Comment Ford est devenue une entreprise remarquable sur les médias sociaux ?

Qui aurait pu croire que six ans plus tôt, une vénérable entreprise vieille de 110 ans s’emparerait des médias sociaux avec une impressionnante agilité stratégique à faire pâlir de jalousie les fleurons technos qui se vantent souvent d’être les meilleurs ? Ce défi est pourtant brillamment relevé par la légendaire marque automobile Ford. A l’heure où il s’apprête à commercialiser le nouveau modèle de son iconique sportive Mustang, le constructeur américain mise plus que jamais sur le digital avec une philosophie où l’interaction avec les consommateurs est érigée en règle absolue. Enseignements à retenir.

Si le fondateur Henry Ford était encore de ce monde, il se réjouirait sans nul doute de voir que son entreprise a su très tôt s’imposer en matière de communication digitale au même titre qu’il révolutionna l’industrie automobile au début du XXème siècle avec l’immensément célèbre Ford T. Actuellement cinquième constructeur mondial, Ford a très vite su refondre sa stratégie de communication en faisant des réseaux sociaux le socle de ses relations avec les consommateurs. Tout a démarré en 2008 avec la nomination de Scott Monty (qui vient tout juste de rejoindre l’agence de relations publics Shift Communications à Boston) en tant que Global Digital & Multimedia Communications Manager. Sous sa houlette, Ford va aussitôt déployer une stratégie qui n’a rien à voir avec les sempiternelles approches digitales où le compteur à « likes » fait office de boussole tactique.

La Ford Fiesta tourne la clé du digital

Ford - Fiesta MovementAlors qu’actuellement nombre d’entreprises et de marques tâtonnent toujours sur la communication numérique, écartelées qu’elles sont entre pusillanimité et simple décalque de poussiéreux dispositifs RP, Ford a très vite embrayé sur les réseaux sociaux à une époque où Facebook et Twitter n’étaient encore que de jeunes start-ups en pleine adolescence. Lorsque Scott Monty intègre l’entreprise en 2008, le mandat que lui confie le PDG de l’époque, Alan Mulally, est limpide : reconquérir le cœur des consommateurs grâce à une communication plus proche, plus humaine et qui ne se cantonne pas uniquement dans le robinet à spots publicitaires et le canon à communiqués de presse. Blogueur et consultant reconnu, Scott Monty va d’emblée tourner la clé de contact du digital avec le lancement de la nouvelle Ford Fiesta en 2009.

Pour promouvoir cette voiture quelque peu en perte de vitesse en termes d’image auprès du public, Ford va assembler une originale mécanique digitale sous la forme d’un concours qui doit désigner 100 conducteurs qui auront la primeur de s’asseoir au volant de la nouvelle Fiesta. Une fois élus, ceux-ci ont été alors invités par la marque à raconter leur expérience de conduite sur les réseaux sociaux pendant une année entière. Avec à la clé, assurance et carburant gratuits et une caméra vidéo pour immortaliser leurs moments de prédilection. Baptisé « Fiesta Movement », cette campagne a en outre servi à nourrir les visuels publicitaires et les spots TV accompagnant le lancement de la voiture.

Les résultats ont largement dépassé les espérances de l’équipe digitale de Scott Monty. En l’espace d’un an, Ford a enregistré un gain de plus de 1,8 millions de fans sur Facebook et 206 000 abonnés sur son compte Twitter (1). Une performance d’autant plus méritoire qu’à la même époque, le concurrent historique, General Motors, affiche déjà 479 000 fans sur Facebook et 91 000 abonnés sur Twitter (2). Loin de se limiter à ces deux réseaux sociaux, Ford investit également des plateformes comme YouTube où la campagne génère 6,2 millions de vus et Flickr avec 750 000 vus (3). Mais au-delà des scores bruts d’audience, Ford a également réussi à tisser des liens avec 132 000 consommateurs qui ont déposé des demandes d’information sur le site Web de la marque. Avec deux caractéristiques particulièrement intéressantes pour la promotion de la nouvelle Fiesta : 82% des requêtes émanaient de personnes non clientes de Ford et 30% d’internautes de moins de 25 ans (4). Ce succès a d’ailleurs conduit Ford à réitérer l’opération en 2014 lors du redesign de la Fiesta. Avec le même principe de s’appuyer sur 100 ambassadeurs mais avec cette fois des missions à accomplir et à retranscrire sur les médias sociaux.

Innover, surprendre et engager toujours

Ford - Explorer revealAvec ce premier pas décisif, la communication digitale s’est prestement imposée comme un pilier stratégique incontournable pour Ford. En 2010, le lancement du nouveau modèle du SUV Ford Explorer va à son tour faire du numérique son terrain de jeu privilégié. Soucieux de frapper les esprits et se démarquer de la concurrence, l’équipe digitale de Ford va choisir de prendre le contrepied des dispositifs RP jugés trop prévisibles. Alors qu’un nouveau véhicule est souvent dévoilé lors d’un salon automobile et appuyé par un envoi massif de communiqués à la presse spécialisée, Ford va réserver la primeur de son annonce autour du nouvel Explorer à … sa propre page Facebook !

Des interviews vidéo de l’équipe design et des ingénieurs concepteurs de l’Explorer version 2011 sont ainsi viralisées auprès des internautes sur Facebook. Le tout étant appuyé par des achats de Facebook Ads ciblés, des concours et quelques événements terrain dans 8 villes américaines. Là encore, les résultats ont été probants avec plus de 100 millions de personnes touchées sur les réseaux sociaux et 400 millions sur Internet (5). La page Facebook de l’Explorer a même fait un carton immédiat passant de 42 500 fans à 53 000 en 24 heures soit une progression de 25% (6).

Créer le dialogue et pas simplement émettre

Ford - DougCes succès n’ont pas pour autant enfermé les équipes digitales, RP et marketing de Ford dans une logique étriquée de tableaux Excel regorgeant de chiffres et de KPIs dans tous les sens. Contrairement à cette propension encore trop largement répandue chez les communicants où le nombre fait indubitablement foi, Ford ne s’est pas contenté d’endosser une posture de diffuseur de contenus sur les médias sociaux. Le souci constant de la marque est de se mettre au niveau des attentes des consommateurs. Un exemple probant de cette attitude est l’opération digitale réalisée en 2011 pour la Ford Focus. Souffrant d’une réputation peu flatteuse au point d’être perçue comme « la voiture de location dont personne ne veut » (selon les propres mots de Scott Monty), Ford a alors eu l’idée de créer un personnage sous la forme d’une poupée ventriloque surnommée Doug. Grâce à une série de vidéos décalées où Doug s’exprime sur la Focus comme s’il était un client, le dispositif va enregistrer 4 millions de vus et surtout une amélioration de 77% de l’opinion à l’égard de la Focus (7).

Non content de susciter le dialogue à travers ses actions digitales pour lancer ses nouveaux modèles, Ford est également allé un cran plus loin en mettant en ligne une véritable plateforme de conversation avec les consommateurs et fans de la marque. Sobrement intitulé « Ford Social », le site publie à intervalles réguliers des articles sur l’actualité du constructeur dans divers domaines mais également des témoignages spontanément proposés par des clients. Autres opportunités offertes aux internautes : affiner son profil avec des badges spécifiques indiquant ses centres d’intérêt et pouvoir déposer des idées d’amélioration pour les véhicules de la gamme Ford. Un feedback dont Ford s’inspire ensuite. Scott Monty estime ainsi que 40% des suggestions formulées sur la plateforme ont été ou sont en cours d’adoption par le constructeur. A ses yeux, « l’engagement compte avant tout. Prenez le temps d’apprécier et de célébrer vos fans » (8).

La nouvelle Mustang au cœur du digital

Ford - Mustang InspiresDébut 2015 va constituer un gros temps fort pour Ford puisqu’il intronisera la mise sur le marché de la toute nouvelle version de son iconique modèle, la Ford Mustang. Depuis 1964, année où le coupé sportif est apparu, la voiture s’est écoulée à plus de 9 millions d’exemplaires dans le monde et a régulièrement fait des incursions au cinéma (dont l’inoubliable « Un Homme et une Femme » de Claude Lelouch) et dans les séries télévisées américaines. De fait, la marque a su drainer un incroyable capital de passion chez les mordus de voitures sportives racées. Une pareille communauté ne pouvait donc pas être manquée par Ford pour lancer la version 2015 de sa mythique Mustang d’autant que celle-ci coïncide avec les 50 ans du coupé au cheval galopant surnommé le « Pony Car » !

Ford n’a d’ailleurs pas attendu la prochaine commercialisation pour commencer à dialoguer avec les communautés digitales. Le coup d’envoi a été donné dès le 5 décembre 2013 avec la mise en ligne d’un site Web et d’un écosystème digital dédiés. En parallèle, la marque a initié une campagne virale autour du hashtag #MustangInspires. 15 artistes amoureux de la Mustang ont tour à tour décliné leur passion à travers des petites vidéos virales que les consommateurs pouvaient ensuite commenter et enrichir de leurs propres clichés. Scott Monty explique (9) : « Nous voulions nous focaliser sur l’émotion brute que les fans partent à travers leur propre storytelling visuel. Nous voulions que les individus du monde entier se rassemblent autour de leurs histoires uniques sur ce que la Mustang leur a inspiré depuis 50 ans ».

Pari gagné puisque la conversation n’a cessé de croître alors que la nouvelle Mustang n’est toujours pas disponible dans les concessions automobiles. La page Facebook de la Mustang fédère actuellement plus de 8 millions de fans tandis que le compte Twitter rassemble 260 000 abonnés. Une attractivité qui se traduit très concrètement sur le terrain. En mai 2014, Ford Europe avait profité de la finale de la Ligue des Champions de football pour proposer 500 Mustang à la réservation sur Internet durant les 90 minutes de la rencontre Real Madrid contre Atletico Madrid. Résultat : au bout de 30 secondes de match, le stock avait déjà trouvé preneur ! (10).

Quels enseignements pour la suite ?

Ford - Ford SocialIndéniablement, Ford est à la pointe de l’excellence en matière de communication digitale. La marque a totalement intégré la dimension conversationnelle et interactive des médias sociaux. A la différence d’autres acteurs encore obsédés par le contrôle du discours, le constructeur américain sollicite sans appréhension quelconque les commentaires de ses communautés. Même les points critiques sont entendus et traités comme tels. Dans un billet publié sur « Ford Social », Elizabeth Foley, Customer Service Social Media Program Manager, revendique le fait d’utiliser le digital au service de la relation avec les clients. Qu’il s’agisse de problèmes de garantie ou de mécanique, cette dernière affirme (11) : « Nous utilisons les médias sociaux pour fournir une expérience client supérieur en temps réel (…) Nous adaptons le message à chaque client particulier ».

La grande force de Ford réside effectivement dans cette capacité à descendre du piédestal corporate pour se mêler à la conversation avec les parties prenantes. En humanisant ainsi autant la marque que l’entreprise sur les réseaux sociaux, Ford est parvenu à non seulement fédérer des communautés actives mais également à instiller la confiance et asseoir une bonne réputation. Cette évolution radicale des stratégies de communication est loin d’être actuellement une réalité pour une grande majorité de grands noms.

Suite à son départ de Ford, Scott Monty a accordé une édifiante interview à un média spécialisé du monde des RP et de la communication. Son analyse doit réellement constituer la feuille de route des communicants d’aujourd’hui s’ils veulent embrasser avec succès le défi du digital (12) : « En dehors de Ford et en regardant l’industrie dans son entier, cela m’attriste de voir combien les médias sociaux sont retenus par le marketing comme juste un canal publicitaire de masse supplémentaire. Je pense que la promesse des médias sociaux réside dans le développement des relations et je le maintiens. Tous les discours que j’ai pu tenir à propos de Ford ont insisté sur l’attention et la confiance. Même si la publicité peut gagner votre attention en interrompant les gens, il est plus important de construire des relations avec les clients et les autres personnes que vous voulez toucher ». Qu’attendez-vous pour passer la première ? !

Sources

– (1) – Amy Laskowski – « How Ford became a leader in social media » – BU Today – 11 octobre 2013
– (2) – Ibid.
– (3) – Jason Fell – « 3 social media lessons from Ford » – Entrepreneur.com – 17 février 2013
– (4) – Andrew Gothelf – « 5 social media lessons to learn from Ford » – Salesforce Marketing Blog – 20 février 2013
– (5) – Ibid.
– (6) – Matt Holliday – « Ford Shows Off New Explorer to Facebook Fans with Full Day Of Content » – Inside Facebook – 27 juillet 2010
– (7) – Andrew Gothelf – « 5 social media lessons to learn from Ford » – Salesforce Marketing Blog – 20 février 2013
– (8) – Ibid.
– (9) – Kimberley Morrison – « The #MustangInspires Campaign Engages Brand Advocates » – Social Times – 4 décembre 2013
– (10) – Alain Gabriel Verdevoye – « La mythique Mustang bat des records de pré-commande » – Challenges – 8 octobre 2014
– (11) – Tori Tellem – « Do you use social media? Ford does » – Ford Social – 9 septembre 2012
– (12) – Christopher Heine – « Ford’s Social Media Star, Scott Monty, Talks About Leaving—and Not Looking Back Declares social marketing is at ‘critical juncture’ » – AdWeek – 20 mai 2014

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