Obésité infantile : peut-on communiquer efficacement par la culpabilisation ?
D’année en année, le constat ne varie guère. L’obésité infantile ne cesse de grignoter du terrain dans les pays occidentaux. Aux-Etats-Unis, la cote d’alerte a déjà été franchie depuis longtemps malgré les campagnes de communication. En France, les indicateurs virent à leur tour invariablement à l’orange avec actuellement 12 à 15% des enfants obèses ou en surpoids.
Pour enrayer cet indéniable problème sanitaire, certains acteurs de la santé rivalisent de messages et de propositions chocs. Avec régulièrement un ressort systématique : motiver à manger moins en culpabilisant les personnes. Peut-on raisonnablement espérer faire fondre la masse graisseuse excessive à coups de slogans flagellateurs ?
Tu ne seras point gros, mon fils !
Alors que se déroulait ce week-end la journée nationale du dépistage de l’obésité infantile, le célèbre médecin nutritionniste Pierre Dukan a déboulé quelques jours auparavant avec un livre fracassant (1) où il interpelle le futur président de la République pour qu’il fasse sien le combat contre l’obésité. A la clé : une proposition iconoclaste pour éradiquer le surpoids dans les écoles en introduisant une option facultative « poids d’équilibre » à l’épreuve du baccalauréat ! L’apôtre des régimes minceur suggère ainsi d’attribuer des points supplémentaires à tout élève justifiant un indice de masse corporelle compris entre 18 et 25 le jour des épreuves. Accusé par ses détracteurs de stigmatiser les ados en excès de poids, il réplique convaincu que (2) « s’il est gros, il devra perdre lentement 100 grammes par trimestre, rien de violent ! ». En somme, fini le grignotage, place au bachotage calorique !
De l’autre côté de l’Atlantique, c’est une campagne publicitaire baptisée « Strong4Life » qui a récemment déclenché une vaste polémique dans l’Etat de Géorgie. Lequel détient la peu enviée deuxième marche du podium national en matière d’obésité infantile. Lancée par le centre pédiatrique d’Atlanta, « Children Healthcare », elle décline plusieurs mini-spots et visuels où une fillette enrobée raconte plaintivement que (3) « c’est difficile d’être une petite fille si vous ne l’êtes pas » tandis qu’un garçonnet désemparé interroge sa mère incapable de lui répondre : « Maman, pourquoi suis-je gros ? ». Vivement critiquée, la directrice du centre pédiatrique ne désarme pas en répliquant que 75% des parents en surpoids ignorent le problème et que 85% des gens ayant vu la campagne l’ont jugé positivement.
Interrogée par le grand quotidien local, la responsable sanitaire enfonce le clou et défend la nécessité d’une telle stratégie de communicante qui vise clairement à culpabiliser les parents pour leur faire prendre conscience des enjeux (4) : « Nous devons faire quelque chose sur ce sujet ou notre état sera en détresse. Or, ce n’est pas bon si votre état a le second taux le plus élevé d’obésité. Les enfants obèses deviennent des adultes obèses ». Dans le berceau de la grande boisson sucrée qu’est Coca-Cola, les oreilles ont probablement dû siffler !
Culpabiliser, c’est gagner ?
Si les deux initiatives ont le mérite de tirer une fois de plus la sonnette d’alarme sur le préoccupant problème de l’obésité chez les jeunes, elles n’en ont pas moins suscité l’agacement auprès de nombreux professionnels de santé qui estiment que la culpabilisation autour de la seule nourriture n’aide pas pour autant les personnes concernées et leur entourage familial. Pour le docteur Jean-Michel Borys, endocrinologue, nutritionniste et codirecteur du programme Epode (Ensemble, prévenons l’obésité des enfants), elles occultent d’autres aspects tout aussi cruciaux qui entrent en ligne de compte dans l’expansion de l’obésité (5) : « Certes, 50 à 60 % des cas sont liés à la malbouffe mais parallèlement, on entend souvent dire qu’on ne peut devenir obèse que si l’on est prédisposé à l’être. Sachez que 80 à 90 % de la population y est prédisposée. La génétique est ainsi responsable de 30 % des cas d’obésité. Les autres causes sont l’environnement et l’activité physique ».
Invité à se prononcer sur l’idée du « bac poids » du Dr Dukan, le Dr Borys n’est pas tendre avec son confrère (6) : « Comment peut-on proposer une chose pareille ? Le docteur Dukan n’a pas dû avoir d’adolescents en consultation depuis bien longtemps pour ne pas se rendre compte de la souffrance extrême dans laquelle vivent les jeunes adultes en surpoids. Cette mesure, si elle était adoptée, ne ferait qu’augmenter leur stigmatisation. Cette proposition est pathétique et presque risible ».
Angélique Kosinski, psychologue clinicienne pour enfants et adolescents (et épouse de l’auteur de ce billet) abonde dans le même sens (7) : « Culpabiliser n’a jamais aidé à résoudre un trouble addictif alimentaire. Bien au contraire car ce dernier est précisément à l’origine source de … culpabilité et étroitement lié à un besoin de décharge émotionnelle immédiate. En d’autres termes, cela se traduit par « je n’arrive pas à gérer mes émotions alors je compense en mangeant excessivement ». Culpabiliser risque par conséquent de faire empirer la pathologie du patient plutôt que l’inverse ».
Comment parler de l’obésité ?
Loin des coups de com’ simplistes, opportunistes et/ou provocateurs, l’obésité ne procède de surcroît pas d’une perception monolithique selon les catégories sociales et les habitudes culturelles. Le Dr Borys explique par exemple que la prise de conscience est mieux ancrée parmi les gens aisés et cultivées (8) : « En fonction de l’appartenance à un groupe sociale, le regard sur le poids est très différent. Ainsi, dans certains milieux populaires, avoir des enfants grassouillets est signe de bonne santé. Je pense que les efforts des institutions devront donc se porter sur cette seconde catégorie de la population ».
A l’instar de nombreux troubles addictifs, communiquer auprès des populations concernées pour tenter de déclencher une prise de conscience et enrayer les déviances, est donc un exercice éminemment délicat et souvent aléatoire. Il n’existe pas de solution uniforme toute faite ainsi que le démontre le résultat d’une étude du Credoc publiée en novembre 2011 au sujet de la perception de la campagne « Mangez cinq fruits et légumes par jour » menée dans le cadre du Programme National de Nutrition Santé du ministère de la Santé. Les enquêteurs ont ainsi noté que seuls 27% des Français appliquaient la consigne officielle dans leur alimentation quotidienne.
Lire la suite de ce billet sur le Plus du Nouvel Observateur
Sources
(1) – Dr Pierre Dukan – Lettre ouverte au futur président de la République – Editions du Cherche-Midi – Janvier 2012
(2) – Juliette Demey – « Le coup de mou du pape des régimes » – Le Journal du Dimanche – 8 janvier 2012
(3) – Bonnie Rochman – « Ads Featuring Overweight Children Make Some Experts Uncomfortable » – Time – 4 janvier 2012
(4) – Ibid.
(5) – Marie-Laure Makouke – « Obésité infantile : le comportement alimentaire n’explique pas tout » – Terra Femina – 8 janvier 2012 (6) – Ibid.
(7) – Entretien avec l’auteur – 9 janvier 2012
(8) – Marie-Laure Makouke – « Obésité infantile : le comportement alimentaire n’explique pas tout » – Terra Femina – 8 janvier 2012
3 commentaires sur “Obésité infantile : peut-on communiquer efficacement par la culpabilisation ?”-
MICHEL -
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Elisabeth -
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Olivier Cimelière -
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Ton sujet est tres interessant. Il me touche de pres car il se trouve que j’habite a Atlanta (Georgie). De plus, en tant que prof de yoga, je souhaite donner des cours a des personnes qui n’auraient pas habituellement l’idee de pratiquer cette activite, notamment parce qu’elles considerent que faire du yoga n’est pas a leur portee. Autant dire que les personnes souffrant de surpoids font partie de ma « cible ».
Je suis tout a fait d’accord avec toi -et avec Angelique-lorsque tu dis que culpabiliser les personnes ou les enfants obeses ne resoud rien. A quoi servirait de culpabiliser des personnes (adultes et enfants) qui sont avant tout victimes ! L’idee est de leur apporter du soutien et de l’empathie, au contraire.
Je trouve aussi la campagne Strong4Life est tres interessante dans son contexte, ici en Georgie ou 40% d’enfants sont en surpoids ou obeses. Dans cette region du monde, il est de notoriete publique que ce probleme de surpoids est du, dans la tres grande majorite des cas, a la malbouffe. « Drink a Coke and be happy! », comme dirait une pub de Coca Cola !
Manger du fast food, boire exclusivement des sodas, exiger des portions tres grandes dans les restaurants… Tout ca est devenu la normale. Un diner, cuisine a la maison, avec des legumes au menu est une rarete ici !
Alors Strong4Life a le merite de faire prendre conscience que cette malbouffe a des consequences (diabete, cholesterol…) sur la sante, ce que beaucoup de parents ne savent pas.
La phase 2 de cette campagne doit sortir prochainement an apportant des solutions. J’espere que ce sera effectivement le cas sinon, effectivement, cette campagne n’aurait que peu d’interet.
Merci Elisabeth pour cet éclairage en direct du terrain ! Je serais d’ailleurs très intéressé de connaître la suite lorsque la nouvelle campagne sortira. Cela sera l’occasion de faire un suivi et voir si le discours culpabilisant est maintenu.
Je sais qu’effectivement l’obésité est un vrai fléau aux USA et j’ai toujours halluciné devant les portions servies dans les restaurants et les fast-foods. Mais stigmatiser quelqu’un n’a jamais aidé à ce qu’il se prenne en main pour essayer d’autres voies et résoudre son problème. L’intention de tirer la sonnette d’alarme est compréhensible mais l’impact peut être ravageur auprès des personnes ciblées
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