RadioShack : Quand la communication prend trop ses désirs pour la réalité
RadioShack est une enseigne américaine de distribution d’appareils et composants électroniques. Quasiment inconnue en France, la marque est en revanche une institution emblématique aux Etats-Unis où elle célèbrera bientôt son centenaire si toutefois elle parvient à survivre jusqu’en 2021. Dépassée par les concurrents issus du e-commerce et les géants de la grande distribution, l’entreprise affronte une profonde hémorragie financière. Elle a pourtant lancé une offensive communicante placée sous le signe de l’autodérision pour essayer d’enrayer la désaffection des clients dans ses magasins. Chronique d’une communication cosmétique qui oublie dangereusement le réel.
Si le nom de RadioShack ne dit probablement rien aux lecteurs français (hormis sans doute les fanas de la petite reine qui se souviennent du partenariat de l’enseigne avec l’équipe cycliste de Lance Armstrong sur le Tour de France 2010), ses déboires communicants possèdent en revanche de quoi inspirer celles et ceux qui président aux destinées d’une marque produit ou corporate. Plus que jamais, la communication ne peut plus s’affranchir de la réalité des faits en s’inventant une réalité sublimée aux antipodes des problématiques du terrain. Même si une dose d’humour s’efforce de relever le fond de sauce, les publics exigent des faits plutôt que des vagues promesses bien emballées.
Histoire d’une lente descente aux enfers
Pour mieux saisir l’importance historique de l’enseigne américaine dans son paysage commercial natal, RadioShack se rapproche sensiblement en termes d’identité populaire de ce que Darty incarne en France depuis 1957 dans la distribution de produits informatiques et électroniques. Née en 1921 à Boston, la société rencontre rapidement le succès en déployant simultanément de nombreux magasins et un système de vente par correspondance d’appareils électroniques. Rachetée en 1963 par Tandy Corporation, la marque est pourtant conservée par l’acquéreur qui ira même jusqu’à se débaptiser lui-même en 2000 pour endosser le nom de RadioShack Corporation. Pendant longtemps, la chaîne de magasins conjugue efficacement proximité avec ses plus de 4000 magasins sur le territoire et sa gamme de produits innovants et performants que la clientèle apprécie.
C’était sans compter à l’aube du 21ème siècle avec l’émergence foudroyante d’Amazon et consorts mais aussi des mastodontes de la distribution comme Wal-Mart et Costco. Ceux-ci ont mis à disposition des clients une quantité infinie de références électroniques livrées en des temps record, à des prix canon même dans les endroits les plus reculés des Etats-Unis. Année après année, l’aura mythique de RadioShack s’est donc singulièrement ternie au point d’endosser une image de magasins désuets et pas toujours bien achalandés avec les produits dernier cri que s’arrachent les jeunes générations. En dépit de tentatives timides pour opérer un coup de neuf sur sa gamme et ses boutiques avec l’ouverture de concept-stores, RadioShack s’est étiolé dans l’esprit des consommateurs. Une récente étude YouGov BrandIndex en février 2014 indiquait d’ailleurs que seulement 8% des adultes américains avait effectué un achat en magasin durant les 3 derniers mois (1).
Implacable réalité
La sanction n’a guère tardé à tomber. De 139 millions de dollars de pertes en 2012, l’abysse financière s’est creusé à 400 millions en 2013 (2). Ce qui a conduit le PDG, Joseph Magnacca à annoncer la fermeture programmée de 1100 magasins soit environ 20% du réseau actuel de RadioShack. Tout en justifiant avant tout cette grave contre-performance par des arguments conjoncturels comme les guerres promotionnelles sur les produits électroniques et quelques problèmes organisationnels propres à l’entreprise (notamment des ruptures de stock). Directeur de Wedbush Securities, une société d’investissements financiers, Michael Pachter a néanmoins la dent nettement plus dure pour commenter la déconvenue de RadioShack (3) : « RadioShack fut pendant longtemps un magasin de proximité très pratique mais il a évolué en magasin de nécessité de dernier recours. Si vous avez besoin d’une pile pour votre montre et que vous ne supportez pas d’attendre la promo d’Amazon pour une livraison gratuite en deux jours, alors peut-être vous irez acheter chez RadioShack mais seulement dans ce cas ! ». Sans parler des tarifs qui ne parviennent absolument pas à rivaliser avec ceux pratiqués par les acteurs en ligne et la grande distribution.
Autre problème pointé par les observateurs du marché : RadioShack n’émerge pas clairement dans aucune catégorie de produits. Si l’enseigne vend effectivement un peu de tout comme le ferait un bazar traditionnel, elle n’est pas pour autant associée à un bénéfice ou une expertise concrète aux yeux des consommateurs. Journaliste pour le site spécialisé Dashburst, Rishona Campbell insiste sur ce handicap qui plombe l’image de RadioShack (4) : « L’excellence opérationnelle incroyable de Wal-Mart réside par exemple dans ses économies d’échelle et ses capacités logistiques. Excellence tellement incroyable que Wal-Mart peut offrir des produits inférieurs et une expérience consommateur sans éclat sans que cela n’affecte son succès auprès des clients ». Or, c’est là le nœud gordien du problème rencontré par RadioShack : l’absence d’aspérité d’image propre.
Une campagne com’ version pompier
En guise de réaction et pour essayer d’estomper ce manque cruel de personnalité, RadioShack a ouvert des concept-stores ultra-modernes en 2013. Objectif : repositionner la marque auprès du public avec des magasins à la pointe des produits à la mode, des espaces interactifs où les badauds peuvent comparer les références et bénéficier de conseils personnalisés auprès des vendeurs. Un vaste dépoussiérage intitulé « My New RadioShack » et complété par la modernisation de nombreuses boutiques déjà existantes.
C’est dans cette ambitieuse optique que RadioShack a déboulé le 2 février lors de l’événement sportif qui mobilise tous les Etats-Unis, la 48ème finale du Super Bowl de football américain. Sous le coude, un hilarant spot publicitaire où des super-héros des années 80 mécontents décident de prendre d’assaut et de piller un vieux magasin RadioShack avant que celui-ci ne disparaisse du fait de la modernisation entreprise par l’enseigne.
Derrière ce trait d’humour auto-sarcastique, RadioShack entendait ainsi signifier que l’heure du « nouveau RadioShack » était désormais arrivée. Si le film n’est effectivement pas passé inaperçu, il n’a en revanche absolument pas engendré une ruée massive de consommateurs désireux d’aller voir de visu à quoi ressemblait la nouvelle jeunesse autoproclamée des magasins RadioShack. Pire, l’annonce des résultats catastrophiques de 2013 quelques semaines plus tard, a achevé de renvoyer la campagne parodique dans les cordes de l’incompréhension.
Décréter n’est pas convaincre
Pour nombre d’analystes, RadioShack a commis une stratégie de communication qui oublie le véritable enjeu. Editeur du site LaptopMag, Mark Spoonauer compatit (5) : « Le relooking arrive un peu tard dans la partie. Promouvoir une carte mémoire est un peu étrange, spécialement au moment où le monde s’oriente vers le stockage en nuage ». Même si l’enseigne accompagne de surcroît ses efforts avec de la vente en ligne, Michael Pachter se montre encore plus mordant à l’égard de la cure de jouvence à laquelle essaie de s’astreindre RadioShack (6) : « RadioShack.com est un anachronisme à l’âge d’Internet. Les petits-enfants d’aujourd’hui ne savent même pas ce qu’est une radio. C’est comme si on appelait le magasin Shortwave Shack ou Mainframe Computer Shack ».
Le ratage de RadioShack dans sa tentative de convaincre que cette fois l’enseigne embrassait pleinement la posture de la modernité, souligne une fois encore combien il ne suffit pas de souhaiter ardemment épouser une image fantasmée pour séduire l’opinion et retisser les liens. Sans traduction concrète dans la réalité de la promesse encapsulée dans la communication d’une marque ou d’une entreprise, la distorsion d’image guette et le grand écart s’accroît. A tel point que le clip rigolo du SuperBowl n’a fait maintenant que refléter de manière encore plus flagrante le décalage entre la perception voulue par les dirigeants de l’entreprise et la perception réelle des parties prenantes. Souvenons-nous du fameux tube du duo pop britannique The Buggles : « Video killed the radio stars » !
Sources
– (1) – Quentin Fottrell – « Did RadioShack run out of things to sell ? » – MarketWatch.com – 6 mars 2014
– (2) – « RadioShack déficitaire ferme 1100 magasins » – 20minutes.ch – 4 mars 2014
– (3) – Quentin Fottrell – « Did RadioShack run out of things to sell ? » – MarketWatch.com – 6 mars 2014
– (4) – Rishona Campbell – « RadioShack parodied its own stores but maybe the joke is really on them » – Dashburst.com – 6 mars 2014
– (5) – Quentin Fottrell – « Did RadioShack run out of things to sell ? » – MarketWatch.com – 6 mars 2014
– (6) – Ibid.