Catastrophe de Brétigny : La com’ de la SNCF en aurait-elle trop fait ?

Dans l’heure qui a suivi le déraillement mortel du train Paris-Limoges en gare de Brétigny-sur-Orge, la direction de la SNCF a spontanément occupé le terrain et multiplié les actions de communication en interne, auprès des médias et sur les réseaux sociaux. A tel point que certaines voix s’élèvent pour s’insurger contre un excès de com’. Critiques judicieuses ? Pas si sûr.

12 juillet 2013, 18 h 55. Depuis 90 minutes, plusieurs wagons du train Corail à destination de Limoges gisent renversés en gare de Brétigny. Dans un amas de tôles froissées et de quais défoncés, les secouristes et les agents SNCF s’affairent fiévreusement pour dégager les victimes. Au même moment, Guillaume Pepy, le président de la SNCF, est également présent sur le site de cette catastrophe qui marque particulièrement les esprits en cette période de transhumance estivale. Avec une émotion sincère, il livre ses premières interviews tandis que la direction de la communication investit Web et réseaux sociaux pour rendre compte, heure par heure, de l’évolution de la situation. Peut-on pour autant parler de communication excessive, voire de sur-réaction ?

Un dispositif éclair complet et actualisé

Guillaume Pepy détaille l'éclisse incriminée à la presse

Guillaume Pepy détaille l’éclisse incriminée à la presse

En termes de d’organisation, la SNCF n’a pas lésiné sur les moyens pour tenir immédiatement informé toutes les personnes concernées de près ou de plus loin par la catastrophe ferroviaire de Brétigny. A cet égard, le Web a été une cruciale cheville ouvrière pour assurer le lien avec les différents publics. En interne, les éléments relatifs à l’accident ont été aussi répercutés auprès de l’ensemble de personnel. Ce type d’action qui peut sembler évident à mener en situation de crise, n’est pourtant pas toujours l’apanage d’entreprises ébranlées par un fait gravissime. Plus souvent qu’on ne le croit, l’interne est zappé ou tenu pour quantité négligeable tant les équipes de communication sont vite obnubilées par les requêtes pressantes des médias. A contrario, la SNCF a su d’emblée partager les informations nécessaires auprès de ses salariés et des partenaires sociaux, capables ainsi de répondre à d’éventuelles questions de voyageurs ou autres parties prenantes.

La SNCF a fourni nombre d'informations techniques

La SNCF a fourni nombre d’informations techniques

En externe, la compagnie ferroviaire nationale a fait preuve d’une identique réactivité envers ses usagers avec notamment le recours aux fils Twitter des lignes affectées par les répercussions du drame, une page Internet dédiée aux familles des victimes et une autre pour le public. Concernant les médias, la disponibilité a également été totale avec des espaces presse en ligne régulièrement alimentés en informations, photos et divers éléments pour les journalistes. Très vite, Guillaume Pepy se rend sur place, livre à chaud ses premières réactions émues mais sans emphase, ni conjectures hasardeuses. Quelques heures plus tard, un premier point presse est organisé pour faire connaître plus précisément les circonstances du déraillement. Dans les jours qui suivent, les conférences interviennent à cadence régulière à mesure que les premières investigations rassemblent les indices.

A cet égard, il convient de souligner l’effort notoire de transparence et de pédagogie affiché par l’entreprise. Dès le lendemain de la catastrophe, la SNCF endosse d’elle-même la responsabilité et avance l’hypothèse d’une défaillance matérielle. Cette hypothèse sera rapidement accompagnée de clichés photo très précis et d’explications autour de la pièce incriminée : une éclisse dont plusieurs boulons se seraient désolidarisés. Quand rapidement se font jour les questions embarrassantes autour de la baisse des investissements pour la maintenance des équipements et de la vétusté du matériel ferroviaire, la SNCF n’élude pas le débat. Tous les représentants font front avec des chiffres et des arguments clairs. Mieux, des responsables de l’entretien des voies sont même sollicités pour témoigner à leur tour de leur travail et des contrôles qu’ils effectuent. Là encore, rares sont les entreprises en situation de crise à mobiliser autant de porte-paroles pour apporter des éléments de contexte.

Les mécontents déraillent-ils ?

Quelques-uns se sont émus de l'omniprésence médiatique de Guillaume Pepy

Quelques-uns se sont émus de l’omniprésence médiatique de Guillaume Pepy

En dépit de la posture communicante résolument ouverte de Guillaume Pepy et son staff, des voix se sont élevées pour dénoncer une ubiquité abusive. Ancien secrétaire général de la CGT Cheminots et toujours très impliqué dans la vie de l’industrie du rail, Didier Le Reste a été le premier à dégainer contre la communication grande vitesse du président de la SNCF (1) : « On ne peut pas livrer au peuple une version quasi arrêtée des causes. Normalement, ça prend des semaines. Il y a la pression médiatique et il s’est un peu précipité » car « on peut se demander aussi dans quel état était le matériel roulant ».

Sur un registre similaire, le journaliste spécialisé Marc Fressoz a émis à son tour des préventions sur la stratégie de communication empruntée par Guillaume Pepy (2) : « Vingt-quatre heures après l’accident, il annonce déjà la cause. Lors du crash du Concorde, on n’aurait jamais imaginé le patron d’Air France faire quelque chose comme çà ». A cette polémique naissante autour d’un excès de transparence, le directeur de la communication de la SNCF, Patrick Ropert, a tenu à mettre les points sur les « i » (3) : « On a donné un élément sur l’origine de l’accident, pas sur la cause. Nous avons donné des faits, pas des commentaires ». Et Guillaume Pepy lui-même de réfuter qu’il cède à la pression médiatique et celle de l’opinion publique (4) : « Dès qu’une information est vérifiée, nous la rendons publique ».

Ces commentaires mordants à l’encontre de la communication mise en place par la SNCF, ont effectivement de quoi de surprendre. Oublie-t-on un peu prestement que généralement, peu d’entreprises sous le feu d’un accident grave sont enclines à se montrer présentes (ou alors a minima) et encore moins à jouer à livre ouvert sur les faits et les circonstances. Ces attitudes « bunker » sont d’ailleurs régulièrement étrillées par la presse qui soupçonne dès lors les dirigeants de cacher tout ou partie des véritables ressorts de l’affaire pour s’en tirer à moindre mal. La SNCF n’a pas emprunté cette voie et préféré miser sur une communication plus ouverte, quitte à subir le feu des questions vives, voire dans le futur à devoir affronter de nouvelles révélations que les enquêtes en cours pourraient amener.

Lac Megantic : le parfait contre-exemple

Pendant près de 3 jours, quasi silence radio de la compagnie MMA

Pendant près de 3 jours, quasi silence radio de la compagnie MMA

A ceux qui s’obstinent à penser que Guillaume Pepy a pêché par abus de présence médiatique, il conviendrait de se référer à une autre récente catastrophe ferroviaire : celle du Lac Megantic au Canada. Le 6 juillet dernier, un convoi ferroviaire sans conducteur (à cause d’un frein mal serré) et transportant des carburants a déboulé dans la petite ville québécoise. Il a provoqué une gigantesque explosion ravageant une trentaine de bâtiments et causant la mort de 37 personnes. Aussitôt, la compagnie américaine propriétaire du train fou, la Montréal, Maine & Atlantic (MMA) s’est retrouvée au cœur des accusations.

Face à cette crise énorme qui aurait fort logiquement exigé une réaction de la part des dirigeants incriminés, la MMA va pourtant faire preuve d’un autisme communicant sans précédent. Elle a en particulier attendu près de 3 jours avant que son président ne daigne venir en personne sur les lieux du drame. Président qui est ensuite subrepticement retiré du dispositif de communication pour son incapacité à se saisir de l’ampleur des dégâts et des traumatismes provoqués dans la population et dans l’opinion publique. Membre éminent des professionnels de la communication au Canada et président de l’agence Direction Communications Stratégiques, Pierre Gince est atterré par l’accumulation laxiste des erreurs que MMA a commises au fil des jours suivant la catastrophe (5) : « Au lieu de se positionner rapidement comme un citoyen corporatif responsable et animé par des valeurs, la MMA a pris la voie inverse, choisissant de très peu communiquer. Résultat : la Montreal Maine Atlantic Railroad s’est condamnée elle-même au tribunal de l’opinion publique ». Et de pointer dans un billet extrêmement factuel les 10 faux pas que la compagnie américaine a faits.

Devant cette absence de communication pro-active, MMA n’a de surcroît guère tardé à être débordé par les allégations et les manipulations les plus farfelues comme le raconte un autre expert en communication stratégique et sensible basé au Canada, David Millian. Il raconte notamment comment des petits malins se sont ingéniés à créer un faux site Web au nom de MMA (6) : « Quelqu’un a mis en ligne un site Web en langue française copiant trait pour trait le site officiel de MMA. Le nom de domaine lui-même est quasi-identique. L’ensemble du site est rédigé dans un français épouvantable et il n’a pas fallu longtemps pour que la confusion et la colère soient semées dans les médias sociaux ». Or, le site a rapidement compté 7865 fans sur Facebook et plus de 28 000 abonnés sur Twitter.

Non, la SNCF n’en a pas trop fait !

En communiquant ouvertement et directement, la SNCF a su faire preuve de professionalisme

En communiquant ouvertement et directement, la SNCF a su faire preuve de professionalisme

Le désastreux cas de MMA/Lac Mégantic souligne combien une communication mal (voire pas) gérée peut s’avérer redoutable pour la réputation et la crédibilité de l’entreprise. Le site factice a d’ailleurs généré beaucoup de confusion qui, ajoutée à l’impéritie de MMA, a plongé l’entreprise dans une nasse crisique d’où elle ressortira très endommagée. Comme le rappelle David Millian, MMA n’est pas prêt de se redresser du fait de sa communication totalement ratée (7) : « Pas de présence Web, sans doute aucune veille sur internet, pas de personnel qualifié pour répondre rapidement sur les réseaux. La facture va être salée. Et ce ne sera pas qu’en termes de perception ».

Or, ceux qui aujourd’hui morigènent la SNCF pour avoir fait preuve de trop d’activité en matière de communication, seraient tout de même bien inspirés de calmer le jeu. Si la SNCF n’avait notamment pas publié un démenti ferme face aux rumeurs urbaines qui essaimaient sur les réseaux sociaux à propos de voyageurs blessés dépouillés par des hordes de racailles, l’ambiance aurait pu vite devenir délétère et brouillée. C’est précisément par sa capacité à répondre à toutes les interrogations que la SNCF a pu maintenir une couverture médiatique qui n’a pas tourné au pugilat gratuit où la recherche de bouc émissaire devient alors l’unique obsession.

Même s’il faut évidemment attendre les résultats des investigations effectuées sur le terrain par les diverses autorités et même la communication de crise est loin d’être terminée pour la SNCF, cette dernière a su faire preuve d’un professionnalisme qui n’est pas si fréquent lorsqu’on parle de communication sensible et de systémique de crise. Cela ne doit bien entendu pas occulter le fait que la vétusté des infrastructures et des matériels roulants sur certaines lignes est un authentique et sérieux problème. Pour autant, ce n’est pas en se livrant à des controverses à la petite semaine qu’on permettra le tenue d’un débat clairvoyant sur les véritables leçons que la catastrophe de Brétigny doit engendrer à terme.

Sources

(1) – Laure Daussy – « Brétigny : Communication TGV de la SNCF » – Arrêts sur Image – 16 juillet 2013 –
(2) – Jean-Christophe Féraud – « Guillaume Pepy, la communication à très grande vitesse » – Libération – 16 juillet 2013
(3) – Laure Daussy – « Brétigny : Communication TGV de la SNCF » – Arrêts sur Image – 16 juillet 2013
(4) – Jean-Christophe Féraud – « Guillaume Pepy, la communication à très grande vitesse » – Libération – 16 juillet 2013
(5) – Pierre Gince – « Ce que MMA n’a pas compris à propos des relations publiques » – Blogue Relations Publiques – 6 juillet 2013
(6) – David Millian – « Déraillement sur le Web » – La Presse – 9 juillet 2013
(7) – Ibid.

A lire en complément

– Le décryptage très complet du ratage total de la communication du PDG de MMA lors de la catastrophe du Lac Megantic par Brad Philipps – « The worst video media disaster » – 2 août 2013