Crise du Covid 19 : La communication sanitaire est une clé de voûte essentielle … mais pas improvisée !

S’il est un domaine où le gouvernement français est régulièrement pointé du doigt pour son inefficience face à la pandémie du coronavirus, c’est bien celui de la communication. Entre atermoiement, esquive et cacophonie, les messages ont du mal à circuler et surtout à convaincre la population. C’est précisément sur ce maillon crucial de la communication que trois chercheurs de l’University of British Columbia au Canada viennent de publier une très instructive étude comparative sur les stratégies de communication de crise adoptés dans neuf pays démocratiques et leur impact sur la gestion de la pandémie. Morceaux choisis.

Bien qu’ils aient mis en place des protocoles sanitaires parfois aux antipodes de l’un ou de l’autre pour lutter contre le Covid-19, les neuf pays étudiés par les trois universitaires ont un point en commun : avoir placé la communication au centre de l’action collective. En dépit de gouvernances politiques différentes, le Sénégal, la Corée du Sud, Taiwan, l’Allemagne, la Norvège, la Suède, le Danemark, la Nouvelle-Zélande et le Canada ont fait de la communication officielle, le socle de leurs actions pour endiguer le virus et susciter l’adhésion et la confiance parmi leurs citoyens. Ce rapport fouillé de 116 pages (téléchargeable ici) identifie cinq principes fondamentaux à respecter pour une stratégie de communication à succès.

Principe n°1 : Préférer l’autonomie aux injonctions

Par autonomie, les auteurs de l’étude n’entendent pas pour autant l’anarchie ou le comportement à la carte des citoyens face à la pandémie. Il s’agit au contraire de développer et de répéter un ensemble de recommandations sanitaires simples à comprendre et à appliquer par chacun comme par exemple, se laver plusieurs fois les mains au gel hydroalcoolique, tenir les bonnes mesures de distanciation, porter un masque, etc. Dans une interview accordée à l’Institut Montaigne, l’une des universitaires, Heidi Tworek insiste sur la lisibilité immédiate des consignes communiquées (1) : « Nous avons constaté que des directives trop détaillées assorties d’une application trop stricte pouvaient créer une forme de ressentiment à long terme et, finalement, saper la volonté des gens de s’y conformer ».

Heidi Tworek, l’un des trois co-auteurs du rapport

Cette diffusion d’informations doit être évidemment rapide et s’appuyer sur tous les corps intermédiaires de la société qu’il s’agisse des entreprises, des syndicats, des associations, des commerces ou encore des élus régionaux. A eux ensuite de s’approprier de façon autonome et de répercuter en fonction des particularismes locaux. Cette communication claire, simple, fréquente et réactive peut ainsi stimuler une vraie dynamique collective où chacun se sent acteur responsable.

Le rapport cite notamment l’exemple de la province de Colombie Britannique au Canada. A partir du 16 mars, les autorités sanitaires de la province ont interdit les rassemblements supérieurs à 50 personnes. En revanche, en dessous de ce seuil, il n’y avait pas d’injonctions chiffrées mais une recommandation martelée régulièrement (2) : « moins de visages, plus de petits groupes, moins de temps ensemble et plus de grands espaces. Penser toujours au lieu, à la durée et aux relations permettra de tous nous préserver ». A contrario, un manque de clarté ou de transparence rendra alors plus complexe l’adhésion et la confiance des différentes parties prenantes.

Principe n°2 : Tenir compte des valeurs, des émotions et des histoires

Dans leur rapport, les chercheurs insistent sur le fait que les faits scientifiques seuls sont insuffisants pour entraîner et mobiliser la population. La communication de ces faits doit faire systématiquement appel conjointement aux valeurs communes qui fondent la nation mais aussi à des postures d’empathie réelle et à des histoires ou des témoignages issus du terrain. Cette proximité émotionnelle ne signifie pas qu’il faille verser dans un pathos déplacé ou de surjouer la compassion lors de déclarations officielles. Il s’agit simplement d’être dans l’authenticité, dans la gratitude pour les efforts accomplis ou encore dans l’encouragement. Heidi Tworek précise (3) :

« Les faits scientifiques sont importants, mais nous traitons beaucoup mieux ces faits s’ils sont porteurs d’une signification émotionnelle et se rattachent à des valeurs sociétales ou à des histoires de personnes qui nous ressemblent »

En fonction de leurs cultures propres, les pays étudiés dans le rapport ont adopté une tonalité parlant au plus grand nombre. La Nouvelle-Zélande et Taiwan ont par exemple insisté sur la notion de « l’amour du prochain et la gentillesse envers l’autre ». Ainsi, en guise de solidarité avec la population, la Première ministre néo-zélandaise, Jacinda Ardern et son cabinet ont diminué de 20% leurs salaires. A Taiwan, le ministre de la Santé, Chen Shih-chung, ponctuait régulièrement ses interventions avec le slogan « Ayez un cœur ». Au Sénégal, c’est une autre approche qui a prévalu. Sur les réseaux sociaux du ministère de la Santé, des expériences personnelles de malades et de soignants étaient publiées aux côtés des chiffres et des statistiques des autorités de santé.

Principe n°3 : Faire appel à la société civile

La France constitue l’un des contre-exemples les plus significatifs. Durant la première phase de confinement, on a essentiellement vu s’exprimer publiquement les figures politiques et les experts scientifiques et médicaux. Rares étaient les voix provenant d’un autre univers. Ce que déplore Heidi Tworek (4) : « Trop d’États ont uniquement fait appel aux responsables de la santé publique et aux politiciens pour transmettre leurs messages. Nous avons vu que des pays comme le Sénégal ont plutôt fait appel à des leaders clés de la société civile pour encourager le respect des règles ». Le Sénégal s’est effectivement distingué en sollicitant et en incluant des célébrités du pays (artistes, sportifs, etc) et des influenceurs en ligne pour transmettre les messages officiels et toucher ainsi des cibles moins réceptives au départ.

Autre point capital : écouter la société civile dans ses attentes et ses remarques. En Suède, l’Agence des risques civils s’est entourée de plusieurs instituts de sondage pour prendre en permanence le pouls de la population et notamment mieux connaître les réactions à la stratégie sanitaire mise en place par le gouvernement. Ces informations permettent ainsi de mieux mesurer l’acceptabilité (ou au contraire la crispation) des citoyens mais également d’ajuster en conséquence la communication officielle. En Allemagne, la chancellerie n’a pas hésité à changer son fusil d’épaule concernant la mise au point d’une application de traçage des cas contact. Plusieurs associations avaient en effet dénoncé le manque de protection des données privées. Choix fut donc fait de développer l’appli avec seulement des sociétés allemandes comme SAP et Deutsche Telekom. Le 15 juin, jour du lancement, 6,5 millions de téléchargement ont été enregistrés.

Principe n°4 : Institutionnaliser les communications

Si les trois premiers principes relèvent plutôt d’une optique court-terme, le quatrième principe s’inscrit lui dans le temps long. Une communication rapide requiert paradoxalement de pouvoir s’appuyer sur des structures et des dispositifs construits sans attendre l’éclosion d’une crise sanitaire. Or, dans le domaine de la santé publique, le poste budgétaire de la communication est souvent le parent pauvre d’autant que le contexte général est également astreint à un régime financier strict. Pourtant, c’est un point essentiel comme l’explique Heidi Tworek (5) :

« La Corée du Sud et Taïwan avaient appris que les communications sont essentielles pour une réponse efficace de par leurs mauvaises performances lors des précédentes pandémies de MERS et de SRAS. Ils ont réformé leurs systèmes de santé publique pour faire de la communication un pilier central de la réponse dès le départ »

A cet égard, le Canada a mis en place une initiative plutôt innovante qui a démarré en 2017. Baptisée « Impact Canada », cette structure (qui reporte au bureau du Conseil privé du Premier ministre) est une équipe d’experts en communication dans différents domaines. Outre la veille permanente sur les innovations technologiques, l’usage des données et les cas d’étude en communication, elle est capable de renforcer immédiatement des cabinets ministériels en cas de crise et de les aider à trouver le bon ton, le bon message et les bons canaux de communication.

Principe n°5 : Décrire la réponse sur le plan démocratique

Tout le monde en France garde encore en mémoire le discours extrêmement martial du Président de la République prononcé à l’aube du premier confinement. La formule du « Nous sommes en guerre » puis l’allocution donnée depuis un hôpital militaire de campagne dans une ambiance crépusculaire avaient été diversement appréciées au sein de la population. Heidi Tworek en atteste (6) :

« Nous avons constaté que les métaphores militaires étaient moins efficaces que les métaphores démocratiques, plus fédératrices. La Nouvelle-Zélande s’est décrite comme étant une « équipe de cinq millions » »

Dans leur rapport, les chercheurs insistent particulièrement sur la coloration démocratique du vocabulaire et des allégories ou comparaisons à employer dans une situation de crise sanitaire. Pour eux, une métaphore inclusive peut mieux aider les citoyens à comprendre leur rôle durant la pandémie et le niveau d’investissement attendu dans la lutte contre celle-ci. La province de la Colombie Britannique au Canada a édité à ce propos un guide de langage spécial Covid-19 avec l’objectif de conseiller certains vocables et expressions plutôt que d’autres pour éviter d’induire de l’usure mentale, de la peur ou du relâchement parmi les citoyens. Dans une allocution télévisée, les mots de la chancelière allemande Angela Merkel ont été clairement dans ce sens (7) : « Nous vivons non pas par la coercition mais par le savoir et la collaboration ainsi que la conviction que chaque vie et chaque personne compte ».

Communiquer, ce n’est pas bricoler à la hâte, ni esquiver

Si la communication ne viendra évidemment pas seule à bout de la pandémie qui frappe encore actuellement une immense majorité de pays, le mérite de ce rapport riche est de rappeler que cette discipline professionnelle n’est pas un gadget superfétatoire comme cela est perçu encore trop souvent ou une baguette magique à agiter soudainement en cas de crise soudaine. A la lumière de cette crise du Covid 19, les chercheurs mettent parfaitement en perspective la dimension stratégique, anticipatrice et collective de la communication. Surtout durant une crise de cette ampleur où les paramètres évoluent en permanence et où les inconnues demeurent à différents niveaux.

En intégrant plus et mieux les publics que l’on souhaite mobiliser et rassurer en même temps, en apportant plus de transparence mais aussi d’honnêteté intellectuelle dès le début, on se donne les conditions d’une communication effective et crédible. L’enjeu est énorme à l’heure de la désinformation et du conspirationnisme échevelé. Heidi Tworek le souligne (8) : « Une autre étude a révélé que plus les autorités ont publié rapidement des consignes sur le Covid-19, moins le public a eu recours à des remèdes préconisés par des sites de désinformation. Il est important de diffuser des informations fiables sur le plus grand nombre de vecteurs possibles, plutôt que d’attendre et de devoir combattre les rumeurs en ligne ».

De même, l’humilité doit être de mise plutôt que faire des contorsions rhétoriques pour dire des choses tout en ne disant pas tout. Sur la pénurie initiale des stocks de masques en France, il aurait été plus avisé de reconnaître l’incurie héritée de décisions budgétaires drastiques plutôt que tergiverser sur l’utilité ou non du dit masque avant de l’imposer. Aujourd’hui, la défiance affleure souvent lorsque des décisions gouvernementales sont prises.

Heidi Tworek cite une anecdote qui devrait inciter à réfléchir (9) : « La Première ministre norvégienne Erna Solberg, par exemple, a admis à la fin de l’été que le confinement était peut-être plus strict que nécessaire. Cela lui a permis de gagner la confiance de la population, car les Norvégiens savaient que Mme Solberg serait capable de reconnaître ses erreurs. Alors qu’une deuxième vague submerge une grande partie de l’Europe, il serait utile d’envisager un remise à niveau, en revenant à l’essentiel que nous décrivons dans notre rapport et dans les réponses à ces questions. Il ne sera pas facile de rétablir la confiance, mais en attendant des traitements plus efficaces ou un vaccin, la communication est l’une des rares interventions non pharmaceutiques qu’il nous reste ».

Sources

– (1) – « Quand la démocratie rencontre l’efficacité : communiquer pour mettre fin à la pandémie » – Institut Montaigne – 13 novembre 2020
– (2) – Heidi Tworek, Ian Beacock, et Eseohe Ojo – Rapport « Democratic Health Communications during Covid-19: A RAPID Response » – Novembre 2020
– (3) – « Quand la démocratie rencontre l’efficacité : communiquer pour mettre fin à la pandémie » – Institut Montaigne – 13 novembre 2020
– (4), (5) et (6) – Ibid.
– (7) – Heidi Tworek, Ian Beacock, et Eseohe Ojo – Rapport « Democratic Health Communications during Covid-19: A RAPID Response » – Novembre 2020
– (8) et (9) – « Quand la démocratie rencontre l’efficacité : communiquer pour mettre fin à la pandémie » – Institut Montaigne – 13 novembre 2020

Pour aller plus loin

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