être entre 200 000 et 300 000 personnes ». Une comptabilité qui se prolonge avec autant de succès sur les réseaux sociaux. Si l’ouverture du compte Twitter du Pape avait été initiée par Benoît XVI, l’envol des abonnés s’est clairement produit sitôt l’intronisation de Jorge Maria Bergoglio officialisée. A l’heure actuelle, « Pontifex » mobilise plus de 10 millions de twittos suiveurs dans le monde à travers ses neuf versions linguistiques disponibles. Un écho qui a catapulté le pape François dans le Top 90 des personnalités les plus populaires sur Twitter !

Pape Francois - sondage BVA

Une rupture de style qui ne date pas de … François

Pape Francois - twitterSi le pape François engrange autant de popularité, il le doit évidemment à sa propre personnalité mais également à un début de remise à plat de la communication pontificale amorcée par … Benoît XVI en 2012. A l’époque, l’image de l’Eglise est profondément à la peine. En plus d’un souverain pontife qui ne déchaîne guère les foules par sa sobriété, ses discours monocordes et son austérité religieuse, le Vatican traîne des boulets réputationnels particulièrement lourds avec des affaires de pédophilie à répétition, des déclarations sulfureuses de prêtres intégristes, des soupçons de blanchiment d’argent mafieux par l’Institut des œuvres religieux (IOR) et le dossier Vatileaks qui dévoile les turpitudes et les luttes intestines sans merci des soutanes vaticanes. A cela, s’ajoutent des boulettes discursives comme celle de mars 2009 où Benoît XVI déclare lors d’un voyage en Afrique que (6) « la distribution de préservatifs augmente le problème » à propos du SIDA ou celle en 2006 à Ratisbonne où il qualifie la religion musulmane de « violente ».

Dans une excellente plongée en coulisses publiée en 2012, Philippe Ridet, journaliste au Monde, raconte comment le souverain pontife et son entourage ont alors pris conscience des dangers d’image qui menaçaient sérieusement l’intégrité réputationnelle de l’Eglise. Ils vont pour cela recruter un ancien journaliste américain de Time Magazine et Fox News, Greg Burke pour tenter de mettre un peu d’ordre et de cohérence dans le capharnaüm communicant du Saint-Siège. L’homme cerne très vite les enjeux (7) « Le Saint-Siège s’adresse à deux publics : un public planétaire en tant qu’Etat dont les positions sont attendues et écoutées ; et un autre composé de plus d’un milliard de catholiques. Je m’occupe de communication globale dans le premier cas et de communication interne dans le second ».

Autre challenge pointé par le nouvel expert en communication (8) : « Mon travail consiste à aider les responsables de la curie à prendre conscience qu’en matière de communication, le contexte dans lequel est produit le message est aussi important que le message lui-même ». Or, si l’image de l’Eglise a subi de si brutaux décrochages ces dernières années, c’est précisément par cette absence de prise en compte du contexte avec un pape plus préoccupé de théologie ronronnante et autocentrée que de s’ouvrir plus franchement aux problématiques du monde actuel envers ses fidèles mais également envers ceux qui suivent et s’intéressent aux positions spirituelles de l’Eglise catholique. C’est entre autres cette réflexion qui conduira aux premiers pas du Vatican sur la sociosphère avec l’ouverture du célèbre compte Twitter mais également, une page Facebook, une chaîne YouTube , un site d’information en ligne News.va et même plus récemment, un compte Instagram.

Pape François ou l’agent décisif

Une proximité accrue avec les fidèles

Une proximité accrue avec les fidèles

En élisant une personnalité comme celle de l’ancien archevêque de Buenos Aires, le conclave romain s’est alors donné les moyens d’amplifier cette stratégie de reconquête d’image. D’emblée, Jorge Maria Bergoglio se place sous le signe de la rupture de style jusqu’à aller prendre un prénom jamais porté précédemment par un autre pape mais également évocateur de Saint François d’Assise, apôtre du dialogue interreligieux et de la lutte contre la pauvreté. Dès le premier jour de son pontificat, le pape François a touché par sa simplicité et son ton direct capable de traits d’humour, de prendre des enfants dans les bras ou d’étreindre chaleureusement des femmes sous l’œil des caméras du monde entier. De même, il rompt aussitôt avec le faste bling-bling de la papauté en revêtant une soutane blanche immaculée sans signes extérieurs de richesse et en quittant le palais pontifical du Vatican pour une demeure de 90 mètres carrés plus modeste.

Le discours est à l’aune des symboles médiatiques adoptés spontanément par le pape François. Dans les premiers mois, tous les observateurs sont subjugués par cette liberté de ton qu’il s’accorde, faisant parfois fi des protocoles lourdauds du Vatican pour privilégier des homélies parlant du quotidien des hommes et des femmes. Histoire de souligner qu’un virage net est amorcé, les formules se multiplient où il refuse « une Eglise qui agit comme un poste de douane » (9) ou qui soit « faible, auto-référentielle, prisonnière de ses langages rigides » (10). Y compris sur des sujets délicats pour la religion catholique comme l’homosexualité, le pape François détonne en déclarant (11) : « Si une personne est gay et cherche le Seigneur, qui suis-je pour la juger ? ».

La communication papale résonne avec d’autant plus d’écho qu’elle est accompagnée d’actes sincères forts que les médias ne manquent pas de relever. On ne compte plus les scènes où le Pape entend descendre de son piédestal où ses prédécesseurs avaient tendance à demeurer. Il quitte ainsi sa papamobile pour aller à la rencontre des fidèles lors d’un parcours en ville. Il lave les pieds de prisonniers. Il se rend à l’île de Lampedusa en juillet 2013 pour prier pour les émigrés clandestins morts naufragés. Il appelle à une « Eglise pauvre pour les pauvres ». Au final, il a cassé l’image fouettarde et punitive d’une Eglise au discours souvent moralisateur et excluant. Tous ces éléments concourent par conséquent à redorer la réputation de l’Eglise et l’extraire petit à petit du carcan flagellateur qui a tendance à faire fuir.

L’effet « François » peut-il durer ?

Pape Francois - super papeIndubitablement, le pape François pourra se féliciter d’avoir réussi en l’espace d’une année à redresser l’image sérieusement cabossée de l’Eglise catholique parmi les pratiquants mais également dans d’autres cercles sociétaux moins enclins à écouter la parole papale. Néanmoins, l’aggiornamento qu’il est parvenu à accomplir en termes de communication auprès des publics de la planète, n’est pas totalement assuré de durer. Par son style humble et empathique, le pape François a levé des attentes fortes qui ne vont pas forcément être aisées à concilier avec les fondamentaux de la doctrine catholique.

S’il ne se montre pas totalement opposé à l’ouverture d’un débat sur le célibat des prêtres ou les personnes divorcées privées de certains sacrements religieux, il est en revanche à l’heure d’aujourd’hui inamovible sur des sujets comme le mariage gay ou l’avortement. Pour l’instant, il n’est nullement question de déroger à ces principes conservateurs. Ce qui à terme peut constituer un premier hiatus dans la communication du pape François. Un enjeu d’autant moins évident à relever qu’il s’agit de faire converger les croyants les plus traditionnalistes et fermés à tout changement du dogme et des personnes croyantes et/ou ayant une vie spirituelle plus enclines à suivre une Eglise ouverte aux évolutions sociétales.

Sur l’aspect plus politique des affaires du Vatican, le pape François est également attendu au tournant. Actuellement occupé à réformer en profondeur les instances dirigeantes du Saint-Siège, le souverain pontife fait bouger les lignes mais pas forcément au goût de tout le monde et notamment des plus conservateurs. Les critiques sont pour l’instant émises à fleuret moucheté mais là encore, la posture communicante adoptée par le pape François va obliger à un moment donné à trancher entre une inclinaison véritablement plus progressiste (telle que le suggère la ligne de la communication actuelle) ou à retoucher seulement à la marge (au risque de devoir alors rétropédaler à l’avenir et réviser cette communication qui fait son succès actuel).

Une communication réussie passe toujours par des actes

Pape Francois - portrait mains jointesUne affaire particulièrement sensible est symptomatique du défi qui attend le Pape actuel : l’IOR. La banque vaticane affectée par de fortes présomptions de trafics financiers en tout genre est une grenade dégoupillée pour l’Eglise. Les enquêtes policières sont encore en cours mais leurs conclusions pourraient là aussi contraindre le pape François à devoir jongler avec certaines contradictions. Journaliste en charge du site Vatican Insider édité par le quotidien La Stampa, Andrea Tornelli suit depuis 20 ans les affaires du Saint-Siège. Il semble dubitatif (12) : « Si le Vatican maîtrise mieux sa communication, c’est pour aussi mieux cacher ce qu’il ne veut pas montrer. Attention à ne pas tomber dans le piège de l’instrumentalisation ».

Il apparaît clairement que la communication ne pourra à elle seule redonner tout le souffle influent dont l’Eglise catholique a besoin. En dépouillant celle-ci de ses apparats psychorigides et en la recentrant sur les souffrances du monde et un certain humanisme, le pape François a pleinement réussi la première séquence communicante. Elle ne coulait pourtant pas de source tant l’institution catholique reste entachée de zones d’ombre où l’exigence sociétale n’est pas prête à lâcher la pression (par exemple la pédophilie de certains prêtres). Aujourd’hui, l’Eglise est à nouveau en mouvement et bénéficie d’un écho très favorable. Celui-ci ne se poursuivra qu’à la condition expresse d’enclencher prochainement des réformes spectaculaires. Sans forcément dévoyer le corpus catholique et renier certains fondamentaux, le pape François va devoir désormais montrer que la bouffée d’air engendrée depuis le début de son pontificat, n’est pas un simple courant d’air sur lequel se refermera une porte capitonnée.

Sources

– (1) – Stéphanie Le Bars – « Rupture de style » – Le Monde – 22 juillet 2013
– (2) – Dossier spécial « Un Pape d’Enfer » – Courrier International – 13 février 2014
– (3) – Ibid.
– (4) – Hélène Haus – « François plus fort que Jean-Paul II » – Le Parisien – 29 décembre 2014
– (5) – Ibid.
– (6) – Philippe Ridet – « @pontifex, le plan com’ du Vatican » – M le magazine – 29 décembre 2012
– (7) – Ibid.
– (8) – Ibid.
– (9) – Stéphanie Le Bars – « Rupture de style » – Le Monde – 22 juillet 2013
– (10) – Stéphanie Le Bars – « Le pape François veut des jeunes chrétiens révolutionnaires à contre-courant » – Le Monde – 30 juillet 2013
– (11) – Hélène Haus – « Six actes qui ont séduit » – Le Parisien – 29 décembre 2013
– (12) – Philippe Ridet – « @pontifex, le plan com’ du Vatican » – M le magazine – 29 décembre