Digital Trust Index : les usages numériques progressent mais pas la confiance !

Lancé par l’agence de communication Jin et en partenariat avec Opinion Way et Plugr (solution d’analyse des conversations digitales), le Digital Trust Index s’attache à évaluer et comprendre les usages des internautes et la confiance qu’ils accordent (ou pas) aux services en ligne en France et au Royaume-Uni. La première édition de ce baromètre destiné à revenir chaque semestre, révèle déjà une nette ligne de fracture en France entre l’activité qui ne cesse de croître et la confiance qui a tendance à reculer dans de nombreux domaines. Entretien avec Edouard Fillias, directeur et fondateur de Jin, agence de conseil en communication et conseil online et offline.

48 sur 100 ! C’est le score attribué par le panel d’internautes du Digital Trust Index au sujet du niveau de confiance qu’ils accordent aux services consultés dans leurs usages digitaux. En dépit des enthousiastes campagnes publicitaires des géants du Web sur la vie numérique et les ardents efforts de la French Tech pour promouvoir les initiatives, c’est quasiment 1 Français sur 2 qui se montre suspicieux envers les services en ligne qu’il utilise paradoxalement de plus en plus et pour lesquels il n’est d’ailleurs pas toujours particulièrement précautionneux en termes de mots de passe ou de données privées. Devant ce résultat qui doit interpeller, le Blog du Communicant a demandé quelques éclairages supplémentaires à Edouard Fillias (photo ci-dessous).

Pourquoi avoir voulu créer un nouveau baromètre autour de la confiance. Il existe en effet déjà des outils de longue date comme le baromètre La Croix/TNS Sofres (qui vient justement de publier sa nouvelle édition où Internet apparaît aussi comme le média le moins sûr en termes de fiabilité de l’information), les études du Cevipof ou encore le célèbre Edelman Barometer Trust ? Quelles sont les spécificités que vous entendez décliner avec The Digital Trust Index ?

JIN - edouard_filliasEdouard Fillias : Avec le Digital Trust Index, notre but n’est pas d’être un énième baromètre ou de venir concurrencer des outils qui sont des références reconnues dans leurs domaines respectifs. Notre idée est de partir de l’observation des usages Web au sens large du terme (achats, informations, conversations, rencontres, etc) pour mieux comprendre ce qui motive un internaute à utiliser un service, à y revenir ou au contraire à l’abandonner, voire le critiquer en ligne. Cette approche qui constitue la raison d’être du Digital Trust Index rejoint en cela le manifeste de l’agence intitulé « Trust is Influence ». Autrement dit, sans une confiance minimale, une marque ou une entreprise ne peut guère espérer se faire apprécier et entrer en conversation avec ses publics. Le temps de la communication de masse ou du marketing intrusif est révolu. Ceci d’autant plus que les gens sont submergés par les sollicitations et que leur temps d’attention n’est pas éternellement expansible. C’est donc bien la confiance qui va dicter et entretenir l’envie de consulter et suivre tel ou tel site, réseau social ou application mobile.

Pour cette première édition, nous avons démarré avec la France et le Royaume-Uni mais nous inclurons bientôt l’Allemagne. De même, nous ferons de temps à autre des zooms sur un secteur d’activité ou une zone géographique à une cadence d’environ tous les 6 mois. A mon sens, il est essentiel de pouvoir comprendre dans le temps l’évolution de cette confiance sociétale à l’égard du numérique. Selon une étude de McKinsey, le poids de celui-ci dans le PIB de la France équivaut à 110 milliards d’euros et plus de 1,5 millions d’emplois créés. Or, si un niveau trop important de défiance s’installe, c’est tout cet écosystème qui risque d’en pâtir. D’où notre projet de Digital Trust Index.

Pour votre première édition, vous mettez en lumière un fait préoccupant et paradoxal. Alors qu’Internet et la connectivité numérique ne cessent effectivement de croître en termes d’usages, 48% des personnes affirment avoir un net manque de confiance dans Internet et les outils qui vont avec. A quoi est due cette défiance alors que le discours des entreprises comme des autorités présentent justement le numérique comme une opportunité sociétale, économique et démocratique ?

JIN - Keyboard Trust-IndicatorEdouard Fillias : Il existe effectivement un fossé entre les usages digitaux qui sont en constante progression et le niveau de confiance qui s’affaisse. Pour nous, trois raisons principales peuvent expliquer cette méfiance française. La première concerne la démultiplication des acteurs. Qu’il s’agisse d’achat en ligne, d’information, de services bancaires ou mêmes de rencontres amoureuses, il existe une telle fragmentation des acteurs que les utilisateurs finissent par s’y perdre. Dans note étude, un verbatim résume bien cette réticence : « Trop de médias ça devient de l’intox » ! Ensuite, il y a également l’hégémonie des GAFA (Google – Apple – Facebook – Amazon). Ils sont dominants et ils sont présents dans d’innombrables secteurs d’activités mais ils sont perçus comme des boîtes noires en ce qui concerne les données personnelles. Malgré les discours rassurants que tiennent les GAFA, nombreux sont les internautes à s’inquiéter du véritable usage et devenir qui sont faits de leurs traces numériques.

Enfin, il faut reconnaître que la défiance est plus marquée en France qu’au Royaume-Uni où le niveau de confiance du Digital Trust index s’établit à 54 sur 100. Par définition, les Français sont spontanément plus critiques et plus soupçonneux envers ce qui semble échapper à leur esprit souvent cartésien. Par exemple pour les médias, les Britanniques attribuent un taux de 40% de confiance à la BBC. En France, le meilleur média est Le Monde qui atteint … 8% ! On retrouve cet écart quasiment sur toutes les thématiques relatives aux usages Web. En France, il n’y a que trois secteurs qui échappent globalement à cette crise de confiance : les sites d’e-commerce (hormis quelques exceptions) qui ont en effet très tôt consenti à de gros efforts de sécurisation et de qualité de service mais aussi les banques et les services publics comme le portail Mon Service Public.

Comment expliquez-vous malgré tout la disparité de la confiance que vous observez entre la France et l’Angleterre au sujet d’acteurs controversés comme par exemple Amazon ? Dans l’Hexagone, 23% disent avoir confiance pour y réaliser leurs achats. Ce score grimpe à 44% Outre-Manche. Pourtant, Amazon suscite les mêmes polémiques dans les deux pays (défiscalisation de ses revenus locaux, disparition des librairies de quartier, politique commerciale agressive, conditions de travail dans ses entrepôts, etc) ?

JIN - amazon-pay-btn-1Edouard Fillias : La différence culturelle entre très probablement en ligne de compte. Les Britanniques sont plus enclins à confier leurs données à Amazon en échange de services commerciaux pertinents. En France en revanche, Amazon est vu comme l’éléphant dans le magasin de porcelaine qui a entraîné la fermeture des petites librairies ou qui est venu bousculer le statut particulier du livre et sa TVA unique à 5,5%.

Cependant, il n’y a pas qu’Amazon pour subir une défiance affirmée de la part des Français. Dans notre étude, nous constatons notamment que les acteurs du secteur de l’assurance jouissent d’un niveau de confiance extrêmement mauvais. Les internautes leur reprochent pêle-mêle le maquis incompréhensible des tarifs pratiqués, le mode de calcul opaque des points, la complexité des sites ou encore la lisibilité des montants en termes de prestations et d’indemnisations. Pourtant, il n’y a pas de fatalité. Un acteur assureur peut inspirer confiance. Aux USA, une start-up de l’assurance santé appelée Oscar Insurance cartonne depuis l’entrée en vigueur de l’Obamacare en 2013. Une des raisons de ce succès qui ne se dément toujours pas, est la simplicité des offres, l’accessibilité des explications et la gratuité de certaines prestations. C’est bien la preuve qu’un service digital bien conçu peut engendrer la confiance auprès de ses utilisateurs.

A la lumière de vos observations, quelles seraient les pistes à enclencher et développer pour reconstruire la confiance des Français vis-à-vis des outils numériques qui sont de toute façon déjà ancrés dans leur quotidien ?

Edouard Fillias : En conclusion de notre étude, nous formulons 5 propositions qui pourraient grandement contribuer à inverser la courbe et relancer la confiance. La première est la question de la labellisation. Il y a déjà des initiatives qui fonctionnent en ce sens comme HONcode. Ce référentiel qui existe dans plusieurs pays (dont la France) garantit la fiabilité des sites de santé selon le respect d’un cahier des charges et de critères spécifiques. Voilà quelque chose qui peut être décliné à d’autres secteurs et rassurer ainsi l’internaute sur le sérieux ou pas de tel ou tel site.

La seconde proposition est d’ordre similaire. Elle concerne les recommandations que déposent les internautes. Les médias ont souvent évoqué les cas de triches avec des faux avis ou des remarques complaisantes. Outre la modération, TripAdvisor exige désormais pour déposer une remarque, un certain nombre de pièces comme par exemple la facture de l’hôtel.

Troisième point : la centralisation de l’information. J’évoquais le sujet problématique de l’éparpillement dans la deuxième question. Je crois beaucoup que des portails reconnus comme tels et agrégeant de multiples sources vérifiées peuvent aider à regagner de la confiance. Au Royaume-Uni, le portail public NHS Choices est plébiscité car il propose des contenus solides, fiables et faciles à consulter. En France, vous avez Ameli, le site de la Sécurité Sociale qui n’est guère engageant en termes de navigation et Doctissimo où se côtoie le meilleur comme le pire.

JIN - trust-sealLa quatrième piste de confiance passe également par les influenceurs. Les internautes font de plus en plus confiance à des experts ou des gens qualifiés dont ils se sentent proches et dont ils pensent qu’ils sont plus libres dans leur expression que certains médias ou discours d’entreprises. Enfin, le cinquième point peut sembler à première vue « gadget » et pourtant, il ne l’est pas. Au contraire, il est fondamental. Il s’agit de proposer un design clair où esthétique et ergonomie sont totalement au service de la compréhension et de l’expérience de l’internaute. C’est particulièrement vrai avec les applications mobiles dont beaucoup sont encore trop complexes et distillent du coup un sentiment de confusion ou de méfiance.

Tous ces points indiquent en tout cas que la confiance ne peut plus être tenue pour acquise. Marques et entreprises doivent en prendre conscience et l’intégrer dans leurs stratégies de communication avec leurs publics. Notre baromètre est là pour aider à prendre le pouls et déterminer si on avance dans le bon sens ou s’il faut encore rectifier le tir.

Pour en savoir plus

– Lire le blog de l’agence Jin (en anglais)
– Visiter le site de présentation de l’agence
Télécharger l’intégralité du rapport Digital Trust Index
L’article de Thomas Coëffë du Blog du Modérateur sur les résultats du DTI

 



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