Hyperloop : Comment une stratégie de communication est-elle devenue un levier d’action communautaire pour développer une entreprise du futur ?

A moins d’être féru de technologie futuriste ou fan revendiqué de l’entrepreneur américain Elon Musk (plus connu pour avoir créé la marque de voitures électriques Tesla), Hyperloop ne vous évoque probablement rien. Pourtant, ce projet de capsule de transport de passagers et de biens à la vitesse du son entre Los Angeles et San Francisco, est un cas d’école en matière de stratégie de communication d’entreprise. Au départ, il s’agit d’un rêve à la Jules Verne qui peu à peu grâce à une communication calibrée, monte en puissance en mobilisant des communautés spécialisées et des partenaires industriels avec pour objectif de devenir opérationnel en 2020. Enseignements clés d’un modèle qui peut inspirer beaucoup de marques et de sociétés.

Lors de la 3ème édition de la conférence des Napoléons en janvier 2016 à Val d’Isère, Hyperloop a été sans conteste l’une des attractions les plus fascinantes pour les 300 participants. Dirk Ahlborn, l’actuel PDG de cette société lancée en 2013 par le visionnaire Elon Musk, a en effet expliqué à l’assistance comment une idée futuriste a petit à petit pris corps et convaincu des centaines de personnes et des entreprises renommées de s’investir pour un objectif : faire naître un hybride de monorail à très grande vitesse et de capsule spatiale habitable qui reliera à terme d’immenses mégapoles urbaines en dépassant le mur du son. Dans cette aventure hors normes, la communication est l’une des chevilles ouvrières d’Hyperloop. Avec des points d’ancrage très malins qui pourraient bien préfigurer les stratégies de communication de demain.

Une mise sous tension futuriste du public …

Hyperloop - Alpha DesignHyperloop a surgi pour la première fois dans l’actualité en juillet 2012. A l’époque, Elon Musk participe à une causerie organisée par le site Web d’informations technologiques Pando Daily. Déjà notoirement connu pour avoir été le co-fondateur du système de paiement électronique PayPal, de la voiture de sport électrique Tesla ou encore de la société astronautique Space X, l’homme créé la sensation lors de l’entretien en révélant qu’il réfléchit à un tout nouveau projet.

Elliptique tout en étant imagé dans sa description, il parle d’un système de transport collectif à ultra grande vitesse et peu gourmand en énergie qui serait « un croisement entre un Concorde et un engin ferroviaire évoluant sur une table d’air-hockey ! » (1) et qui relierait Los Angeles à San Francisco au double de la vitesse d’un jet et pour un tarif bien moindre qu’un vol aérien. De quoi mettre en haleine le public !

Hyperloop - Deuxieme tweet Elon MuskPendant plusieurs mois, Elon Musk laisse ensuite planer le mystère autour d’Hyperloop. Face à la presse qui lui pose régulièrement des questions, il recentre systématiquement son propos sur Tesla et Space X, ses autres activités du moment. Pour autant, ses ingénieurs travaillent d’arrache-pied en coulisses pour amorcer la deuxième étape de sa stratégie de communication : la matérialisation visuelle de son projet. Celle-ci intervient en deux temps avec cette mise en bouche si caractéristique de la communication d’Elon Musk. D’abord sous la forme d’un tweet publié le 15 juillet 2013 où l’entrepreneur annonce qu’il dévoilera le 12 août le tout premier design de sa capsule révolutionnaire et que les commentaires sont les bienvenus. Juste ce qu’il faut d’intervalle de temps pour que la presse embraye, fasse un large écho et tente de percer avant l’heure les intentions du visionnaire !

… mais avec un contexte concret qui parle à ce même public

Hyperloop - passengers-boarding_1447617272Le jour J, la promesse est tenue. Sur le blog de Tesla, Elon Musk publie un long billet où il précise en substance comment fonctionnera Hyperloop et les bénéfices qu’il procurera aux usagers qui transitent entre Los Angeles et San Francisco. Le tout est assorti d’un exhaustif document détaillant toutes les caractéristiques de la capsule et des infrastructures qui vont de pair.

Avec en prime, les premiers croquis montrant à quoi pourrait ressembler Hyperloop et un premier tracé virtuel de la ligne qui serait empruntée. Le coup médiatique est parfaitement exécuté et la presse américaine accorde une belle couverture à ce nouveau défi de l’enfant terrible de la Silicon Valley.

Pour autant, Elon Musk ne focalise pas sa communication avec une surabondance de détails technologiques qui pourraient au final rebuter ou brouiller la perception du projet par les publics cibles. En lieu et place du défi technologique pourtant bel et bien existant, il préfère contextualiser l’aventure Hyperloop en l’inscrivant dans un débat très actuel : la construction d’une ligne TGV décidée par l’Etat de Californie pour relier … Los Angeles à San Francisco, deux villes régulièrement engorgées par une circulation routière démentielle et la pollution qui va de pair.

D’emblée, il se positionne comme un concurrent nettement plus efficace (30 minutes seulement de temps de trajet), moins gourmand en investissements (6 milliards de dollars contre plus de 10 pour son adversaire ferroviaire) et moins coûteux de 9% en termes de tarif passager, le tout à la vitesse de 1200 km/h contre 350 pour le TGV californien. Et pour achever d’appuyer sa différenciation, Hyperloop met également en avant sa dimension écologique (il fonctionnera à l’énergie électromagnétique et solaire) et sa sécurité maximum pour les usagers et contre les risques sismiques inhérents à la région. Autant d’arguments concrets qui ne peuvent que capter l’attention d’une population très réceptive aux problèmes environnementaux locaux.

Ciblage précis et cadence régulière pour la notoriété

Hyperloop - Print adsAu-delà du challenge novateur que représente Hyperloop, la force de ce projet réside également dans le ciblage très précis des communautés auxquels il entend prioritairement s’adresser. En 2014, alors qu’elle est étudiante en marketing à l’université d’Iowa, Jessica Prinsen s’est penchée en détails sur la mécanique communicante d’Hyperloop.

D’emblée, elle note que ce mode de transport parle en priorité aux personnes qualifiées d’« early adopters », passionnées d’innovation et plutôt aisées. Des catégories qui sont largement répandues autour de la Silicon Valley et des deux villes phares que sont San Francisco et Los Angeles. L’argumentaire déployé tourne autour du temps gagné par rapport aux moyens de locomotion classiques et du rapport qualité/prix/impact environnemental.

A partir de ce périmètre, Hyperloop va alors communiquer à intervalles réguliers en partageant des informations sur ses espaces digitaux et des campagnes publicitaires sur l’avancement du projet mais également en organisant ponctuellement des appels à contribution collaborative que Dirk Ahlborn a définie sous le terme de « crowdstorming » lors de son allocution à la conférence des Napoléons (2) : « L’idée est d’encourager les gens à penser au projet, à vouloir le supporter et pour les plus motivés, à s’y impliquer de manière concrète en apportant leur savoir-faire dans un domaine ». Le levier communautaire a d’ailleurs très bien fonctionné puisque la start-up a reçu plus de 200 candidatures dès le départ. Celles qui étaient retenues, devaient alors préciser le temps qu’elles pouvaient allouer au projet en échange de stock-options d’Hyperloop.

Collaboratif et réseaux pour la réputation

Hyperloop - ContestCe mode de projet collaboratif a fait boule de neige. Les premiers à avoir rejoint Hyperloop ont ensuite parlé à leur tour de ce chantier pas comme les autres et ont ainsi augmenté incrémentalement la réputation de la société.

Aujourd’hui, Dirk Ahlborn revendique plus de 10 000 personnes issues de 22 nations (3) qui travaillent à concrétiser un peu plus chaque jour l’idée lancée par Elon Musk (4) : « Actuellement, nous recevons en moyenne 5 nouvelles candidatures par jour. Plus de 590 investisseurs se sont déclarés intéressés par le projet et nous avons même obtenu le support de grosses entreprises comme Amazon, Microsoft, Boeing, etc ».

Pour entretenir la dynamique, Hyperloop lance ponctuellement des concours à destination de différents publics cibles. En octobre 2015 par exemple, Hyperloop a ouvert une compétition via son compte Twitter à l’intention des écoles d’étudiants en technologie et des ingénieurs indépendants pour imaginer le design de la capsule dont les tests opérationnels devraient démarrer sur une courte distance géographique dans le courant de l’année 2016 ou 2017. Plus de 1200 dossiers collectifs ont été adressés parmi lesquels Hyperloop a retenu 318 équipes en provenance de 16 pays et dont plus de la moitié provient des universitaires (5).

Du rêve à la réalité ?

Getty Image

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Si la communication d’Hyperloop est indéniablement bien rôdée, peut-elle pour autant aboutir un jour à une capsule qui serait en exploitation commerciale après avoir réussi à générer une dynamique collaborative à travers la planète ? A ceux qui doutent de la faisabilité, voire de la rentabilité du projet, Elon Musk répond invariablement avec des dates précises comme autant de points de rendez-vous dans le futur pour venir vérifier sur pièces qu’Hyperloop n’est pas un « délire communautaire techno ».

Ainsi, un premier tronçon d’essai de 8 kilomètres a commencé à sortir de terre à Quay Valley, une petite cité 100% énergies renouvelables également en cours de construction qui sera située entre Los Angeles et San Francisco, non loin de l’autoroute « Interstate 5 ». L’ensemble devrait fonctionner pour 2018 avec autour des espaces hôteliers et un parc d’attraction pour les visiteurs qui viendront voir circuler le premier prototype grandeur nature d’Hyperloop.

Quoi qu’il en soit, l’échéance d’une exploitation opérationnelle en 2020 demeure à l’agenda. Dirk Ahlborn l’a confirmé aux Napoléons (6) : « 22 villes du monde entier se sont déjà montrées intéressées par le concept d’Hyperloop. Le premier ne verra peut-être pas le jour aux USA mais il verra bel et bien le jour. Peut-être du côté de l’Asie où l’acquisition de terrains est plus abordable ». Toujours est-il que la couverture médiatique ne se dément pas. Le 6 janvier 2016, CNN Money a même dépêché des journalistes sur place pour juger de visu l’évolution du chantier de Quay Valley. Pendant ce temps-là, Dirk Ahlborn continue de s’appuyer sur ses communautés en ligne (7) : « Nous utilisons Internet pour recueillir des idées et des opinions et tout ce qui peut aider à faire grandir et améliorer l’entreprise au fil du temps ». Et si l’on en juge d’après le fil Twitter, Hyperloop n’a pour l’instant rien d’une chimère mais plutôt d’une authentique communauté à l’œuvre !

Sources

– (1) – Nathan Pensky – « A Fireside Chat with Elon Musk » – Pando Daily – 12 juillet 2012
– (2) – Benoît Zante – « Comment Hyperloop imagine l’entreprise du futur » – Petit Web – 25 janvier 2016
– (3) – Keynote de Dirk Alhborn le 14 janvier 2016 à la 3ème edition des Napoléons
– (4) – Ibid.
– (5) – Caddie Thompson – « More than 300 teams have a chance to win Elon Musk’s Hyperloop pod contest » – Business Insider UK – 6 octobre 2015
– (6) – Keynote de Dirk Alhborn le 14 janvier 2016 à la 3ème edition des Napoléons