Communication & Réputation : 5 postures à bannir absolument chez les dirigeants (2/2)
Après les attitudes à proscrire dans un environnement médiatique devenu ubiquitaire (voire inquisiteur) évoqué dans un précédent billet, le Blog du Communicant 2.0 aborde désormais le chapitre des déclarations malencontreuses qui piègent des dirigeants. Toujours à la lumière des anecdotes de l’excellente série « Des ministres et des bourdes » publiée cet été par Le Monde.
Au-delà de l’attitude adoptée face à un événement impromptu et/ou crisique, un dirigeant peut également se prendre les pieds dans le tapis par le seul truchement d’une phrase maladroite, un commentaire alambiqué ou une blague de mauvais aloi. Ce qui n’était au départ que des mots noyés dans un discours ou une discussion deviennent alors des boulets réputationnels que certains peuvent traîner durant toute leur carrière ou écoper d’une sanction.
Exemple emblématique parmi d’autres : Georgina Dufoix. Ministre des Affaires sociales lors de l’affaire du sang contaminé à la fin des années 80, elle avait marqué négativement les esprits en déclarant pour se défendre quelques années plus tard sur un plateau de télévision : « Je suis responsable mais pas coupable ». La formule lui colle encore aujourd’hui à la peau, symbole de l’impéritie des responsables politiques. Il existe évidemment quantité de pièges discursifs et formules explosives pour ternir une réputation. Toutefois, deux catégories sont à spécifiquement proscrire si l’on ne veut pas se retrouver cloué au pilori de l’opinion publique et de la chambre d’écho médiatique.
La blague qui fait des vagues
Chez les personnalités publiques, la blague ou le trait d’humour sont des astuces communicantes particulièrement prisées. Quoi de mieux pour se mettre une assemblée dans la poche ou se rendre sympathique auprès d’un journaliste qu’une petite plaisanterie mi-vacharde, mi-trublione pour camper d’emblée un personnage décontracté et abordable. A ce petit jeu rigolard, les politiques sont des clients très friands de bons mots. Certains comme le député maire d’Issy-les-Moulineaux, André Santini, s’en sont forgés une véritable vocation au point d’attirer systématiquement les micros et les caméras des journalistes en quête d’une citation croustillante. Pendant longtemps et avant de revêtir le costume présidentiel, François Hollande était également connu pour distiller quantité de d’histoires drolatiques.
S’il est d’une incontestable puissance en terme de relations presse, ce stratagème demeure toutefois à double tranchant quand on n’y prend plus garde. La chronique médiatique abonde de ces petites phrases censées être comiques ou bon enfant qui se terminent en fin de compte en grenade médiatique dégoupillée. En septembre 2009, le ministre de l’Intérieur, Brice Hortefeux, en a fait l’amère expérience lors d’une université d’été de l’UMP. Alors qu’on lui présente un jeune militant d’origine maghrébine en l’affublant d’une badine mais franchouillarde remarque (« C’est notre petit Arabe »), le ministre en exercice ne peut s’empêcher d’embrayer sur le même registre (1) : « Bon tant mieux. Il en faut toujours un. Quand il y en a un, ça va. C’est quand qu’il en y a beaucoup qu’il y a des problèmes ».
La scène aurait pu rester entre « initiés » si une caméra de la chaîne Public Sénat, n’avait pas capté la saillie verbale de Brice Hortefeux. Bien que la chaîne parlementaire, consciente de l’explosivité de la phrase ministérielle, ait tenté de bloquer la diffusion, un journaliste vend la mèche au Monde.fr. De fait, il allume un buzz foudroyant que le ministre tente très gauchement d’estomper en précisant qu’il parlait non pas des Arabes mais des Auvergnats dont il est un des élus. Le déchaînement redouble sur les réseaux sociaux et dans la presse. Trois ans plus tard, il reconnaît volontiers son erreur (2) : « A vrai dire, je ne sais même pas de quoi je parlais. Je voulais aller nager. Mon commentaire stupide pouvait à juste titre être mal interprété. L’atmosphère était à la blague potache, je me suis laissé aller et j’en ai eu honte ».
Même si la tentation est grande de sortir des pesanteurs protocolaires qu’imposent les manifestations publiques, un dirigeant se doit malgré tout de demeurer sur ses gardes. Il ne s’agit évidemment pas de sombrer dans l’excès inverse en s’interdisant toute spontanéité au risque de passer alors pour un monument de langue de bois et d’autocontrôle au final aussi déplacé qu’une vanne tombant à plat. Ce point est d’autant plus crucial qu’aujourd’hui n’importe quel smartphone d’un quidam dans la foule peut saisir à l’improviste des propos malencontreux et les répandre en un clin d’œil sur les réseaux sociaux pour partager sa trouvaille rhétorique.
S’il n’y a qu’un exemple à garder en mémoire pour achever de se convaincre, il suffit de se remémorer le fameux « Casse-toi, pauv’ con » décoché par Nicolas Sarkozy à un inconnu qui refusait de lui serrer la main au salon de l’Agriculture de 2008. L’algarade filmée depuis un mobile s’est immédiatement retrouvée dans la blogosphère. La réplique fut par la suite un handicap alimentant l’image d’un président nerveux et incapable de se contrôler.
L’explication technocratique déconnectée du réel
Combien de dirigeants et de hauts responsables ont-ils écorné leur image en livrant des constats qu’ils jugeaient rationnels là où l’opinion publique les perçoit totalement à côté de la plaque ? Dans une France encore trop souvent imprégnée de pensée ultra-cartésienne, le traquenard du commentaire technocratique n’en finit pas de sévir chez nombre de cerveaux omniscients convaincus de la pertinence de leurs propos.
Chacun se souvient de l’impayable gaffe opérée en 1993 par le Premier Ministre Edouard Balladur. A l’époque, il s’aventure dans les couloirs du métro et du RER parisien pour visiter les systèmes de sécurité mis en œuvre par la RATP. Aux journalistes qui le pressent de donner ses impressions, il a alors cette phrase lunaire : « Je trouve qu’il fait chaud. Enfin il paraît qu’on va avoir des métros climatisés en l’an 2000, alors c’est demain l’an 2000 ! ». Autant dire que l’image de notable loin des réalités quotidiennes dont souffrait Edouard Balladur, s’en est trouvée renforcée de manière idoine.
C’est sur un registre similaire que la ministre des Affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie s’est retrouvée totalement en porte-à-faux en janvier 2011. Alors que le mouvement de révolte populaire contre le régime autoritaire de Ben Ali de bat son plein en Tunisie, elle fait part de sa vision diplomatique aux députés de l’Assemblée Nationale (3) en proposant tout de go que la France apporte le « savoir-faire de nos forces de sécurité ». Là où l’inoxydable MAM persiste encore à nier l’erreur – « Je n’arrive pas à comprendre en quoi il est choquant de dire que des polices d’autres pays pourraient être formées par la France pour éviter des drames » (4) -, la réaction outrée est immense et aussitôt interprétée comme un soutien à la dictature encore en place.
Les réseaux sociaux se défoulent, la presse abonde en commentaires tous aussi cinglants les uns que les autres tandis que l’opposition en fait son miel pour déboulonner une ministre pilier du gouvernement de Nicolas Sarkozy. Au journal Le Monde, MAM tente de se justifier (5) : « J’ai voulu expliquer les choses rationnellement alors que le faux procès continuait sur le Net (…) Ma phrase est effectivement technique parce que ce n’est pas la question de la dictature qui était posée » et d’ajouter que sa phrase a été extirpée de son contexte global.
Qu’importe, la phraséologie diplomatico-rationnaliste de la ministre est traduite comme un quitus accordé au pouvoir de Ben Ali. Michèle Alliot-Marie s’en remettra d’autant moins que peu de temps après sont révélées ses vacances de Noël dans une Tunisie déjà en pleine ébullition et ses relations avec un homme d’affaires tunisien proche du pouvoir. Elle démissionne un mois plus tard puis perd son mandat de députée en juin 2012.
Cette morgue discursive est véritablement un rets communicant que tout dirigeant doit garder à l’esprit. Seul un ancrage authentique avec la réalité du terrain et une proximité régulière avec ses équipes peuvent permettre d’éviter ces embardées verbales toujours mal reçues par le corps sociétal. Dans un autre domaine, la carrière de l’ex-PDG de France Télécom s’est pareillement brisée. Alors que les suicides d’employés se multipliaient dans son entreprise, Didier Lombard a l’idée saugrenue de qualifier publiquement cette recrudescence de « mode des suicides ». L’expression achèvera de détruire sa crédibilité tant en interne qu’auprès des pouvoirs publics ! L’humilité et la prise de recul sont de toute évidence les meilleurs paravents pour ne pas s’engluer dans des bourbiers réputationnels inextricables !
Nota bene : Aux lecteurs qui s’interrogeraient sur la proportion élevée de personnalités de droite citées dans les différents exemples de sa série « Des ministres et des bourdes », le journal Le Monde a apporté la précision suivante : « Cinq responsables politiques ont accepté de revenir sur les erreurs qu’ils ont pu commettre lorsqu’ils étaient en fonction. Aucun ministre socialiste n’a souhaité s’exprimer ». De surcroît, ce déséquilibre apparent ne reflète en rien de quelconques opinions politiques du Blog du Communicant 2.0.
Sources
(1) – Marion Van Renterghem – « La bonne blague auvergnate de M. Hortefeux » – Le Monde – 24 août 2012
(2) – Ibid.
(3) – Marion Van Renterghem – « MAM ne renie pas ses amours tunisiennes » – Le Monde – 25 août 2012
(4) – Ibid.
(5) – Ibid.
Lire le précédent billet du Blog du Communicant : www.leblogducommunicant2-0.com/2012/09/01/communication-reputation-5-postures-a-bannir-absolument-chez-les-dirigeants-12/