RSE : Les entreprises ont-elles le langage approprié pour évoquer leurs actions et convaincre leurs publics ?

A l’heure où la COP21 bat son plein en France, l’Institut de la Qualité de l’Expression s’est penché sur la façon dont 10 entreprises emblématiques communiquent en matière de responsabilité sociale et environnement et leurs initiatives qui en découlent. Sujet stratégique s’il en est et de plus en plus scruté par l’opinion publique, la RSE requiert en revanche des preuves concrètes sur les actions engagées mais également un langage qui incarne, explicite et différencie l’entreprise. Avec sa 16ème étude du genre, l’Institut a donc passé au crible le champ lexical et la posture linguistique de sociétés issues de différents secteurs. Quatre d’entre elles ont été commentées au cours d’une conférence qui s’est tenue le 2 décembre dernier à Paris. Résumé des points saillants.

Bien que certains discours ne soient pas encore totalement exempts de « greenwashing » (la crise traversée par Volkswagen étant à cet égard une nouvelle illustration de cette dérive), la responsabilité sociale et environnementale n’est plus considérée comme un vernis vert séduisant que l’entreprise s’achèterait à peu de frais. Pour nombre de sociétés tous secteurs confondus, la RSE est même devenue un authentique levier de progrès, de croissance et de contribution sociétale comme le relevait en octobre dernier, Sylvain Lambert directeur du practice Développement Durable du cabinet PricewatershouseCoopers (lire sur le blog le billet à ce sujet) lors d’une intervention au Connect Club. Il n’en demeure pas moins que les entreprises tâtonnent encore lorsqu’il s’agit de parler efficacement de leurs engagements RSE. Un sondage Opinion Way de septembre 2015 soulignait notamment que 72% des Français pensent que les entreprises ne font pas assez preuve d’authenticité. Et si l’usage d’un langage cohérent et plus personnifié constituait une opportunité pour y remédier ? Réflexions autour de 4 cas analysés à travers leur langage sur les brochures corporate et les espaces digitaux dédiés.

Bonduelle : génétiquement durable

IQE - RSE BonduelleLorsqu’on est une entreprise séculaire de transformation de légumes en conserves et surgelés, le développement durable est quasi congénital à l’activité industrielle. Sur ce point, Bonduelle revendique très clairement sa responsabilité et son ambition d’exemplarité avec un baseline corporate sans ambages : « être le référent mondial qui assure le bien vivre par l’alimentation végétale ».

De fait, la stratégie RSE de l’entreprise est pleinement transversale à tous les métiers de celle-ci via le projet Vegego qui comporte 22 plans d’action tous au cœur des activités de Bonduelle et pas à la périphérie avec des partenariats avec des tiers. Chez Bonduelle, on dit ce qu’on fait et on fait ce qu’on dit.

Du point de vue lexical, les mots usités sont concrets et didactiques. Ils s’attachent à retranscrire précisément les actions déployées par Bonduelle et les résultats obtenus. En revanche, Jeanne Bordeau, présidente de l’Institut de la Qualité de l’Expression apporte une pondération : « Si l’ensemble est cohérent et plutôt crédible, la tonalité générale pêche quelque peu par une absence d’aspérité stylistique. On trouve en particulier des phrases un peu trop conceptuelles ou impersonnelles, à la limite parfois du passe-partout. De même, les contenus manquent d’émotionnel. Les employés et les producteurs qui travaillent avec Bonduelle sont relativement peu présents ».

PSA : le sérieux de l’ingénieur

IQE - RSE PSACet effacement de l’émotionnel se retrouve pareillement dans le champ lexical employé par le groupe automobile PSA pour décrire ses initiatives dans le domaine de la RSE. L’argumentation déployée est très factuelle avec une posture affirmée d’autorité, chiffres et schémas à la clé. A l’instar de Bonduelle, les verbes comme « réduire, recycler, limiter, préserver » jouissent d’une forte récurrence dans l’approche discursive. Chaque projet est au final présenté de manière très docte avec une rigueur d’ingénieur qui reflète néanmoins la culture très industrielle de l’entreprise. L’accent est également mis sur la fondation « Mobility project » censée démontrer les efforts que PSA déploie pour des solutions de transport plus respectueuses de l’environnement.

Si l’on ne peut guère reprocher au constructeur son souci d’appuyer le propos avec des explications rationnelles et des repères chiffrés, l’ensemble aboutit néanmoins à une tonalité très terre-à-terre où le récit devient sec et quelque fois jargonneux. L’humain et l’émotion ne transpirent guère dans les contenus publiés par PSA. Un point dommageable qui atténue probablement l’impact que PSA pourrait mieux obtenir auprès de ses publics. L’argumentaire est sérieux mais sans véritable chaleur. Sur une thématique aussi vivante que la RSE, il est un peu regrettable de se cantonner à un registre technique même si ce dernier est précis.

Biocoop : militant assumé

IQE - RSE BiocoopAvec Biocoop, le sujet de la RSE bascule véritablement dans une autre dimension. Certes, en étant un des acteurs majeurs du commerce équitable, il est sans doute plus aisé de préempter et alimenter un discours naturel sur le développement durable. Il n’en demeure pas moins que Biocoop invite d’emblée à l’écoute tant le langage adopté est rieur. Preuve en est par exemple avec leur slogan corporate : « Chez Biocoop, nous sommes fiers d’être tendance depuis plus de 25 ans ». L’état d’esprit coopératif transpire nettement et se montre même ouvert aux autres pour aider à acheter des produits plus responsables.

Le champ lexical est également engagé au sens militant du terme. Pour Jeanne Bordeau, « on sent le vécu, pas le prétendu. D’ailleurs, on retrouve souvent la formule « en avant Biocoop » ! ». La dimension relationnelle se retrouve dans les mots comme « favoriser », « participer », « engager ». Les contenus savent allier un judicieux équilibre entre le rationnel et l’émotionnel. Ils recourent même à l’humour pour qualifier leurs actions comme « les agités du biocal » ou encore « le bio chic bio genre ». Et à la différence de PSA et Bonduelle, le numérique est clairement le canal d’expression plébiscité pour partager les messages avec leurs publics. De ce point de vue, le langage usité est d’ailleurs en phase avec l’esprit des réseaux sociaux.

Tesla : la techno en mission

IQE - RSE TeslaPour Tesla, le champ lexical relève quasiment de la mission universelle comme le clame fortement le slogan de l’entreprise d’Elon Musk : « Accelerate the world’s transition to sustainable transport ». D’emblée, le décor est posé et la posture énergique puisque l’objectif revendiqué de Tesla est d’atteindre zéro émission grâce à sa technologie automobile disruptive.

Dans le champ lexical, le dynamisme se prolonge avec de nombreux verbes d’action autour du thème « Meet the Tesla Generation ». Les sujets abordés sont équilibrés entre les innovations propres à la marque et les témoignages des expériences clients. Chez Tesla, le bla-bla ampoulé ou générique n’existe. Tout le vocabulaire est tourné vers la preuve et le résultat.

Le revers de cette démarche très volontariste est que le langage finit par devenir un peu trop sobre et prévisible. Sur Twitter où Tesla s’exprime abondamment, la langue est systématiquement courte, assertive et accompagnée d’une information concrète. Mais la répétitivité de verbes comme « make », « do », « sell » ou « record » induit une certaine froideur qui peut parfois rebuter en se cantonnant trop dans les thématiques techniques et le côté missionnaire. Selon Jeanne Bordeau, « le storytelling doit transfigurer l’histoire vraie, pas la défigurer ». Une touche supplémentaire d’humanité conférerait sûrement à Tesla un impact communicant encore plus puissant, surtout auprès de celles et ceux que les voitures ne passionnent pas particulièrement.

RSE et langage : même destin ?

IQE - RSE conclusionLe point majeur à relever à travers ces 4 cas mais également ceux traités dans l’étude intégrale de l’Institut de la Qualité de l’Expression est que la RSE est désormais globalement considérée comme un axe de développement à part entière de l’entreprise. L’immense majorité des actions énoncées est concrète et tournée vers un objectif clair et mesurable. Mais, peut-être par crainte de se faire critiquer ou suspecter de « greenwashing », le ton reste encore sérieux même si d’aucuns s’autorisent plus de libertés lexicales comme Biocoop.

Jeanne Bordeau fait remarquer en conclusion finale : « Les entreprises font désormais preuve de pédagogie avec des tableaux, des encadrés, des témoignages. Le trio infographie + image + vidéo remporte tous les suffrages. Pour raconter la durée de leurs engagements, elles utilisent des verbes concrets et conjuguent les temps de manière efficace. Mais le style reste neutre et formel : entre information brute et rapport d’expert, il ne génère aucune émotion. Globalement, le choix des mots échappe peu à la fadeur observée dans le langage économique. On ne parle pas assez des hommes et des consommateurs avec naturel, on n’incarne encore que rarement l’âme de l’entreprise ». Ce supplément d’âme qui emporte pourtant souvent la différence et la préférence auprès du public, le langage personnifié et sincère peut précisément le procurer !

Pour en savoir plus

Si les travaux de l’Institut de la Qualité de l’Expression vous intéressent, ce dernier propose des cycles de conférences dans les entreprises et les écoles en plus des offres d’audit sémantique, de mise en place de chartes éditoriales et de conseil et accompagnement en écriture. Pour de plus amples informations, vous pouvez vous référer au site de l’Institut.



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