8 tendances communication 2016 – Entre confiance à (re)bâtir et réputation à protéger : enjeu n°1 des communicants

« Votre marque est ce que les gens disent de vous lorsque vous n’êtes pas dans la pièce ». Jamais cette citation que l’on prête à Jeff Bezos, le célèbre fondateur et président d’Amazon, n’aura autant pris tout son sens au cours de l’année 2015. Lequel va s’amplifier en 2016. La conversation digitale des internautes a en effet atteint de nouveaux sommets en termes de volumétrie, de fréquence et de viralité. A celles et ceux qui restent encore un brin dubitatifs ou réticents à propos de l’impact réel du Web social sur la construction de la réputation des marques et des entreprises, qu’ils foncent lire la dernière livraison en date du rapport « Global Digital Statshot » de l’agence We Are Social. Même s’il subsiste çà et là des îlots de déconnectés volontaires ou pas, les médias sociaux occupent notre quotidien à divers degrés. Entreprises et communicants doivent apprendre à lâcher prise et saisir les nouvelles opportunités pour recréer la confiance et protéger la réputation. Tour d’horizon.

Aujourd’hui, plus d’un Terrien sur deux possède désormais un téléphone mobile ayant accès à Internet. Les projections des analystes maintiennent de surcroît des croissances à deux chiffres pour les années à venir tant pour Internet que les médias sociaux et le mobile. Même si le paysage digital peut varier d’un continent à un autre (en Chine ou en Russie notamment) ou entre les générations d’internautes, jamais les citoyens n’ont autant disposé de moyens d’information et d’expression là où les médias ont longtemps été les principales courroies de transmission, de compréhension et de mobilisation du corps sociétal. Cette désintermédiation des flux de contenus informationnels n’est plus une vision de laboratoire prospectif mais bel et bien, une réalité ancrée solidement dans les usages des individus au quotidien.

Paradoxalement, la transformation digitale des entreprises et des marques ne progresse pas vraiment à la même cadence que les usages. Mis à part quelques pionniers agiles, nombreuses sont celles qui restent rivées sur une approche pyramidale où le Web social est certes un canal quasi incontournable en 2015 mais trop souvent encore perçu comme l’extension numérique de l’antédiluvienne boîte à outils des communicants. En 2016 et au-delà, il va pourtant falloir très sérieusement presser le pas, faire évoluer les états d’esprit autant que les stratégies et intégrer le fait indéboulonnable que discours et réputation corporate ne sont plus l’apanage exclusif de l’entreprise et ses porte-paroles officiels. Auparavant réceptifs passifs, les publics et les parties prenantes ont maintenant accès à une chambre d’écho dans laquelle ils ne se privent pas de faire valoir leurs opinions, leurs louanges et leurs critiques envers telle ou telle organisation. La tectonique communicante n’a jamais été aussi mouvante et 2016 ne dérogera pas à la règle. Voici pourquoi en 8 tendances et 1 conclusion.

Tendance n°1 : Confiance ébréchée, réputation en danger …

T2016 - Slide Edelman 1Nul ne pourra prétendre qu’il ne savait pas. Pour s’en convaincre, il suffit de se référer au remarquable et toujours très riche Trust Barometer que l’agence de communication américaine Edelman a mis en place depuis 15 ans pour mesurer l’évolution de la confiance et de la crédibilité que l’opinion publique accorde à différentes catégories d’acteurs de la société dans une trentaine de pays du monde entier. Hormis quelques sporadiques rebonds conjoncturels, l’indice de confiance s’évapore année après année aussi sûrement que le permafrost des calottes glaciaires fond sous l’effet du réchauffement climatique. Les premiers à avoir vu reculer leurs niveaux de crédibilité ont été les institutions politiques et les médias avant que les entreprises et même les organisations non-gouvernementales ne subissent à leur tour une défiance grandissante depuis 2 à 3 ans.

Dans son introduction du rapport de synthèse de l’édition 2015 du Trust Barometer, Richard Edelman, PDG de l’agence éponyme, tire même la sonnette d’alarme. Depuis que le baromètre existe, seulement 6 des 27 pays passés au crible enregistrent un taux de confiance supérieur à 60%. Pour le reste, c’est la méfiance qui prime particulièrement à l’égard des entreprises, y compris celles issues des nouvelles technologies qui clament pourtant sans cesse haut et fort œuvrer « pour un monde meilleur ». Le premier vecteur de cette répulsion record est d’ailleurs le changement trop rapide induit par le secteur high-tech. Autrement dit, 51% des sondés mettent en cause cette fameuse notion d’ « uberisation » de l’économie chère à Maurice Lévy et ceux qui lui ont emboité le pas. Pour 54% du panel, l’innovation est même muée avant tout par l’avidité financière, soit deux fois plus que ceux qui y voient un réel désir d’améliorer le monde et la vie des gens. A noter qu’aucun secteur n’échappe à ce scepticisme profond et notamment deux industries, l’agroalimentaire (30% de confiance) et l’énergie (40%).

T2016 - Slide Edelman 2Si l’on regarde un peu plus en détails les résultats du baromètre 2015, on s’aperçoit que la courbe de défiance adressée aux entreprises épouse totalement celle qui concerne cette fois les personnes représentant ces dernières, à commencer par le PDG lui-même crédité d’un 46% de confiance alors que les employés parviennent à arracher la moyenne avec 52%. Quant à l’expert technique de l’entreprise, il s’en sort mieux avec 67% de crédibilité. Il n’en demeure pas moins que ces scores demeurent inférieurs à d’autres acteurs pourtant moins légitimes à première vue mais jugés dignes de confiance comme les proches (72%), un expert universitaire (70%) ou encore une personne comme moi (63%). Un glissement de l’autorité (au sens crédibilité du terme) et du statut qui était déjà présent dans les précédents baromètres mais qui ne cesse de se confirmer au gré des enquêtes.

Tendance n°2 : Prise de conscience en cours mais encore du chemin à parcourir

Dans ce contexte d’inexorable défiance souvent teintée d’exigences supplémentaires (sociétales, environnementales, sociales, éthiques, etc), l’enjeu de la réputation n’en en devient que plus sensible encore pour les entreprises et les marques. Ceci d’autant plus qu’une étude du Forum économique mondial en 2013 estimait qu’en moyenne, 25 % au moins de la valeur d’une entreprise serait liée à sa réputation. Ce risque apparaît d’ailleurs très nettement dans une autre étude réalisée début 2014 par le cabinet Deloitte et Forbes Insights. 300 dirigeants de tous les secteurs industriels et de toutes les zones géographiques avaient été interrogés sur les zones à risque concernant leur entreprise. 87 % d’entre eux citaient alors le risque de réputation comme « très important » ou « extrêmement important » pour leur organisation. Parmi les causes potentielles de risque réputationnel, on retrouve évidemment les items les plus « classiques » comme la fraude, la corruption ou encore les accidents industriels et les brèches de sécurité informatique. Mais les dirigeants sondés ont également ajouté les relations parfois conflictuelles avec les tierces parties. Tout récemment, l’assureur AON a aussi effectué une vaste enquête dans 60 pays et auprès de 1400 professionnels du monde de l’entreprise. Plus de la moitié répond invariablement que le risque réputationnel demeure la chausse-trappe majeure de toute organisation.

T2016 - FBQu’il s’agisse en effet d’ONG, d’associations de consommateurs ou autres groupes d’action, ceux-ci tiennent de plus en plus pour responsables les entreprises en termes de contrôle de leur filière industrielle (par exemple le secteur textile qui continue de sous-traiter la fabrication de ses produits dans des pays où les conditions des travailleurs – voire des enfants – sont misérables) mais aussi à propos de leur comportement.

A cet égard, les réactions qu’ont eues de nombreux internautes envers les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) à la suite des dramatiques attentats de Paris en novembre 2015, sont symptomatiques de cette pression sans relâche exercée sur les entreprises. Les 4 géants américains avaient mis en place des outils de communication et/ou affiché publiquement leur soutien aux couleurs de la France. Ces louables initiatives leur valurent pourtant une volée de bois vert sur les médias sociaux où les socionautes ont ironisé de manière mordante sur la politique de défiscalisation extrême du quatuor pour éviter de payer trop d’impôts dans l’Hexagone qui auraient pu (selon les critiques) aider à financer des nouveaux services de police et de pompiers.

En dépit de ces anecdotes révélatrices d’un air du temps contestataire, le paradoxe persiste à plus haut niveau. S’ils se déclarent conscient des risques réputationnels encourus par leur société, les mêmes haut-dirigeants estiment dans le même temps à 76% que leur réputation est au-dessus de la moyenne. En d’autres termes, ce ne sont pas quelques anicroches ponctuelles qui vont mettre à mal leur capital réputationnel qui est à leurs yeux globalement performant. Les recherches menées par le Reputation Institute devraient pourtant les inciter à un peu plus de pondération et de recul dans leur façon de s’auto-estimer. Selon l’institut américain, seulement 10% des entreprises figurant dans le classement 2015 de leur Global RepTrak® 100 peuvent se vanter de jouir d’une réputation positive dans plus de 6 pays à la fois. Un constat qui souligne bien si besoin était que du côté des parties prenantes, la réputation accordée à une entreprise est nettement plus fluctuante et aléatoire que ne le pensent ceux qui tiennent les rênes des sociétés.

Tendance n°3 : Admettre que la réputation d’une entreprise est l’affaire d’un écosystème collectif

Cet écart de perception sur l’influence avérée ou non de la réputation d’une organisation est révélateur de certaines croyances encore fortement enracinées chez les dirigeants et leurs communicants attitrés. Il est vrai que pendant des décennies, la réputation de telle ou telle entité était globalement moins complexe à entretenir. Au cœur du dispositif réputationnel, il incombait aux relations médias d’une part et au marketing produit d’autre part de forger et d’alimenter l’image que devaient retenir les publics concernés. Dans cette équation largement top-down, unilatérale et maîtrisable, la presse, quelques ONG puissantes ou individus déterminés étaient la plupart du temps les seuls aiguillons à pouvoir venir égratigner plus ou moins fortement la réputation d’une entreprise.

T2016 - VWAvec l’émergence du Web social, la part de voix autrefois largement prépondérante de l’entreprise s’est progressivement retrouvée diluée par une multiplication de prises de parole émanant d’acteurs auparavant démunis de moyens pour se faire entendre fortement, différemment et parfois de façon dissonante ou résolument opposée. Ancien activiste en ligne et aujourd’hui consultant stratégique pour de grands noms du Fortune 500, Tom Liacas a vu le rapport de force réputationnel s’inverser au fil des années aux profits de ces acteurs issus de la société civile. Avec une conséquence majeure : l’entreprise n’est plus maîtresse à 100% de ses propres enjeux réputationnels. Pour s’en convaincre, il suffit de se référer à la grave crise qu’affronte actuellement le groupe Volkswagen depuis qu’il a fini par avouer en septembre 2015 avoir triché sur les taux réels d’émissions de gaz polluants. En l’espace de quelques jours, le mythe du diesel « vert » et de la qualité automobile allemande a été pulvérisé par l’ampleur du scandale que le Web social n’a pas manqué d’amplifier à coups de pastiches publicitaires, de pétitions en ligne, de plaintes consommateurs, de manifestations dans les concessions, etc. Dix ans plus tôt, une telle filouterie aurait bien évidemment fait la Une des médias mais serait restée cantonnée dans la sphère médiatique et les tribunaux le cas échéant. A l’heure actuelle et bien que la couverture médiatique se soit temporairement amoindrie, l’empreinte digitale de la réputation du constructeur allemand est catastrophique. Tapez « Volkswagen » dans Google et ce dernier vous propose aussitôt l’association de mots « Volkswagen + scandale ». Sans parler des parties prenantes qui elles maintiennent la mobilisation au maximum sur la Toile afin que le géant automobile paie sa forfaiture réputationnelle.

Or, toutes ces actions, ces initiatives et ces contenus en ligne concourent désormais à nourrir une réputation nettement moins monolithique et contrôlée que par le passé. Tout le capital sympathie de la marque accumulé à travers notamment ses spots publicitaires décalés et humoristiques a été de plus largement dilapidé avec la révélation des moteurs truqués. Pis, il a même été utilisé à charge par les parties prenantes pour souligner encore plus fortement la tromperie orchestrée depuis des années par Volkswagen. Pour Tom Liacas, la maturité désormais acquise des médias sociaux permet à ce qu’il appelle des « SuperStakeHolders » (littéralement des « super parties prenantes ») de venir bousculer la donne réputationnelle grâce à une capacité inégalée d’agir vite et de s’appuyer sur le pouvoir collectif de leurs supporters pour impacter une réputation d’entreprise. A la lumière de ce nouveau contexte, il apparaît urgent que les dirigeants d’entreprise et les communicants intègrent le fait que la réputation de leur entreprise est devenue une alchimie collective et non plus réduite à un simple plan média et quelques bricoles digitales supplémentaires pour se donner une touche « hype ».

Tendance n°4 : D’abord connaître le « contrat social » de son écosystème

T2016 - Digital-Social-Contract-Puisque les publics de l’entreprise contribuent dorénavant à nourrir la réputation de celle-ci et lui confèrent (ou pas) leur confiance, cette dernière a tout à gagner à mieux les connaître. L’assertion peut sembler être d’une évidence cristalline, voire un enfonçage caractérisé de porte ouverte.

Pourtant, à observer nombre de stratégies de communication mises en place, on s’aperçoit que la cartographie des communautés en lien avec l’entreprise et ses produits est fréquemment une étape carrément zappée (souvent parce qu’on estime déjà bien connaître ses cibles) ou alors réduite à l’installation d’un logiciel de détection d’influenceurs. Dans les deux cas, il s’agit d’une funeste erreur pouvant même conduire à des quiproquos aux conséquences négatives. Prendre le temps d’identifier les acteurs, de cerner leurs centres d’intérêt et leurs motivations, de comprendre les liens et les interactions sont autant d’actions précieuses qui limitent les impairs. S’il y a encore 4 ou 5 ans, on pouvait espérer se lancer à l’aveuglette et avancer par itération en ouvrant une page Facebook ou un blog corporate, une telle approche n’est plus possible aujourd’hui.

C’est d’ailleurs ce que martèle avec pertinence l’agence Social@Ogilvy en publiant en octobre dernier, un édifiant livre blanc intitulé « The Digital Social Contract ». Le message clé est limpide. Avant même d’envisager la création de contenus et d’entrer en dialogue, les marques doivent traiter les acteurs présents pour ce qu’ils sont et font tout en respectant les codes propres à chaque environnement (Sur Facebook, on ne s’exprime pas exactement pareil que sur Twitter, etc) et en apportant ensuite des contenus à réelle valeur ajoutée auprès des parties prenantes ciblées. C’est à cette condition sine qua non que la marque deviendra légitime auprès de ses publics qui n’entendent plus forcément se faire dicter les messages sans y apporter eux-mêmes leur grain de sel. Ce « contrat social » requiert effectivement l’acceptation pleine et entière d’un profond renversement de paradigme où auparavant la marque imposait le tempo et le ton et où aujourd’hui, elle doit gagner la confiance de ses communautés. Les entreprises qui persisteront à bâtir des démarches sur des postulats biaisés ou simplement parce qu’elles sont détentrices de la marque, risquent en revanche de connaître parfois de sévères gueules de bois réputationnelles.

Tendance n°5 : Du contenu mais pas n’importe quoi, ni n’importe comment.

T2016 - ContentC’est un fait largement prouvé. Les internautes sont friands de contenus qu’ils soient à caractère ludique, informationnel, serviciel ou collaboratif. En août 2015, l’institut d’études américain Marketing Sherpa a questionné 1176 consommateurs sur leur usage des médias sociaux et les relations éventuelles qu’ils entretiennent avec les marques. Il ressort d’abord que 85% ont d’ores et déjà intégré le Web social dans leur quotidien et que 58% d’entre eux suivent notamment des marques. Sans réelle surprise, l’aspect consumériste prédomine avec la recherche de promotions exclusives, de réductions de prix, de produits en série limitée et d’informations conseil plus détaillées avant de passer à l’achat. Néanmoins, deux autres aspects émergent de manière non-négligeable parmi les motifs qui poussent aussi à suivre une marque : la possibilité d’entrer en contact et de dialoguer (soit pour un problème, soit pour un conseil) et le besoin d’en savoir plus sur les activités de l’entreprise en ce qui concerne la responsabilité sociétale et environnementale. Avec à la clé, une exigence de preuves et pas uniquement de promesses enjolivées.

Ensuite, au-delà des formats éditoriaux (texte, vidéo, datavisualisation, e-book, podcast, etc) et des espaces d’interaction à définir en fonction des profils générationnels (plus de blogs pour le B2B, plus d’Instagram pour la génération Y, plus de Twitter pour les influenceurs, etc), les communautés ne veulent pas revivre sur le Web le syndrome de la boîte à lettres bourrée à ras-la-gueule de prospectus en tout genre. Le contenu doit être impérativement utile, varié, en rapport direct avec la marque et partagé à un rythme raisonnable. Si l’un ou plusieurs de ces facteurs viennent à ne pas être respectés par la marque, la sanction tombe sous forme de désabonnement ou même de commentaires peu amènes comme le montre l’étude publiée en octobre 2015 par l’agence de RP digital Buzzstream et l’agence de data marketing Fractl (1). Là encore, le constat semble tomber sous le sens d’autant que l’internaute toujours plus connecté est soumis à un bombardement informationnel qui frôle quelquefois l’overdose. L’enjeu est par conséquent clair : privilégier la qualité des contenus en intégrant les attentes des publics visés plutôt que s’adonner à un stakhanovisme éditorial qui n’augmentera pas pour autant la part de voix, ni l’influence de la marque.

Tendance n°6 : Emerger et durer dans la bataille de l’attention

T2016 - Attention WebL’attention de l’internaute devient effectivement une denrée précieuse sur le Web social d’aujourd’hui. L’infobésité en matière de contenus n’en finit plus d’aligner les terabits mis à disposition des publics. Si l’on prend l’exemple de la vidéo, ce sont chaque jour plus de 4 milliards de vus qui sont enregistrés sur Facebook et près du double encore sur YouTube (8 milliards de vus). Dans cette avalanche ininterrompue de contenus, le reach organique de Facebook s’est d’ailleurs tassé à tel point qu’un contenu publié voit désormais sa portée de plus en plus réduite (sauf à soutenir l’effet de traîne avec l’achat de bannières publicitaires sur la plateforme de M. Zuckerberg !). L’outil de mesure Edgerank Checker confirme cette érosion qui est passée de 16% en février 2012 à 6,5% en mars 2014. D’autres études jugent même que le reach organique est tombé dans certains cas jusqu’à 2% !

A cette surabondance éditoriale sous laquelle croule l’internaute, un autre facteur crucial s’ajoute en termes de visibilité : le degré d’attention de ce dernier. Et là, les chiffres ont de quoi faire froid dans le dos de tout éditeur de contenus cherchant à capter l’attention de son public. En mars 2014, un sacré pavé a été jeté dans la mare par Chartbeat, un éditeur américain de logiciels de mesures de l’audience digitale. Grâce à une étude comportementale effectuée en ligne à travers plus de 2 milliards de pages visitées pendant 1 mois (2), Chartbeat a mis en évidence que 55% des internautes accordent en moyenne moins de 15 secondes d’attention active à une page. Un temps qui se rétrécit même à 8 secondes pour les plus jeunes générations. Conséquence : l’efficacité d’un contenu se juge de moins en moins à son taux de clic qu’au temps de lecture (ou visionnage) accordé.

T2016 - Attention Web 2Ce n’est d’ailleurs absolument pas par hasard que certains médias anglo-saxons viennent de réviser leur modèle de tarification des espaces publicitaires vendus aux annonceurs sur leurs sites. C’est notamment le cas de The Economist. Partant du principe que la diffusion des annonces ne garantissait pas pour autant l’attention des internautes, l’hebdomadaire économique anglais a décidé de mettre en place une offre où les marques ne sont facturées que si leurs publicités obtiennent plus de 5 secondes de vue active. Une initiative qui est loin d’être esseulée. Plus tôt en 2015, The Financial Times avait également adopté cette approche basée sur l’attention. En novembre dernier, c’est au tour du Guardian de s’engager à ne facturer que les contenus publicitaires vus par des humains et non par les robots qui sévissent sur la Toile pour faire automatiquement grimper l’addition de l’annonceur.

Les entreprises et les marques n’échappent pas à cette problématique de l’attention de l’internaute. Non seulement, elles doivent parvenir à se différencier par rapport aux concurrents évoluant sur la même thématique éditoriale mais elles doivent aussi parvenir à se glisser dans le temps global que chaque internaute accorde à sa navigation quotidienne sur le Web. D’où l’impérieuse nécessité évoquée précédemment de bien connaître ses publics et de proposer un contenu original, qualitatif et même innovant (écriture transmédia, réalité virtuelle et augmentée, émoticônes, etc) pour avoir une chance solide d’entretenir une relation durable et de gagner des internautes acquis à la marque autrement que par un clic ou un simple partage. Sans oublier non plus de cultiver sa personnalité de marque ou d’entreprise en parlant vrai, en donnant de l’aspérité plutôt que de vouloir tout « lisser » de crainte de subir des critiques. Quand l’ennui guette, c’est le poison qui s’instille dans la communication comme dans une relation humaine où les banalités et la routine s’installent.

Tendance n°7 : Le discours réputationnel devient de plus en plus collaboratif en interne …

N’en déplaise aux tenants psychorigides du message contrôlé à tout prix, le discours corporate ou de marque relève désormais plus d’un assemblage d’expressions collectives que d’un message savamment poli et unifié au trébuchet des us et coutumes de l’entreprise puis délivré uniquement par quelques porte-paroles dûment appointés et formés comme tels. Or, dans cette réputation devenue collaborative, les salariés sont plus que jamais des chevilles ouvrières qu’il convient de ne pas négliger. Longtemps parent pauvre de la communication d’entreprise, la communication interne ne peut plus décemment se résumer à quelques outils corporate délivrant la bonne parole. Même l’implémentation d’un réseau social d’entreprise ne suffit pas à lui seul à combler les carences relationnelles du corps sociétal interne. Cela implique donc que les collaborateurs disposent d’une vision claire de la stratégie de l’entreprise et pas seulement par le truchement des RSE et des valeurs corporate. Longtemps tarte à la crème RH qu’on badigeonne dans les livrets d’accueil et les parcours d’intégration, les valeurs doivent être véritablement incarnées par le top management pour qu’ensuite, les collaborateurs s’en emparent à leur tour.

T2016 - Big-Data-TransparencyCette association plus étroite des salariés à la vie et à la connaissance de leur entreprise devient fondamentale à l’heure où ces derniers n’ont de surcroît pas attendu le feu vert du top management pour s’exprimer sur les réseaux sociaux à propos de leur société (souvent en bien contrairement aux idées reçues). A cet égard, la SNCF est un exemple probant où coexistent sur la Toile des espaces estampillés et des blogs personnels de cheminots qui parlent de leur métier sans que cela nuise pour autant à la réputation globale de l’entreprise. Dans l’ouvrage collaboratif de l’Institut Montaigne intitulé« Et la confiance, bordel ? » paru en 2014, la présidente de GE France, Clara Gaymard est sans ambages sur ce point (3) : « L’entreprise a aussi intérêt, si elle souhaite attirer des jeunes, à créer un esprit de communauté au travers des réseaux sociaux […] Elle doit se dévoiler de l’intérieur : montrer à l’externe comment elle se vit au quotidien. Un jeune, avant de rejoindre une entreprise, va d’abord se renseigner sur elle sur Internet. Cet esprit communautariste devra être associé à une certaine forme de transparence : voici ce que nous sommes, ce que nous faisons, ce que nous aimons ». Ceci est d’autant plus vrai qu’une étude réalisée par Linkedin en 2015 a prouvé que seulement 2% des collaborateurs partageant les contenus que leur organisation publie, génèrent à eux seuls 20% de l’engagement total autour de l’entreprise.

Il est par conséquent plus que temps de considérer (enfin) les collaborateurs comme de véritables ambassadeurs relais et antennes de la réputation de l’entreprise (à condition que cette présence digitale s’exerce de façon volontaire et non contrainte par l’employeur). Pour Mark Burgess, président de l’agence Blue Focus Marketing et co-auteur du livre « The Social Employee », cette force de frappe est positive pour tous (4) : « L’entreprise bénéficie d’une communication plus authentique et les employés construisent leur marque personnelle. Avec au cœur de cette approche, trois piliers culturels essentiels pour activer ces pratiques : confiance, authenticité et transparence ».

Tendance n°8 : … mais également en externe avec les communautés en ligne !

Exigence accrue de transparence, force de la preuve pour crédibiliser un engagement ou encore désir d’être entendu (au sens premier du terme : compris) dans ses aspirations, tout est pratiquement dit et répété à longueur de temps dans les ouvrages professionnels, les médias ou encore les blogs spécialisés. L’opinion publique exige clairement d’être associée d’une manière ou d’une autre. Le succès de places de marché comme eBay, Yelp et Airbnb reposent par exemple en grande partie sur les contributions de ses utilisateurs sous forme de commentaires par rapport à leur expérience vécue en recourant à tel ou tel service. Même s’il existe évidemment des cas patents de triche avec faux profils et commentaires préfabriqués, il n’en demeure pas moins que l’expression des avis ne peut plus être ignorée.

T2016 - CommunitiesC’est même devenu le creuset fondateur de nouveaux sites comme Glassdoor ou Avostart. Le premier est une plateforme d’offres d’emplois créée aux USA en 2008 et débarquée en France fin 2014. Outre proposer des offres d’emploi, Glassdoor recueille les avis de millions de salariés sur la façon dont ils ont été recrutés et les salaires dans leurs entreprises – critères passés en revue comme le salaire, les primes, l’évolution de carrière, le processus de recrutement ou les avantages sociaux. Aujourd’hui, Glassdoor revendique dans le monde 18 millions de visiteurs uniques par mois dans le monde et 300 000 entreprises référencées. Le second est également une plateforme ouverte en novembre 2015 qui offre la possibilité aux internautes de contacter tous les avocats de France, soit 65 000, en fonction de leur géolocalisation et leur domaine de compétences. Par ailleurs, les internautes peuvent laisser leurs avis sur les avocats (prix des honoraires, disponibilité, expérience…) et ont aussi la possibilité de poser des questions de façon anonyme ; les réponses étant accessibles à toute la communauté des utilisateurs. L’objectif affiché pour les fondateurs d’Avostart est de favoriser la transparence de ce marché.

Une chose est certaine aujourd’hui. Disposer d’une communauté bienveillante en ligne est un atout réputationnel considérable. Récemment, c’est Starbucks qui en a fait l’expérience ! A l’approche des fêtes de fin d’année, un évangéliste chrétien extrémiste s’est attaqué à la marque au motif qu’elle ne respectait plus la tradition chrétienne du pays avec son édition spéciale de gobelets pour Noël. L’homme a posté sur Facebook une vidéo ultra-virulente qui sera vue plus de 16 millions de fois et lancé un hashtag spécifique sur Twitter pour concentrer les critiques contre la célèbre enseigne de cafés. Mal lui en a pourtant pris. De très nombreux internautes ont alors spontanément réagi en moquant l’énervé et en détournant son hashtag pour réitérer le fait que Starbucks est une entreprise respectueuse et œcuménique ! Un résultat pas si étonnant lorsqu’on sait par ailleurs que Starbucks communique activement depuis 2008 avec ses communautés sur les réseaux sociaux et son site collaboratif « My Starbuck Idea ».

Conclusion : Attention aux lignes de fracture si ce qui précède n’est pas intégré !

T2016 - SNCFDisposer de relais communautaires en ligne objectifs et bienveillants devient dorénavant un impératif pour la réputation d’une entreprise ou d’une marque. Cela n’immunise pas évidemment contre les critiques ou les controverses potentielles. En revanche, cela permet d’avoir un matelas réputationnel beaucoup plus étendu que le simple discours officiel corporate. Attention ! Il ne s’agit pas pour autant d’embrigader des alliés à tout prix mais simplement d’avoir des acteurs qui vous connaissent, vous apprécient pour vos activités et qui sont prêts à rectifier le tir ou à monter au créneau en cas de crise aigüe. Lors de la catastrophe ferroviaire de Brétigny-sur-Orge en juillet 2013 qui a coûté la vie à 7 personnes (l’enquête établira par la suite la responsabilité de la SNCF), la compagnie de chemins de fer a reçu des soutiens spontanés d’internautes n’hésitant pas à « clasher » d’autres internautes se plaignant du retard d’un train alors même que la crise était à son plus haut point.

Aujourd’hui, des marques comme Starbucks, Lego, Nutella, Ikea notamment peuvent se targuer d’avoir des communautés extrêmement actives et passionnées par la marque et ses produits. Durant la polémique autour de l’huile de palme au sujet de laquelle Nutella a elle-même communiqué de manière pro-active et ouverte, les fans ont également contribué au débat en contrant les arguments de certains jusqu’au-boutistes de l’équilibre nutritionnel. Au final, la marque en est sortie grandie même si persistent çà et là des opposants irréductibles.

Les communautés en ligne ne doivent donc plus être appréhendées sous l’angle unique de consommateurs en puissance mais également d’alliés de circonstance. Ce point est d’autant plus critique que les lignes de front digitales essaiment à mesure que les usages se multiplient. L’excellente chronique mensuelle des bad buzz effectuée par le chercheur universitaire belge Nicolas Vanderbiest est là pour en attester. Il suffit parfois d’un employé mécontent, d’un consommateur frustré ou d’associations particulièrement militantes et prosélytes pour qu’une entreprise se fasse aussitôt rudoyer sur les réseaux sociaux. Bien que ces poussées de fièvre retombent généralement aussi vite qu’elles sont apparues, d’autres laissent des traces numériques plus handicapantes pour justifier des attaques réputationnelles autrement plus organisées.

Les lanceurs d’alerte ont par exemple accès à des plateformes sécurisées et anonymisées comme celle créée en février 2015 par la RTBF, Le Monde, Le Soir et La Libre Belgique. Baptisée « De Source Sûre », le site permet à des lanceurs d’alerte d’envoyer des informations confidentielles à des médias de façon anonyme et intraçable. Si le lanceur d’alerte accepte d’être recontacté, le journaliste ayant reçu les documents peut dialoguer avec lui en ligne via une messagerie elle-même sécurisée et anonyme.

T2016 - pétition Crédit-AgricoleLes pétitions en ligne sont également devenues des leviers puissants de mobilisation. Bien que toutes n’aboutissent pas systématiquement, certaines ont en revanche réussi à faire plier des entreprises comme par Change.org qui a accueilli les plaintes de clients du Crédit Agricole et a réussi à agglomérer des dizaines de milliers de signatures devant lesquelles la banque a fini par céder et accepter de revoir les dossiers des plaignants.

Enfin, il y a le stade ultime où l’entreprise se retrouve confrontée soit à des ONG (Greenpeace étant à cet égard celle qui sait le mieux tirer parti des mobilisations online et offline), soit à des cyber-attaques qui se traduisent par des vols de données aux conséquences réputationnelles terribles (l’affaire du site de rencontres adultères Ashley Madison est à ce titre symptomatique), des défaçages de sites de marque par des opposants qui en prennent le contrôle pour propager leur propre rhétorique, des campagnes d’intox comme celle qui a eu lieu lors de l’OPA du groupe chinois Fosun sur le Club Med ou pire, des opérations d’astroturfing qui consistent à simuler des effets de foules sur les médias sociaux pour influencer et/ou détruire la réputation d’une entité ou d’une personne.

Toutes ces éventualités ne surviennent évidemment pas tout le temps mais elles constituent autant de scénarios plausibles de crise grave où la réputation est pilonnée et la confiance rompue. Or, si d’aucuns persistent en 2016 et au-delà à appliquer les règles vermoulues et obsolètes (et parfois manipulatoires) de la communication d’antan, ceux-ci sont quasi assurés que les dégâts à venir seront sévères et de surcroît extrêmement coûteux pour le portefeuille de l’entreprise. En dépit de sa toute-puissance sur le marché automobile depuis 15 ans, le groupe Volkswagen se retrouve par exemple aujourd’hui avec une crise sans précédent, peu de monde pour les défendre (surtout sur le Web social) et une ardoise estimée pour l’instant entre 30 et 78 milliards d’euros. D’où l’importance d’investir quand il est encore temps, de réviser ses approches stratégiques et d’intégrer les communautés internes et externes pour protéger la valeur de sa marque et de sa réputation.

Sources

– (1) – Sébastien Lecourt – « Pourquoi les internautes se désabonnent-ils des marques sur les médias sociaux ? » – Siècle Digital – 29 octobre 2015 –
– (2) – « Mesdames, messieurs, votre attention s’il vous plaît ou le défi n°1 des communicants » – Le Blog du Communicant – 25 avril 2014
– (3) – Institut Montaigne – « Et la confiance, bordel ? » – Editions Eyrolles – Août 2014
– (4) – Kimberley A. Whitler – « 16 Marketing Predictions For 2016 From The C-Suite » – Forbes – 7 novembre 2015



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