#Coronavirus & #FakeNews : Y a-t-il un remède à cette infodémie ?

Les crises sanitaires ont toujours frappé les esprits et alimenté les explications les plus folles. Mais lorsque la viralité pandémique se conjugue à la viralité numérique, c’est toute la chaîne d’information qui devient brouillée et compromise. A l’heure actuelle, les conspirationnistes toutes obédiences confondues se défoulent pour contaminer et intoxiquer l’opinion publique sur le Covid-19. Face à cette plaie véritable des infoxs, comment se positionner, s’en prémunir et avec quels outils ? Revue de détail non exhaustive.

C’est un fait ! Le confinement est devenu un terreau fertile pour les fake news. Tandis que la majorité des citoyens est consignée à domicile et contrainte dans ses activités habituelles, la fréquentation des réseaux sociaux et des messageries instantanées connaît des pics records. Dans une note publiée sur le blog officiel de Facebook, Alex Schultz et Jay Parikh, les deux vice-présidents du groupe, indiquent au sujet de l’Italie que (1) « le temps passé sur nos applications a bondi de 70% depuis le début de la crise dans le pays, le nombre du vues des vidéos en direct sur Facebook et Instagram ont doublé en une semaine et la durée des appels groupés (avec 3 participants et plus) a bondi de 1.000% pendant le mois dernier ». Nul besoin d’être grand clerc pour transposer à l’identique ces chiffres dans le contexte français. Cette utilisation massive est une aubaine pour tous les pourvoyeurs de fake news aux motivations parfois différentes mais avec une constante : tordre la réalité pour désinformer et donner corps à la fameuse théorie du complot.

Ce virus mutant de la désinformation

En matière de théories fumeuses, le Covid-19 explose tous les compteurs. Jamais dans l’histoire de l’humanité, une crise sanitaire n’aura autant charrié de fausses informations par le truchement des réseaux sociaux et des messageries instantanées. Entre celui qui sait infailliblement le dessous des supposées cartes, celui qui veut se rassurer, celui qui veut dénoncer à tout prix et celui qui veut se faire mousser auprès de sa communauté comme un « sachant » initié et pas dupe, les profils sont variés. Et les fake news, un miel informationnel de première bourre pour ces apprentis de l’info et du complot.

Il y a d’abord les bonimenteurs scientifiques parmi lesquelles figurent de nombreux blogs de santé alternative, des militants antivaccins et des pseudos thérapeutes experts en racines de pissenlit. Les potions magiques pour se préserver du Covid-19 investissent à cadence régulière les étagères de la pharmacopée conspirationniste : les patchs de moutarde et de graisse d’oie, l’urine d’enfant, l’huile de sésame, la cocaïne, l’ail, etc. Sans oublier cette impayable naturopathe, Irène Grosjean qui explique sans ciller sur YouTube (2) que le Covid-19 doit être vu comme un « système de nettoyage » car il serait en réalité « écologique » !

Dans ce fatras explicatif, d’autres versent dans l’exégèse religieuse. C’est ainsi qu’a circulé en février dernier la rumeur de Chinois de Wuhan se convertissant à l’islam pour expier et se protéger, le virus n’affectant pas les musulmans ! Dans un florilège similaire, le prédicateur islamiste Hani Ramadan assure que la « fornication et l’adultère » sont les causes des épidémies nouvelles. Aux USA, c’est au tour d’un pasteur chrétien, Steven Andrew, de déclarer tout de go que le coronavirus serait une punition contre « le péché LGBT » (3). Et ère de haute technologie oblige, la 5G est également convoquée sur le banc des accusés. Médecin généraliste à Londres et épris d’anthroposophie, Thomas Cowan estime que ce sont les ondes de ce nouveau standard télécoms (où la Chine est en pointe) qui transmettent le virus sur la planète !

Quand la fake news verse dans le politique

Si cette série de fake news est relativement aisée à démonter et dispose d’un moindre impact du fait du caractère souvent très farfelu des spéculations, une autre catégorie de fake news est autrement plus vicieuse et infectieuse lorsque des motivations politiques viennent s’y greffer. Dans ce registre, il y a d’abord eu la supposition d’une arme chimique militaire concoctée par la Chine (ou par la CIA, voire l’Iran ! C’est selon les points de vue militants) pour affaiblir et prendre le contrôle d’autres pays. Ce scénario continue notamment d’être relayé par la célèbre chaîne conservatrice américaine pro-Trump, Fox News. Le Covid-19 serait un agent pathogène pour déstabiliser Donald Trump !

En France, la théorie conspirationniste la plus « populaire » s’est embrasé autour de la chloroquine, traitement médical présenté comme le seul opérationnel actuellement contre le Covid-19 par l’impétueux professeur Didier Raoult (lire par ailleurs sur ce blog). Un personnage haut en couleurs et en butte permanente contre les hautes autorités de santé, notamment contre l’Institut Pasteur et l’Inserm, un temps dirigé par Yves Lévy, époux à la ville de l’ex-ministre de la Santé, Agnès Buzyn. Il n’en fallait pas plus pour qu’essaime l’hypothèse des laboratoires pharmaceutiques qui ne veulent pas voir ce médicament commercialisé à grande échelle mais imposer les leurs à des tarifs bien plus juteux avec la complicité des pouvoirs publics. D’aucuns poussent même un cran plus loin en y associant une argumentation antisémite, avec force diagrammes et fragments de « preuves » pour convaincre qu’il s’agit là d’un complot ourdi par les financiers et le gouvernement sous la férule des Juifs.

Avis d’infodémie grave en vue

Sortie de son contexte fantasmatique, cette fake news (et d’autres) ne tient pas la distance face à un examen scrupuleux des faits. Encore faut-il que ces faits soient également portés à la connaissance de celles et ceux qui sont exposés à ce type de message. Or, c’est précisément là que réside tout le danger infectieux et mortifère des infoxs, notamment celles à caractère purement politique. Bien des destinataires n’ont pas (ou ne cherchent pas) les mises en perspectives nécessaires pour décoder et trier le bon grain de l’ivraie désinformationnelle. Ceci d’autant plus que ce genre de message falsifié circule dans une période de grand doute où peurs pandémiques, émotions humaines et allergies hostiles au gouvernement ont atteint des niveaux de tension particulièrement exacerbés.

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la portion la plus ultra des Gilets Jaunes s’est aussitôt emparé du sujet sur ses pages Facebook et autres réseaux de communication, en y ajoutant même l’option « meurtre programmé du peuple français par le gouvernement Macron » et désignant le Pr Raoult comme son nouvel héraut et héros !

Le terme d’« infodémie » forgé en février dernier pour décrire la vague de fake news liées au Covid-19 par un haut-responsable de l’Organisation Mondiale de la Santé, est à cet égard particulièrement pertinent. Il s’agit bien là d’une pandémie informationnelle gravissime et de surcroît très virulente d’autant qu’elle prolifère sur des terrains numériques où les efforts des plateformes (Twitter, Facebook, YouTube, etc) ne seront jamais assez suffisants pour endiguer le flux. Même à coup d’intelligence artificielle !

C’est encore plus vrai sur les messageries instantanées (Whatsapp, Messenger, Telegram) où la diffusion des infoxs s’active à tout va. Sans oublier d’autres réseaux plus générationnels mais néanmoins vecteurs forts comme Instagram, Snapchat et TikTok et des forums spécialisés (comme JeuxVidéos.com, Reddit , etc) où s’échangent à tout va quantité de fake news, de vidéos bidon et de pseudos témoignages frelatés.

La radicalité informationnelle prend le pas

Avec la crise du coronavirus, cette radicalité informationnelle prend une envergure jamais atteinte tant la chambre d’écho du Web social conjuguée à la rage et la défiance absolue de pans entiers de la population française, constitue un délétère incubateur à fake news (voire un accélérateur à particules falsifiées). Tout récemment, l’institut Ifop, la Fondation Jean-Jaurès et l’Observatoire du conspirationnisme viennent de dévoiler les nouveaux résultats de leur étude annuelle (intégralité à consulter ici). Dans ce sondage réalisé du 24 au 26 mars sur un échantillon de 1 008 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus (4), du 24 au 26 mars, 26% des personnes interrogées pensent que le Covid-19 est une création de laboratoire. De manière intentionnelle pour 17% d’entre eux et de manière accidentelle pour 9%.

En première ligne des convaincus d’une grande manipulation, figurent les plus jeunes générations. Les 18-24 ans sont 28 % à acquiescer à l’idée d’un virus développé intentionnellement dans un laboratoire, soit 11 points de plus que la moyenne des sondés, contre 6 % des 65 ans et plus (5). Autre fait notable : la fameuse « archipélisation » de la société française remarquablement décrite début 2019 par l’analyste politique Jérôme Fourquet, se confirme dans les faits. Plus le niveau de vie et le bagage socioculturels sont moindres, plus la perméabilité et l’adhésion aux fake news deviennent fortes. Avec une propension particulièrement affirmée chez les électeurs du Front National et chez les Gilets Jaunes les plus radicalisés. Chez les plus pauvres (6), 30% jugent que le coronavirus est une fabrication de laboratoire (dont 22% intentionnellement).

Ce phénomène est-il encore endiguable ?

Une chose est acquise. La stratégie de la fake news à des visées manipulatoires politiques et géopolitiques est avérée. L’agence d’information Reuters vient de révéler l’existence d’un rapport de l’Union européenne de 9 pages (émanant du European External Action Service) qui alerte sur la campagne de déstabilisation menée par la Russie (démentie par le Kremlin) pour pousser des fake news sur le coronavirus en anglais, espagnol, italien, allemand et français (7). Objectif : aggraver la perception de la crise sanitaire actuelle et perturber les communications officielles des gouvernements en place. Du pain évidemment bénit pour tous les épandeurs de fake news et un danger ultime aux yeux du professeur Gilbert Deray à l’hôpital Pitié-Salpêtrière à Paris (8) : « La science et la médecine ne sont plus décidées par des articles publiés dans des revues, elles sont décidées sur Facebook et Twitter ! ».

A l’instar des virus pour lesquels les scientifiques et les médecins cherchent des vaccins, y a-t-il des parades dont chaque citoyen peut facilement s’emparer pour contextualiser et recouper les informations ahurissantes qu’il reçoit, notamment si cela provient de proches, d’amis ou de connaissances professionnelles (personnes qu’on ne songe pas toujours spontanément à mettre en cause du fait de cette proximité humaine) ? La réponse est oui mais à condition il est vrai, de faire quelques efforts d’esprit critique, de prise de recul et d’essayer de ne pas se faire embarquer par les biais cognitifs de notre cerveau. Une tâche pas toujours évidente dans la mesure où nos émotions et notre propre vécu sont en parallèle de puissants catalyseurs qui peuvent orienter notre compréhension du monde d’une façon ou d’une autre, et dans les pires cas, nous faire souscrire aux théories fumeuses d’une vérité qui serait ailleurs (mais quelque part fascinantes car teintées d’anticonformisme et de simplisme plus accessibles).

Adoptons les gestes barrières anti-infoxs

Sans s’égarer dans des dispositifs trop chronophages ou complexes à utiliser, il existe au même titre que les gestes barrières contre la propagation du Covid-19, des postures efficaces à adopter que le journaliste de France Info, Benoît Zagdoun, a fort bien synthétisées dans un excellent article (9) :

  1. Méfiez-vous du bouche à oreille numérique
  2. Ne croyez pas les arguments d’autorité
  3. Maîtrisez vos émotions
  4. Lisez les commentaires
  5. Ne partagez pas l’intox parce qu’elle vous le demande
  6. Essayez de vérifier par vous-même si l’information est exacte
  7. Consultez un spécialiste

A ces sagaces conseils, j’ajouterai également le souci de systématiquement vérifier la source de l’information. L’identité de l’émetteur de départ procure généralement des indices sérieux sur la fiabilité d’une information … ou pas. Même si pour certains, il est de bon ton de suspecter en permanence les médias classiques, ceux-ci n’en demeurent pas moins des sources solides plutôt que des blogs surgis de nulle part, des grandes gueules militantes qui n’engagent qu’elles-mêmes (comme par exemple Frank Buhler de Debout La France qui répand sans compter sur le coronavirus), des sites s’autoqualifiant de prometteurs labels de contre-information, ré-information, alter-information et les sites ouvertement marqués aux extrêmes et imbibés de complotisme (comme le Media TV, Valeurs Actuelles, Egalité & Réconciliation, Les Crises.fr, FdeSouche, etc).

Petit vadémécum de survie anti-fake news

Devant le tsunami d’infoxs, de nombreuses rédactions ont mis en place depuis plusieurs années des équipes totalement dédiées. Leur mission ? Déminer, vérifier et expliquer (faire du « debunking » selon le terme anglais idoine) avec des faits incontestables qui battent en brèche les séduisantes mais fallacieuses théories du complot. Parmi ces sites, on peut recommander chaudement cette liste francophone (non-limitative) :

Ensuite, il existe également des sites collaboratifs qui traquent les rumeurs, les théories du complot et autres calembredaines qui circulent sur le web. Les plus fiables en langue française sont :

La prophylaxie de la chaîne de l’information dépend aujourd’hui de manière cruciale de la façon dont on reçoit, décode et partage les informations. Devant la surabondance des canaux de diffusion, il convient d’être dorénavant acteur à son niveau. Notamment en matière de propagation où les algorithmes jouent un rôle essentiel pour créer des bulles informationnelles redoutables qui enferment vite chacun dans ses convictions. A nous collectivement d’inverser la logique qui préside à l’infection informationnelle. Les journalistes font leur travail du mieux qu’ils peuvent et surtout mieux qu’un cliché commun ne l’assène (même si tout n’est pas parfait, loin s’en faut). A nous d’aider à promouvoir l’information de qualité et pas le tripatouillage complotiste et ses bouffées délirantes.

Sources

– (1) – Anaïs Cherif – « Le confinement est-il une aubaine pour les réseaux sociaux ? » – La Tribune – 28 mars 2020
– (2) – « La carte des théories du complot sur le coronavirus » – Conspiracy Watch – 23 mars 2020
– (3) – Alexandre Sulzer – « Le virus alimente la théorie du complot » – Le Parisien – 28 mars 2020
– (4) – Lucie Soulier – « Le coronavirus, terrain fertile pour le conspirationnisme » – Le Monde – 28 mars 2020
– (5) – Ibid.
– (6) – Ibid.
– (7) – Robin Emmott – « Russia deploying coronavirus disinformation to sow panic in West, EU document says » – Reuters – 18 mars 2020
– (8) – C à Vous – Interview de Gilbert Deray – France 5 – 27 mars 2020
– (9) – Benoît Zagdoun – « Coronavirus : 7 conseils pour se protéger de l’épidémie de « fake news« » – France Info – 23 mars 2020