Communication & Marque employeur : Les programmes « Employee Advocacy » ont-ils encore un intérêt ?

Les dispositifs de salariés ambassadeurs sur les médias sociaux ont longtemps eu le vent en poupe dans les stratégies de communication des entreprises. Il semblerait toutefois que le concept d’« Employee Advocacy » s’essouffle quelque peu depuis la crise du Covid-19. Irruption en force du télétravail et du bureau hybride, démission silencieuse croissante des salariés, génération Z plus volatile que jamais, est-il encore pertinent de s’appuyer sur de tels programmes pour nourrir la réputation et l’attractivité d’une entreprise et sa marque employeur ? Quels nouveaux enjeux intégrer ?

« Faire des collaborateurs de l’entreprise des acteurs de ses communications ». En 2018, c’était le titre d’un ouvrage pratique de référence édité par l’association des directeurs de la communication Entreprises & Médias. Ouvrage qui visait à procurer aux directeurs de la communication, des recommandations et des outils pour déployer un dispositif efficace sur les réseaux sociaux grâce à la présence de salariés qui touchent la plupart du temps des cibles que les supports corporate peinent à atteindre. Avec à la clé, un alléchant argument : le contenu partagé par des collaborateurs enregistre 8 fois plus d’engagement que les contenus diffusés par les canaux officiels.

Sur ce postulat, nombre de stratégies se sont donc mises en place. Or, en 2022, il règne une impression étrange d’un soufflé quelque peu retombé. Difficile de trouver des statistiques à jour sur l’impact d’un programme « Employee Advocacy ». De même, les articles de la presse professionnelle ont tendance à se raréfier sur le sujet. Alors, grande désillusion ?

Le cas Faurecia

En décembre 2018, l’équipementier automobile Faurecia annonçait non sans fierté le lancement d’un programme intitulé « A week in life ». L’idée reposait sur le partage hebdomadaire d’un témoignage métier d’un des 115 000 employés que compte le groupe à travers le monde en utilisant le compte corporate Instagram de l’entreprise. Objectif : nouer plus de proximité avec les 25/35 ans pour leur faire découvrir la vaste palette des métiers existants chez Faurecia. Quelques mois plus tard dans un post sur LinkedIn (1), le directeur de la communication de l’époque annonçait avoir déjà recruté 50 contributeurs issus de 18 pays allant de l’Inde au Mexique en passant par l’Allemagne et le Japon. Avec une liste d’attente qui ne cessait de s’allonger pour les volontaires.

Trois ans plus tard, l’initiative existe toujours sur Instagram. Mais aux jolies vidéos léchées du début où le collaborateur était mis en avant dans son métier et sa vie d’à-côté, ont succédé des petits diaporamas un peu plus quelconques et moins engageants en termes de contenus. Même la fréquence de ces petites histoires s’est étirée. La dernière en date a été publiée le 1er octobre 2022 tandis que la précédente date de début juin. Quant au nombre de likes enregistrés, ceux-ci dépassent rarement la barre des 100 pour un compte qui affiche pourtant plus de 11 300 abonnés. Les communicants de Faurecia ont sûrement plus de détails explicatifs sur ces scores étonnamment modestes au regard du potentiel de ce programme. En attendant, est-ce le signe avant-coureur que le salarié ambassadeur a fait long feu ?

Une surprenante absence de données chiffrées récentes

Pour réaliser ce billet, j’ai effectué de nombreuses recherches documentaires. Notamment pour dénicher des statistiques récentes qui attesteraient d’incontestables réussites de programmes de salariés ambassadeurs. Même dans les médias spécialisés anglosaxons pourtant plus prompts il y a quelques années à tartiner abondamment sur le sujet, il est dorénavant compliqué de trouver des cas d’études et des rapports d’analyse faits par des instituts d’analyse de l’opinion. Un cas emblématique de cette sécheresse éditoriale est l’article publié en juin 2022 par l’éditeur de la plateforme Sociabble qui aide précisément les entreprises à structurer et gérer un dispositif d’ambassadeurs. L’article égrène notamment 10 arguments chiffrés qui militent pour le déploiement de tels dispositifs. Il avance par exemple que 84% des consommateurs font plus confiance à des recommandations d’amis et de proches. Or, ce pourcentage qui émane de l’institut Nielsen date de … 2013 ! Plus loin, il évoque le fait que 79% des entreprises engagées dans un tel processus ont gagné en visibilité numérique en s’appuyant sur un rapport du Hinge Research Institute qui ne comporte … aucune datation mais sent le déjà-vu d’il y a 8/9 ans.

De même, il est régulièrement fait référence à (l’excellente) publication qu’avaient conjointement produite l’agence Weber Shandwick et l’institut KRC Research sous le titre « Employees Rising: Seizing the Opportunity in Employee Activism ». Au bémol près que ce travail accompli en 2014 est désormais obsolète. Et il en est ainsi pour quantité de sites et de blogs qui tous pointent vers les mêmes études sans qu’aucune mise à jour n’ait été produite depuis. Faut-il par conséquence y déceler une forte désaffection à l’égard de ces programmes initialement censés booster la marque employeur et la réputation de l’entreprise ? Cette pénurie de données récentes masque-t-elle une faillite plus ou moins prononcée des dispositifs d’« Employee Advocacy » ?

De réels bénéfices existent

Il est pourtant communément acquis qu’un programme de salariés ambassadeurs correctement mené (c’est-à-dire avec un accompagnement constant, des outils simples et des contenus attrayants) peut effectivement contribuer à la valeur d’image d’une société et à sa capacité d’attirer de nouveaux talents et clients. CEO de Tribal Impact, une société américaine concurrente de Sociabble, Sarah Goodall en est convaincue (2) : « Les organisations avant-gardistes réalisent rapidement l’impact que la voix authentique de leurs employés peut avoir sur la croissance globale de l’entreprise. D’après mon expérience, les avantages potentiels peuvent inclure l’extension de la portée de la marque, le renforcement de la confiance des clients et l’augmentation de la loyauté des employés. Les dirigeants devraient se rendre compte que la défense des intérêts des employés est plus qu’un outil. Il s’agit d’humaniser la marque, une voix d’employé à la fois ».

Dès lors, quels facteurs peuvent expliquer que l’« Employee Advocacy » tant porté sur les fonts baptismaux à ses débuts, ne fasse plus l’objet d’autant de considérations ? Il existe pourtant quelques cas concrets où le concept fonctionne véritablement comme chez Starbucks. Dans le cadre de son programme d’ambassadeurs, des comptes dédiés ont été créés sur différents réseaux sociaux, où les collaborateurs peuvent publier des contenus relatifs à leur vie au travail et sur les produits vendus dans les établissements. La page Facebook des employés de Starbucks compte plus de 378 500 abonnés. Sur Instagram, les salariés sont suivis par 141 000 fans avec des taux d’engagement à faire pâlir d’envie certains community managers. Sur Twitter, 84 000 abonnés likent et retweetent en masse les contenus postés. C’est donc la preuve que le concept n’est pas une lubie de quelques consultants et agences pour grapiller des budgets d’annonceurs.

Les ambassadeurs ne sont pas des bots humains

En l’absence de données statistiques et de cas d’études étayés, certains facteurs peuvent expliquer que les programmes d’« Employee Advocacy » n’ont pas rencontré le succès escompté. Il y a en premier lieu la question de contenus que les salariés ambassadeurs sont chargés de véhiculer via leurs profils numériques. Trop fréquemment, ces contenus restent aseptisés et formatés à tel point que tout finit par se ressembler et perdre en impact. Sans parler des tentatives jusqu’au-boutistes comme Amazon qui avait mis sur pied en 2018 un petit régiment digital de salariés ambassadeurs sur Twitter. Avec un objectif phare : contrer les détracteurs et valoriser sa politique de ressources humaines appliquée dans ces mêmes entrepôts. L’initiative avait rapidement fait un flop tant les discours étaient encadrés et faussement naturels (lire à ce propos le billet du Blog du Communicant).

Autre erreur souvent observée : la course à la massification du dispositif. Pour de nombreuses entreprises, l’enjeu a rapidement consisté à pousser fortement quantité de collaborateurs sur Twitter, LinkedIn, Facebook et plus récemment Instagram. Cette course au remplissage est particulièrement contre-productive. La plupart du temps, la majorité des profils reste une majorité silencieuse ou très peu active là où recourir à des panels plus restreints de salariés ambassadeurs réellement motivés et engagés est nettement plus bénéfique en termes de visibilité et de « reach » auprès des communautés. Cela évite par ailleurs de glisser dans l’entre-soi où chacun like et retweete ses collègues sans vraiment faire progresser la part de voix de l’entreprise, hormis flatter quelques supérieurs hiérarchiques ravis d’améliorer leurs statistiques. Vouloir faire des ambassadeurs, des bots plus humains est certainement un critère qui a généré du désengagement.

L’impact évident du Covid-19

Ensuite, il y a un contexte sociétal qui a très probablement bousculé les fondamentaux d’un programme d’ambassadeurs. La pandémie du Covid-19 qui s’est abattu durant ces deux dernières années, a profondément modifié le rapport des collaborateurs à leur entreprise et à leur travail. L’explosion du télétravail a nettement fragmenté le sentiment d’appartenance à une communauté corporate avec laquelle on interagit désormais entre incessantes sessions visio et quelques séances en présentiel.

Qu’on le veuille ou non, la cohésion d’équipe n’est plus vécue et perçue de la même façon. Avec au bout du compte, une relative perte de sens et d’engagement qui peut se répercuter dans un dispositif d’ambassadeurs. Sociologue sur l’évolution du travail, Danièle Linhart décrit la nouvelle donne (3) : « Une dimension abstraite, déréalisante, s’empare du travail, lorsqu’il est extrait de toute communauté, de tout collectif, et se trouve réduit à une interface solitaire avec un écran ». De fait, cette ubérisation ne constitue pas le meilleur atout pour insuffler et maintenir une solide dynamique à un réseau de salariés ambassadeurs.

A cette problématique, s’ajoute également une réticence croissante parmi les collaborateurs à mêler usage professionnel et usage privé sur leurs profils numériques. Avec les programmes d’ambassadeurs, le curseur s’est clairement déplacé à tel point qu’il n’est pas sans poser des questions cruciales entre liberté d’expression personnelle et devoir de réserve vis-à-vis de l’entreprise. Pour l’avocat spécialiste du droit numérique, Alexandre Lazarègue, il conviendrait (4) « aux salariés et aux employeurs de parler en toute transparence au moment de la conclusion du contrat de la problématique des réseaux sociaux. Et le cas échéant de fixer les choses par écrit dans le contrat de travail ».

D’autres tendances sociétales à l’œuvre

Les programmes ambassadeurs sont d’autant plus menacés d’extinction ou du moins de d’atténuation du fait de tendances sociétales qui ont émergé dans la foulée de la crise sanitaire. On connaissait déjà la propension affirmée à la volatilité de la génération Z qui accorde son engagement envers l’entreprise de manière très ponctuelle et pas toujours soutenue si leurs attentes ne sont pas satisfaites. La 11ème édition du rapport Deloitte sur la génération Z et les millenials le confirme à nouveau.

En revanche, il est aussi question depuis plus récemment d’un autre mouvement de fond par rapport au travail et à l’entreprise : le « quiet quitting » traduit en français par démission silencieuse. Popularisé sur TikTok, le phénomène s’est vite répandu parmi les pays occidentaux. Il incarne une forme de désengagement et de perte de sens au travail face à des conditions où se conjuguent isolement, surcharge d’activité, mauvaise équilibre vie privée-vie pro, manque de reconnaissance et absence de perspective d’évolution. D’après l’étude du Boston Consulting Group parue en juillet 2022, la première cause de démission chez les travailleurs de terrain français est le manque de visibilité sur leurs perspectives de carrières (48%).

Repenser l’« Employee Advocacy »

Ces facteurs sont autant de critères qu’un programme de salariés ambassadeurs doit dorénavant intégrer s’il veut espérer développer un discours crédible et susciter une réelle motivation. En soi, le concept d’« Employee Advocacy » reste valide pour nourrir la marque employeur. Mais à la condition expresse que le contexte interne de l’entreprise ne soit pas sublimé ou fantasmé par des ambassadeurs godillots formatés. Outre le fait d’accorder également plus de latitude dans la façon de raconter son entreprise, le salarié ambassadeur ne sera vraiment impliqué que s’il a le sentiment de parler authentiquement et pas celui d’être un mini-bot humain destiné à pousser de jolis messages corporate. C’est là tout l’enjeu complexe qu’il faut appréhender en termes de stratégie de communication.

Enfin, au lieu de vouloir être présent tous azimuts sur divers sujets, il est également conseillé de ne solliciter les ambassadeurs que sur des thématiques précises en relation avec la vie de l’entreprise et la marque employeur. Fin août dernier lors des Rencontres des Entrepreneurs de France organisées par le MEDEF, la première Ministre Elisabeth Borne a émis l’idée que les entreprises se dotent « d’ambassadeurs de la sobriété » pour sensibiliser et embarquer l’organisation sur les économies d’énergie. Preuve s’il en est que la vertu du réseau peut encore avoir de beaux jours devant elle. A condition de ne pas faire de l’« Employee Advocacy » un artefact de communication.

Sources

– (1) – Eric Fohlen-Weill – « Life at Faurecia: everyone’s talking about it » – LinkedIn – 28 février 2019
– (2) – Sarah Goodall – « Why Employee Advocacy Can Strengthen Your Employer Brand » – Forbes.com – 26 septembre 2022
– (3) – Anne Rodier et Jules Thomas – « Le monde du travail à l’heure des grandes solitudes » – Le Monde – 26 septembre 2022
– (4) – Marie Roy – « Au secours, mon entreprise m’oblige à utiliser mes propres réseaux sociaux » – Les Echos Start – 2 septembre 2022



2 commentaires sur “Communication & Marque employeur : Les programmes « Employee Advocacy » ont-ils encore un intérêt ?

  1. Gilles Reeb  - 

    Merci d’avoir ouvert ce sujet avec cette analyse très complète. Sujet ô combien représentatif des difficultés des entreprises à fédérer et mobiliser. Pour compléter le propos, voici quelques réflexions issues de mes diverses expériences.

    1/ Bien choisir ses indicateurs
    Comme souvent, le choix des kpis est essentiel pour évaluer la pertinence d’un dispositif. Concernant la marque employeur, ils peuvent intégrer les performances sur la cooptation ou la réduction du turn over.
    Ce que j’ai couvent constaté, c’est que les moyens de mesure sur la réputation employeur sont souvent négligés. On investit sur la production de contenu, leur diffusion, mais on se limite à des indicateurs simplistes.

    2/ Des programmes souvent trop en silo
    De manière empirique là aussi, je dirais que les meilleurs programmes ambassadeurs donnent une place privilégiée aux contenus « collaborateurs » dans la communication commerciale et/ou institutionnelle de l’entreprise. Créer un canal dédié peut être une première étape, mais le sentiment de valorisation est beaucoup plus développé quand les collaborateurs sont intégrés, de manière pérenne, tout au long d’un parcours client ou dans des campagnes à grande échelle.

    3/ Passer d’un programme à une culture
    Le cas Starbucks l’illustre bien : il faut développer une culture de la valorisation du collaborateur. Même si tout n’est pas parfait chez SB, le collaborateur occupe une place de choix dans l’expérience client (il a un prénom, il fait des blagues) et l’entreprise déploie des moyens considérables pour l’accompagner, le former, le valoriser, le laisser s’exprimer (concours de barista, réseau social interne digne de Facebook, communautés identitaires internes, etc).

    4/ La montée des dissonances cognitives
    Comme tu le disais, certaines tendances sociétales ont une portée importante sur le rapport à l’entreprise et au travail. Le contexte environnementale et sociale de plus en plus critique d’un côté et la réaction des entreprises de plus en plus inadaptée peut accroitre la gêne de certains collaborateurs à cautionner l’inaction ou le greenwashing de leur employeur. Ne pas traiter le problème à la racine peut même mener à des phénomènes d’activisme au travail, qui auront l’effet inverse d’un programme d’employee advocacy. A contrario, ceux qui sont convaincus du bien-fondé de leur mission, de la transparence de leur employeur, auront moins de freins à jouer sincèrement les ambassadeurs.

    Je vais m’arrêter là parce que le sujet est velu 🙂

    1. Olivier Cimelière  - 

      Bonjour Gilles
      Merci pour ces précisions additionnelles. Les points 1 et 2 sont particulièrement cruciaux qu’on amorce et on déploie un réseau d’ambassadeurs. De mon expérience et de mon observation, j’ai malheureusement souvent constaté des bugs parce qu’on reste effectivement dans le quantitatif pur au lieu de se concentrer sur le quali, à savoir une communauté d’ambassadeurs plus réduite mais plus actif et engagée à laquelle on permet de faire du contenu en propre qui sort de la com bullshit.
      Ensuite, il y a cette fâcheuse propension à mélanger l’influence et la réputation avec le social selling. D’où parfois des réseaux qui se mettent à spammer les communautés visées (il y a en plus souvent des incentives internes pour celui qui bombardera le plus) et qui mélangent au final les objectifs. Le Social Selling requiert une approche à part car la finalité n’est pas la même qu’un programme réputationnel.
      Sur le point 3, je suis plus mitigé. Il y a certes des cultures d’entreprise mais celles-ci ont tendance à être de moins en moins différentiantes du fait de l’internationalisation des grandes entreprises. Raisonner par marché ou par bloc géographique culturel me semble avoir plus de sens.
      Le point 4 est clairement le défi d’aujourd’hui. Les collaborateurs croient de moins en moins aux discours internes. A part ceux que cela ne dérange pas de faire le perroquet, beaucoup se désengagent et certains s’aventurent même dans la critique comme sur Glassdoor.

      Merci en tout cas pour le commentaire !

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