Violences chez Air France : Pourquoi la communication de crise de l’entreprise est-elle pertinente ?
Suite aux images des cadres molestés par quelques grévistes surexcités qui ont fait le tour de la planète des médias et des réseaux sociaux, la direction d’Air France a lancé une vaste campagne de communication pour contrebalancer les effets désastreux de ce buzz médiatique sur la réputation de l’entreprise. Totalement conçue et gérée en interne, la communication de crise de la compagnie aérienne est sobre, pertinente et loin des grosses ficelles cosmétiques qu’affectent trop souvent les spin doctors dans l’urgence d’une crise.
C’est peu de dire que l’image d’Air France a sérieusement été ébranlée lorsque le 5 octobre dernier, médias du monde entier et réseaux sociaux se sont mis à viraliser en boucle les scènes hallucinantes d’agressions physiques envers deux cadres supérieurs de l’entreprise par des salariés en grève excédés. Emotion et tension sont d’autant plus montées à leur comble lorsqu’est apparu ensuite le témoignage vidéo d’une hôtesse de l’air en pleurs menacée de perdre son emploi et visiblement ignorée des représentants de la direction lors du comité central d’entreprise puis celle du DGA France juste après le CCE. Quelques jours plus tard, la direction générale a décidé de prendre fortement la parole tout en sachant éviter les ornières souvent inhérentes à l’exercice toujours périlleux de la communication de crise.
Pleine conscience du risque « French bashing »
Face aux débordements inacceptables de quelques énervés (que l’on peut effectivement qualifier de « stupides », n’en déplaise à la ministre Ségolène Royal voulant recadrer son homologue Emmanuel Macron), le top management d’Air France aurait pu avoir la tentation de jouer la carte du pourrissement et de l’opposition binaire en accentuant par exemple certaines obstructions syndicales ou en appuyant sur l’obstination des pilotes de ligne à refuser d’aligner leur temps de travail effectif sur celui de leurs confrères européens de British Airways ou Lufthansa. L’option était plausible suite aux images brutes d’un DRH à la chemise déchirée escaladant un grillage pour échapper aux plus vindicatifs des grévistes. Celles-ci avaient en effet soulevé des vagues d’indignation autant en France qu’à l’étranger où le « French bashing » n’a guère besoin de beaucoup d’étincelles pour être promptement réactivée.
Pour s’en convaincre, il suffit de se rappeler des propos outranciers de Maurice Taylor, PDG du groupe américain de pneumatiques Titan alors candidat à la reprise du site industriel de Continental-Goodyear à Amiens en 2013. Après des années de bras-de-fer avec les syndicats, l’inflexible patron avait alors déclaré sans ambages lors de son retrait définitif (1) : « Oui, définitivement. C’est ce que veulent les syndicats (NDLR : la fermeture du site). Je sais que ce n’est pas ce qu’ils disent, mais c’est ce qu’ils veulent. Tout est foutu chez vous! Les Français doivent comprendre qu’on ne peut pas laisser une bande de dingues tout diriger. Et pourtant, c’est ce qui se passe…». Depuis, d’autres séquestrations de cadres ont à nouveau eu lieu en France, jetant à chaque fois un peu l’opprobre sur un pays souvent regardé comme ingérable hors des frontières de l’Hexagone.
Pas de surenchère rhétorique mais des faits
Tout en étant conscient des risques d’altération supplémentaire de l’image de la France, la direction de la compagnie aérienne a eu l’intelligence de ne pas entrer dans une spirale rhétorique où chaque camp reste rivé sur ses principes et caricature l’adversaire sans nulle hésitation. En termes de timing, elle a d’abord laissé s’écouler quelques jours afin que la tension retombe et que les reprises de contact avec les organisations syndicales s’opèrent sur le terrain. Ensuite, elle a pris soin de ne pas s’égarer dans l’amalgame où tous les syndicalistes seraient des brutes épaisses et les personnes concernées par le plan de restructuration des desperados prêts à tout. Même si l’inquiétude de ces derniers est totalement légitime, la campagne de communication d’Air France a su avec doigté ne pas souffler sur les braises tout en partageant clairement et largement deux axes thématiques clés dans une lettre adressée à ses 15 millions de clients et une vidéo largement reprise sur les médias sociaux.
Le premier axe vise à rappeler qu’Air France est un patrimoine national collectif pour lequel les salariés veulent donner le meilleur d’eux-mêmes envers les passagers. L’entreprise s’est également attachée à défendre l’ensemble de son personnel navigant et au sol en utilisant dans sa lettre, un langage sobre, factuel mais impliqué et affirmatif : « Ce que vous avez vu lundi, ce n’est pas le vrai visage d’Air France », « Air France c’est ça, Air France c’est nous et Air France c’est pour vous » ou encore « Ces violences ont été le fait d’individus isolés et ne reflètent ni la réalité ni l’ambition de votre compagnie ».
Le second axe tient ensuite à rappeler qu’Air France évolue dans un contexte commercial mortifère où les compagnies low-cost (nettement moins regardantes que les conditions de travail de leur personnel) et les compagnies du Moyen-Orient (comme Qatar Airways, Etihad ou encore Emirates qui offrent des prestations luxueuses à des prix compétitifs) taillent des croupières aux compagnies traditionnelles prises en étau dont Air France fait partie et dont certaines ont déjà disparu comme la belge Sabena ou la suisse Swissair en Europe. Là aussi, les mots usités sont sobres mais sans circonvolutions : « Dans un monde extrêmement concurrentiel, Air France doit prendre des mesures courageuses afin d’assurer son avenir dans le peloton de tête des compagnies aériennes à vocation mondiale ».
Ne pas ajouter la crise à la crise
La vidéo jointe au courrier est de même facture avec en plus en introduction, le directeur des Ressources Humaines, Xavier Broseta (qui fut l’un des deux protagonistes sévèrement malmenés par la poignée d’individus cherchant à en découdre physiquement), la présence de salariés représentatifs des divers métiers principaux de l’entreprise et des phrases prononcées en langue étrangère pour souligner qu’Air France ne se réduit pas à un obtus village gaulois en butte contre tout et surtout la réalité d’un contexte concurrentiel qui oblige à des décisions effectivement douloureuses pour celles et ceux qui seront amenés à être débarqués professionnellement.
Certes, cette prise de parole ne règle pas tout sur le fond complexe et sensible du dossier Air France (notamment des réformes qui auraient dû être accomplies bien plus tôt) et n’a d’ailleurs pas vocation à le faire. En revanche, elle a le mérite de ne pas se fourvoyer dans une argumentation binaire ou trop émotionnelle alimentant le « French bashing » et les amalgames sans issue ou alors dissuadant les passagers de continuer à voler sous pavillon français. Le ton est juste sans trop en faire même si les plus radicalisés trouveront toujours qu’il s’agit-là de « vilaine com ». Il n’empêche que la direction a osé réagir calmement mais avec détermination pour maintenir le dialogue et la réputation (et par extension l’avenir) d’une compagnie qui mérite en effet mieux que les images brutales du 5 octobre dernier.
Sources
– (1) – Fabien Morin – « Morry Taylor, grand patron américain, sur la France : «Tout est foutu chez vous » – Le Figaro.fr – 6 février 2015
Pour aller plus loin sur le dossier
– Une analyse contextuelle socio-économique poussée publiée par Nicolas Lagrange – « Les dossiers chauds d’Air France » – Alter Eco – 9 octobre 2015
– Un portrait du PDG d’Air France qui apporte un autre angle de vue par Claude Soula – « Alexandre de Juniac, l’homme qui veut rétrécir Air France » – L’Obs – 7 octobre 2015
9 commentaires sur “Violences chez Air France : Pourquoi la communication de crise de l’entreprise est-elle pertinente ?”-
Gérard Madcat -
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Olivier Cimelière -
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Gérard Madcat -
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Olivier Cimelière -
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Georges Peillon -
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Olivier Cimelière -
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Babette -
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Olivier Cimelière -
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Ernesto -
@Ernesto : Ne vous en déplaise mais objectivement c’est grâce à ces « beaufs » qui bossent tous les jours dans des secteurs essentiels que l’économie réelle tourne. La comparaison avec la violence conjugale est vraiment moyenne, ces gens ne sont pas révoltés parce qu’ils ont des sentiments mais bien parce qu’ils risquent la misère sociale.
Ces « beaufs » n’ont pas ou peu de recours et c’est bien pour ça qu’on s’attaque à eux quand il s’agit de réduire les frais.
Je ne cherche pas à les idéaliser ou à justifier l’agression mais bien à démontrer qu’en amont la violence proviens des décisionnaires qui logiquement préfèrent perdre du personnel plutôt que des dividendes. C’est ça la réalité schématique, et c’est principalement ça qui a provoqué cette agression qui par ailleurs est loin d’être dramatique d’un point de vue physique ou médical… »plus de peur que de mal » même si pour un ingénieur social qu’est ce DRH il est certain que prendre littéralement la colère populaire en pleine face ça doit secouer : la réalité sur le terrain c’est pas comme sur les plateaux télés…
@Olivier Cimelière Ce que vous semblez ne pas vouloir comprendre, c’est que ce genre de communication en surface ne rassure absolument plus personne, sauf peut être les spécialistes comme vous : des gens qui ont renoncé à une vision globale de la société et du monde pour s’en remettre à l’analyse ultra spécifique uniquement.
Du coup vous passez à coté de l’élément principal : encore une campagne de communication qui parle de tout sauf de concret (quels plans sociaux ? comment se déroulent les négociations ? …), qui ne met rien en perspective sinon le fait qu’Air France est toujours une compagnie aérienne…waouw
Ce spot est navrant, il a du à peine rassurer les investisseurs bien que toujours ravi de pouvoir créer du bruit médiatique pour étouffer ce genre de questions sociales qui pourraient soulever des débats de fond.
Mais que nos oligarques se rassurent, les experts en com’ sortis d’écoles privés sont là pour éviter à tout pris cet affront, pour maquiller la réalité et brasser du vent puisque leurs formations n’ont certainement pas pour but de les tenir prêt face aux sujets complexes de société. C’est un peu cliché mais franchement je sais de quoi je parle, ayant quelque peu fréquenté ces milieux où le politiquement correct règne puisqu’il est de toute façon la condition sinequanone pour avoir du boulot.
Connaissant un peu votre blog je pense que vous auriez pu éviter ce cliché en proposant une analyse un peu plus réaliste : Air France possède un service de communication de crise efficace, seulement quand on touche à des sujets de société ou d’économie ils n’ont clairement rien à proposer sinon un branding abrutissant, lisse à souhait, du même genre que ce que l’on sert aux « beaufs » cités plus haut en général de toute façon…
Bonsoir Gérard
Merci pour votre réaction que je comprends bien plus que vous pouvez l’imaginer. J’ai vécu des plans sociaux en tant de communicant et en tant que salarié. Mon propos se bornait à analyser la réaction de la DG d’Air France face à des images qui ont fait le tour du monde et un peu plus alimenté le cliché que la France est un pays de brutes ingouvernables.
Ceci étant précisé, je dénonce autant que vous cette com cosmétique qui consiste à planquer ou endormir l’opinion publique. Elle a longtemps sévi et elle sévit encore mais de moins en moins grâce aux coups de boutoir des médias sociaux en particulier qui ouvrent des brèches et font entendre d’autres voix.
Ensuite, si justement vous connaissez un peu le milieu des communicants, je pense que vous savez qu’il n’est pas si simple de communiquer lors d’un plan social. Celui-ci est strictement régulé par le Code du Travail aveec notamment le délit d’entrave. Celui-ci empêche la direction de communiquer en interne et en externe tant que le CE ou CCE ne s’est pas déroulé. En revanche, les syndicats ne sont pas astreints à ce délit. Dès qu’ils reçoivent la convocation pour le CE ou CCE, ils ont possibilité de communiquer envers qui ils veulent et comme ils veulent. Reconnaissez qu’il s’agit là d’un déséquilibre peu propice à un dialogue équitable …
Enfin, je ne sors pas d’une école de com privée mais du Celsa, faisant partie de la Sorbonne qui jusqu’à présent est encore une filière publique.
Merci pour votre réponse M. Cimelière,
Effectivement mon commentaire porte à penser que je simplifie les choses, vous avez raison de rappeler que la communication d’une entreprise au milieu d’un conflit social est un vrai casse tête, je pense que nous serons d’accord sur le fait que ces problèmes se règlent avant tout à un autre niveau que celui de la communication. Il n’y a ainsi pas vraiment de solutions miracles, certainement pas uniquement à coup de relations publiques.
Effectivement, les RP ne sont qu’une des composantes. Le coeur du dossier en matière de plan social demeure les IRP, la DG et les instances prévues par la loi. Pour autant, une entreprise aussi connu qu’Air France se devait de réagir face aux images ayant circulé dans le monde entier.
Air France a « la chance » par rapport à d’autres entreprises de disposer d’un dispositif très efficace de communication de crise. Un peu plus d’une vingtaine de personnes 365 jours par an arment la cellule de crise. L’opérationnabilité s’est déjà démontrée lors du crash de l’AF 447 Rio Paris. Il existe donc chez Air Frnce une vraie culture de la communication de crise et de la gestion des urgences. Ici, pour cette crise sociale, la campagne de communication est offensive parce qu’elle occupe le terrain des médias et des réseaux sociaux. Air France a très bien compris qu’il convenait de ne pas laisser la place ni aux politiques, ni aux syndicats. C’est cela la véritable responsabilité d’une grande entreprise.
Bonjour Georges
Oui c’est justement ce que je cherchais à démontrer à travers ce billet. Et la compagnie possède en effet un impressionnant dispositif de veille qui permet de réagir et notamment ne pas laisser uniquement les syndicats et les politiques prendre la parole (surtout ces derniers qui agissent par opportunisme médiatique mais souvent totale méconnaissance du dossier complexe Air France) …
Néanmoins je conseille la lecture de cet article de l’Obs (lu après ce billet) qui fait le portrait d’Alexandre de Juniac. Il y a quelques boulettes communicantes récentes qui modulent l’éclairage de la com actuelle ! – Lien : http://tempsreel.nouvelobs.com/economie/20151006.OBS7194/portrait-alexandre-de-juniac-le-pdg-qui-veut-retrecir-air-france.html
Au lieu de parler des faits, le licenciement brutal de 2900 personnes – en attendant des milliers d’autres – lié pour partie à l’incompétence de ses dirigeants qui ont résisté plutôt qu’anticiper, on ne parle que de cet homme en cravate. Pensez-vous vraiment qu’il eût pu être lynché?
Ce qui me frappe ce sont ces deux photos, la première où il est terrorisé, la peur qui marque son visage ; vous savez comme celle de celui qui vient d’apprendre son licenciement et qui va devoir l’annoncer à sa famille ; et celle du lendemain, où il a retrouvé une belle chemise et une belle assurance, même modeste. Il a le soutien de Valls. donc, tout va bien.
Le peuple n’a qu’à bien se tenir. Jusqu’à quand?
Il ne s’agit pas de communication mais de sens moral et de gouvernance des dirigeants
Bonjour Babette
Je pense qu’il y a sans doute un léger malentendu sur l’objectif n°1 de ce billet qui vise avant à décortiquer la tactique de com mise en place par la DG d’Air France après le CCE qui a tant fait parler et l’image choc du DRH.
Loin de moi de nier et de mépriser les 2900 personnes concernées par ce plan (et sans doute plus si l’on en juge certains articles de presse). J’ai connu à titre personnel la violence du licenciement (et pas forcément pour des bonnes raisons). Je sais également que longtemps la direction a repoussé des réformes structurelles essentielles en « achetant » la paix sociale et en n’épargnant certaines « castes » très puissantes comme les pilotes de ligne qui refusent actuellement de passer de 680 h mensuelles à 780 h (norme moyenne de leurs homologues européens). Evidemment que la com ne fait pas tout et ne résoud pas tout si ceux-ci qui sont derrière ont des agendas cachés et/ou diamétralement opposés. En revanche, la com peut aider à s’extirper des visions bloc vs bloc et créer des conditions de dialogue. C’est en principe sa fonction première d’ailleurs !
Babette, ne minimisez pas la violence physique et les coups portés (un vigile a perdu connaissance). Frapper quelqu’un, et encore plus frapper en surnombre une victime isolé est un acte répréhensible. Un comportement de beaufs. Rien ne justifie la violence physique. Si ma femme divorce et part avec nos enfants, aurais je le droit d’arracher ses habits, de la malmener, de l’apeurer parce que je suis désespéré?
Pour revenir à la com, finalement ça rend sympathique la direction d’ Air France aux yeux du public. Et pour pas cher.