Comment Netflix décline-t-il une stratégie de communication atypique ?

En à peine plus d’une décennie, Netflix est passé de 7 millions d’accros américains à son catalogue de films, documents et séries à 93 millions de spectateurs à travers le monde entier qui trépignent sans cesse un peu plus à chaque fois que Netflix annonce des nouveautés fracassantes avec un style « l’eau à la boucle » qui caractérise bien la marque. En plus de complètement chambouler le marché de la location vidéo puis plus globalement celui de la consommation de médias en ligne, la firme de Los Gatos en Californie a également bâti une stratégie de communication qui bat en brèche certaines approches communicantes traditionnelles du secteur des médias et de la production.

La communication est un pilier stratégique majeur dans la conquête que Netflix poursuit tout autour de la planète pour convaincre encore et toujours plus d’abonnés de profiter de ses services et faire ainsi grossir sa communauté incontournable d’aficionados. Pourtant, au départ, nombreux étaient ceux qui doutaient de la capacité de cet acteur hors normes à s’inscrire dans la durée. D’aucuns pointaient un catalogue vieillissant, pas forcément adapté à certains publics spécifiques et des flops assez retentissants comme « Marseille », la série produite par Netflix. Force est de reconnaître que les augures se sont plutôt trompés. Rien que sur son marché domestique originel, Netflix affiche dorénavant 49 millions d’abonnés qui représentent environ 43% des foyers américains connectés (1). Or cette performance aux Etats-Unis comme en dehors de ses frontières, ce résultat ne doit rien au hasard mais à l’appui massif d’une stratégie de communication où les journalistes en sont souvent réduits à jouer les faire-valoir. Une révolution dans un secteur où le critique de cinéma a toujours été une figure avec laquelle il fallait composer.

Une communication à rebours de certains fondamentaux

A l’heure où il est précisément question pour les marques et les entreprises de mieux affiner la connaissance de leurs publics et de leur proposer des contenus calqués sur leurs attentes, Netflix a pris le contre-pied de cette approche communicante. Du moins, la marque a inversé le paradigme habituel. Services innovants et expérience spectateur priment en effet sur les contenus qui sont répertoriés dans le catalogue. Cela ne veut pas dire pour autant que Netflix ne prête pas attention à la qualité des séries et films mis à la location en ligne. Mais à la différence d’une majorité de ses concurrents qui mise sur l’aspect exclusif d’une série pour une niche d’abonnés, Netflix a choisi de raisonner globalement et non pas catégorie par catégorie. L’idée étant au final de cumuler une audience de masse même si ensuite, il existe quantité de profils de publics différents dans la base d’abonnés de Netflix. Professeure de communication, des arts de l’écran et des cultures à l’université du Michigan, Amanda Lotz qualifie cette approche de « stratégie de conglomérat de niches » (2) : « Netflix développe des programmes pour environ une douzaine de types d’audiences différentes. Cela va inclure des séries dramatiques compliquées comme « House of Cards », des séries d’action comme « Daredevil », des séries d’horreur comme « Hemlock Grove » et des films exclusifs avec l’acteur populaire Adam Sandler »

Or, l’originalité du plan de communication est que Netflix a pris l’habitude d’annoncer de manière groupée et en même temps, toutes les nouveautés qui vont venir alimenter son catalogue. Peu importe que certains spectateurs soient ou ne soient pas potentiellement intéressés par telle ou telle. L’astuce consiste à susciter un effet de masse partout où opère Netflix dans le monde et induire ainsi la perception d’un catalogue énorme où n’importe quel internaute pourra trouver son plaisir. Un journaliste du secteur témoigne de ce ressenti (3) : « Quand Netflix invite une grande partie de la profession à Berlin pour présenter ses nouveautés, tu as l’impression d’être un investisseur assistant à un colloque sur leur efficacité, pas un journaliste ». En procédant ainsi, Netflix capitalise sur la force de sa marque et se positionne comme un acteur global même si ensuite, il crée et produit des contenus qui n’ont parfois absolument rien à voir les uns avec les autres. En toile de fond et aux yeux du spectateur, Netflix doit rester cette plateforme aux ressources gigantesques en termes de contenus. C’est ainsi une façon habile de lui faire sentir qu’en s’abonnant, il en aura forcément pour son argent. Autant dire que dans cette stratégie de communication, les journalistes et les critiques du secteur grincent des dents comme le New York Times (4) : « Quand on est préoccupé par sa réputation de premier pourvoyeur de programmes de prestige à la télévision, il serait heureux de regarder de plus près à quoi est attribué le label Netflix Original ».

Le formidable relais des réseaux sociaux

Pour l’instant, Netflix n’a guère cure des agacements de la presse et ne dévie pas de stratégie de communication qui verse dans le massif pour ensuite s’adresser en priorité à ses abonnés. Des abonnés que le géant américain du streaming vidéo cajole non seulement en voulant proposer un catalogue qui les incite à rester fidèles au service mais aussi en jouant sur les réseaux sociaux, de l’effet levier d’influence que cette communauté de 93 millions d’abonnés peut exercer. Pour susciter la conversation en ligne, Netflix a donc pris le parti de mettre en ligne l’intégralité d’une nouvelle série ou d’une nouvelle saison. C’est d’ailleurs à l’entreprise de Los Gatos que l’on doit l’apparition du néologisme anglais, le « binge watching » (en écho au binge-drinking anglosaxon qui consiste à boire le plus possible en le moins de temps possible). Un pari qui fonctionne là où d’autres diffuseurs préfèrent séquencer dans le temps le déroulé des différents épisodes.

Le site spécialisé Marketing Land s’est ainsi amusé à observer les pics de conversation digitale qui essaimaient lors de la saison 4 de « House of Cards » (5) que Netflix avait mis à disposition en entier sur la plateforme. Le résultat est en effet éloquent. Les fans de la série échangent alors massivement sur les réseaux sociaux et créent une dynamique qui s’estompe ensuite petit à petit avant d’être ponctuellement restimulée car entretemps, Netflix met à disposition des internautes, des extraits exclusifs, des news en avant-première, etc . Ce qui a le don d’enclencher de nouveau une montée des conversations et faire vivre ainsi activement la communauté. Et cela marche d’autant mieux que sur les médias sociaux, Netflix a radicalement adopté une tonalité de langage quelquefois très débridée qui colle parfaitement à la culture sémantique de la communauté en question. Lesquels évidemment sont ravis de partager à leur tour auprès de leurs propres contacts.

Conclusion

Cette stratégie de communication à double détente que Netflix applique en toute circonstance, n’est peut-être pas pertinente pour tous les autres secteurs d’activité. Mais elle contient des éléments très intéressants et inspirants. En effet, à la différence des majors et des grands diffuseurs qui s’appuient encore grandement sur la presse pour faire connaître leurs offres de contenus, Netflix a choisi de court-circuiter en quelque sorte l’intermédiaire médiatique en maîtrisant le timing des annonces et en s’adressant directement à son public avec des bonus spécifiques. D’un côté, la marque organise de gros événements ponctuels où elle dévoile indifféremment toutes ses nouveautés pour souligner l’aspect massif de sa production. De l’autre, elle sollicite les fans des séries sur les réseaux sociaux pour les engager sur les différentes sagas vidéo disponibles sur le catalogue tout en les faisant consommer sur la plateforme et in fine, faire part de leurs recommandations aux autres abonnés.

Sources

– (1) – Amanda Lotz – « The unique strategy Netflix deployed to reach 90 million worldwide subscribers » – The Conversation – 5 avril 2017
– (2) – Ibid.
– (3) – Arnaud Sagnard – « Netflix : les limites d’une toute puissance » – L’Obs – 15 février 2018
– (4) – Ibid.
– (5) – Chris Kerns – « Streaming social: What marketers can learn from Netflix’s social strategy » – Marketing Land – 11 avril 2016