Salarié ambassadeur (Employee Advocacy) : L’association Entreprises & Médias invite les communicants à se lancer dans la démarche

 L’association des directeurs de la communication Entreprises & Medias vient d’éditer un précieux ouvrage sur la notion de salarié ambassadeur (« employee advocacy » en anglais). Avec l’irruption des médias sociaux, la porosité interne/externe n’a jamais été aussi vivace. Longtemps perçue comme une menace avec des risques de fuites informationnelles et/ou des dénigrements réputationnels, l’expression en ligne du salarié a néanmoins montré qu’il existe plus d’opportunités que de dangers. D’où le déploiement progressif de programmes de salariés ambassadeurs au sein de l’entreprise pour porter la voix de celle-ci un cran plus loin. Mais attention, une telle démarche ne s’improvise pas, ni se décrète d’autorité. L’ouvrage d’Entreprises & Médias, fruit d’un groupe de travail de ses membres, consigne les fondamentaux incontournables pour réussir. Morceaux choisis.

« Faire des collaborateurs de l’entreprise des acteurs de ses communications ». Telle est en substance l’objectif que s’est assigné le groupe de travail d’Entreprises & Médias à l’origine de ce livret de référence pour quiconque envisage d’impulser un plan de déploiement de salariés ambassadeurs dans sa société. Il y a quelques années, confier des clés de communication à des employés qui ne sont pas des professionnels du domaine aurait été encore impensable même si bien des salariés n’ont pas attendu le feu vert de leur entreprise pour s’exprimer à son sujet sur les réseaux sociaux. Il faut bien l’avouer, c’est certes souvent un climat de suspicion et de crainte qui a longtemps habité les dirigeants et les communicants à l’idée qu’un collaborateur puisse parler publiquement de sa vie professionnelle et la société qui l’emploie. Il y a eu des dérapages et des buzz médiatiques de salariés en conflit qui ont alors incité à brider ou encadrer très strictement la prise de parole. Pourtant, plusieurs études ont clairement montré que le renversement de paradigme était inexorablement à l’œuvre. Déjà en juin 2014, le baromètre digital de Cegos révélait qu’un salarié sur trois communiquait des informations sur son entreprise sur les réseaux sociaux. Une autre étude menée par l’agence Weber Shandwick et le KRC Institute précisait à la même période que si 16% des salariés publiaient des commentaires négatifs ou critiques, 39% partageaient des commentaires positifs et flatteurs. De quoi battre en brèche bien des idées reçues !

Dell, pionnier en la matière

En 2017, Entreprises & Médias s’est penché à son tour sur ce thème prenant de l’ampleur dans les stratégies de communication des entreprises. L’association a sollicité ses adhérents pour recueillir leur vision à travers une étude et un groupe de projet. De la première, il ressort un point particulièrement symptomatique comme le précise Sophie Duhamel, déléguée générale d’Entreprise & Médias (1) : « 94 % des directeurs de la communication souhaitent mener, à moyen terme, un projet de ce type car ils estiment que cette démarche permet de renforcer la réputation de l’entreprise, d’encourager l’attachement et l’engagement des collaborateurs, de prévenir les risques, voire de contribuer à favoriser le business… à condition que les salariés soient incités à le faire de manière spontanée, sans s’y sentir obligés ».

Dell figure parmi les pionniers qui se sont emparés de la notion de « Employee Advocacy ». Dès 2010, le constructeur américain d’ordinateurs met sur pied une structure interne baptisée Social Media & Communities University. Avec une priorité stratégique : certifier les collaborateurs de Dell afin qu’ils le représentent sur les réseaux sociaux en maîtrisant sa stratégie, son positionnement de marque et les meilleures pratiques des réseaux sociaux (rédaction de blogs, relations en ligne avec des influenceurs…). Ils sont également formés à utiliser les réseaux sociaux au quotidien dans leur travail, par exemple pour se mettre à l’écoute des clients afin de recueillir des feedbacks sur les produits du Groupe. Trois ans plus tard, 8800 collaborateurs étaient déjà opérationnels et la dynamique n’a pas faibli à aujourd’hui. Ils sont désormais 16 000 à engager des conversations sur divers thèmes relatifs à Dell, ses produits mais aussi ses opportunités de carrière. Dell a enregistré en trois ans une réduction de 30% des commentaires négatifs à son égard sur Internet. Au total, les collaborateurs de Dell partagent désormais six fois plus d’informations relatives au Groupe sur les réseaux sociaux que les propres comptes corporate.

Jouer collectif sans perdre l’authenticité

Aux yeux de Benoît Cornu, directeur de la communication du groupe Elior et pilote du groupe de travail qui a abouti à l’édition du livret d’Entreprises & Médias, l’Employee Advocacy (Salarié Ambassadeur pour les puristes francophones) constitue dorénavant un atout à absolument intégrer dans une stratégie de communication (3) : « L’Employee Advocacy, c’est la mobilisation des collaborateurs et du premier cercle de l’entreprise pour en faire des relais actifs des messages corporate de l’entreprise, en particulier sur les réseaux sociaux. En considérant les salariés, non seulement comme destinataires, mais surtout comme des influenceurs, la communication entre pairs (peer-to-peer) est tout à la fois plus affinitaire, plus crédible et plus efficace. Elle est vite devenue un enjeu important pour toutes les entreprises et organisations, et en premier lieu, les plus grandes. ».

N’en déplaise effectivement aux tenants de la communication dévolue à une poignée de porte-paroles dûment appointés, voire une voix unique pour les plus « control freaks », la communication des entreprises est devenue plurielle. Pour autant, cela ne signifie nullement qu’elle doit virer à la cacophonie où chacun devise selon son bon vouloir. Au risque de diluer les messages, susciter de la confusion et perdre en impact auprès des publics de l’entreprise. D’où la nécessité d’opérer une méthodologie cohérente pour que chaque acteur puisse apporter le meilleur de lui-même.

C’est sans doute pour cette raison que la démarche Employee Advocacy connaît actuellement une mise en œuvre plus limitée par rapport à l’écho et à l’attrait qu’elle suscite. Si 94 % des directeurs de communication souhaitent le faire à moyen terme, seulement 54 % des répondants à l’étude Entreprises & Médias déclarent que l’Employee Advocacy est déjà un projet concret dans leur entreprise (3). Au cœur des enjeux que recèle cette approche, figure l’impératif d’adopter une mise en œuvre collective. Il ne s’agit en aucun cas de décréter unilatéralement et encore moins d’imposer à des collaborateurs un rôle d’ambassadeur sur les réseaux sociaux. A ce stade, il est recommandé d’effectuer un audit de l’existant, d’identifier les salariés déjà actifs et mentionnant le nom de leur entreprise dans leurs activités digitales. Cette communauté peut en effet constituer le socle de départ pour bâtir une équipe projet motivée.

Autre point souhaitable (voire plus !) : l’engagement bienveillant et sans failles du management, voire l’exemplarité avec des dirigeants qui mettent également en pratique sur les médias sociaux. Ces ingrédients sont réellement cruciaux pour impulser une authentique démarche d’Employee Advocacy. Les négliger, c’est prendre le risque de créer des résistances en interne et de donner l’impression de quelque chose d’artificiel à la limite du manipulatoire et de l’effet perroquet. Sur ce propos, Entreprises & Medias est sans ambages (4) : « Pour que l’effet mégaphone remplace l’effet perroquet :

  • une entreprise peut aller plus loin que le simple partage de contenus en donnant les moyens à ses collaborateurs d’en créer de nouveaux,
  • la qualité des contenus est un levier de motivation pour les collaborateurs à se lancer dans une telle dynamique,
  • la question de l’outil est déterminante pour mener à bien cette démarche. D’où l’intérêt de choisir la bonne plateforme, cohérente avec son mode de fonctionnement et sa culture interne. »

Vouloir zapper et s’affranchir de cette étape préliminaire conduirait en effet rapidement à l’impasse et ressemblerait au succédané qu’Amazon vient tout récemment de mettre en place avec 15 salariés ambassadeurs sur Twitter certes réels mais tellement encadrés et aseptisés qu’ils en deviennent peu crédibles et audibles (lire par ailleurs le billet de ce blog sur le sujet).

Tenir compte de la culture d’entreprise existante

Ces jalons indispensables étant posés, comment ensuite se lancer pour personnaliser la démarche d’Employee Advocacy à la lumière de la culture de l’entreprise, de ses pratiques et enjeux afin qu’une fois encore, le projet ne soit pas décorrélé des réalités de l’organisation. Pour cela, Entreprises & Médias recommande de mesurer sa « readiness », autrement dit la maturité de l’entreprise à adopter et lancer avec succès et authenticité un tel programme. C’est dans cette optique qu’un outil en ligne a été développé par l’association avec le concours de l’agence de communication Little Wing. Intitulé DEARIndex (Digital Employee Advocacy Readiness Index), ce dernier s’articule autour de six catégories comportant chacune quatre questions. Ce test fort utile pose des questions directes du type « Votre socle de réputation est-il suffisamment solide pour construire une démarche d’Employee Advocacy sans risque ? » ou encore « Comment l’Employee Advocacy peut contribuer à développer l’expertise de votre entreprise ? ». Ce précieux module d’auto-diagnostic sur l’Employee Advocacy permettra à tout dircom ou membre de son équipe d’obtenir une évaluation de son niveau de maturité sur le sujet, les actions à mener pour poursuivre la démarche, ainsi que les points de vigilance à intégrer pour éviter que le projet ne finisse au cimetière des vœux pieux.

Ensuite, il n’existe pas de solution « One size fits all » pour dérouler le dispositif d’Employee Advocacy. La variété des cas d’étude développés dans le livret d’Entreprises & Médias en atteste. Chez IBM, le capital réputationnel a par exemple toujours inclus les collaborateurs comme vecteurs d’animation et de diffusion des messages de l’entreprise. Le chantier s’est donc inscrit dans cette continuité comme l’explique Didier Barbé, vice-président Global Influencer Engagement d’IBM (5) à travers un outil unique : « la Think Academy, disponible sur ordinateur, tablette et téléphone. Il s‘agit d’une plateforme de contenus mis à disposition des IBMers afin qu’ils les utilisent dans leurs différentes prises de parole. Pour aller encore plus vite, Watson (le module d’intelligence artificielle d’IBM) est là pour les aider ! ». Chez Faurecia, l’axe stratégique est d’une grande originalité. L’équipementier automobile a en effet misé sur Instagram pour développer la présence digitale de ses salariés ambassadeurs. La directrice de la communication, Kate Philipps détaille (6) : « Baptisé « A week in a life of… », ce projet propulse ainsi ses collaborateurs sur le devant de la scène afin d’illustrer la diversité de ses métiers, de ses profils, des environnements de travail et de son empreinte internationale. Dans le cadre de ce dispositif, l’opération confie ainsi chaque semaine les manettes du compte Instagram du Groupe à un interlocuteur différent (…) Les collaborateurs n’étant pas des communicants professionnels, il y a ainsi une dimension beaucoup plus spontanée dans leur approche. La prise de parole est personnalisée, authentique et chacun est libre d’y exprimer sa patte en jouant avec les filtres ». Ces deux exemples montrent de toute évidence que le champ exploratoire est encore vaste mais qu’il requiert impérativement de tenir compte de celles et ceux qui vont participer. Avec une règle d’or absolue : ne pas imposer obligatoirement mais réellement collaborer avec les plus motivés, quitte à ensuite recruter de nouveaux contributeurs séduits à leur tour à l’idée de valoriser leur entreprise et ses multiples facettes.

Sources

(1) – Entretien avec l’auteur 12 septembre 2018
(2) – Amy H – « 5 Years of Making Social Superheroes » – Blog Direct2Dell – 25 août 2015
(3) – « Employee Advocacy – « Faire des collaborateurs de l’entreprise des acteurs de ses communications » – Entreprises & Médias – Septembre 2018
(4) – Ibid.
(5) – Ibid.

Pour aller plus loin