Messieurs les dirigeants, un dircom ne doit pas être un gourou !
Tandis que Claude Sérillon, le jusqu’alors M. Communication de l’Elysée glisse dans une lente disgrâce augurant sûrement d’une exfiltration prochaine, une autre figure communicante vient de s’imposer dans l’entourage présidentiel comme le décrit un éloquent reportage paru ce week-end dans M, le magazine du Monde. Il s’agit de Stéphane Ruet nommé depuis début mars « responsable technique de l’image ». Ce jeu de chaises musicales s’inscrit dans la logique du fiasco enregistré par l’ex-présentateur du journal télévisé qui n’est jamais parvenu à impulser une dynamique solide pour redorer la communication de François Hollande. Il serait pourtant fallacieux de croire qu’une simple substitution de dircoms puisse suffire à imposer une communication autrement plus consistante.
Contrairement à une idée reçue, un dircom n’est pas (et ne doit surtout pas être) un gourou qui a tout pouvoir pour habiller la réalité selon les desiderata hiérarchiques. Il reste malheureusement des progrès à accomplir. A cet égard, la lecture de l’article du Monde est édifiante et sans ambages. Elle confirme que les idées reçues demeurent plus que jamais tenaces quant au rôle supposé d’un directeur de la communication. Pour s’en convaincre, il suffit de se référer à quelques passages symptomatiques rédigés sous la plume de Stéphanie Marteau, la journaliste qui a brossé le portrait du nouveau communicant en vogue au palais de l’Elysée. Et si on arrêtait de réduire le métier de communicant à celui de marionnettiste en chef ?
Dircom = marionnettiste tireur de ficelles ?
Dans le papier, on découvre par exemple un Stéphane Ruet, quasi architecte de plateau de télévision qui s’assure que la climatisation fonctionne parfaitement afin que le Président ne dégouline pas de sueur durant une interview avec des représentants de la presse chinoise. Autre caractéristique abondamment détaillée par la journaliste : le carnet d’adresses, autrement le pouvoir d’avoir le bras long et de changer le cours des choses par la seule magie d’un coup de fil (1) : « Pour les conseillers élyséens, il ne fait aucun doute que ses contacts dans les rédactions lui permettront de « dealer » des exclusivités valorisantes pour le chef de l’Etat. Et de savoir ce qui se trame dans les journaux et les agences ». Bref, on trouve tout l’attirail qui entretient derechef le mythe du spin doctor façonnant tel un démiurge tout-puissant, l’image de celui qui préside aux destinées du pays.
En 2011, est paru un excellent livre d’investigation intitulé Les Gourous de la Com (lire à ce propos la chronique publiée sur ce blog) à l’initiative d’Aurore Gorius et de Michaël Moreau. L’enquête offre une plongée très documentée dans les coulisses des réseaux d’influence à la croisée du monde des affaires, du pouvoir politique et de ceux qui se définissent comme conseillers en communication. Grâce aux témoignages d’acteurs qui ont participé de très près aux événements évoqués, l’ouvrage décortique les mécaniques complexes d’image, de réputation et d’influence qui entrent en jeu autant dans la conquête du pouvoir politique que dans la compétition commerciale entre grandes entreprises et hauts dirigeants. Elle est de surcroît nourrie d’abondants exemples concrets tirés de l’actualité de ces dix dernières années. Des cas d’étude qui sont autant de petites et grandes leçons de communication (qu’il s’agisse d’échec ou de succès) dont professionnels confirmés ou débutants peuvent trouver matière à réfléchir.
Ce serait donc faire preuve de mauvaise foi flagrante que de nier cette réalité racontée sans concessions par les deux journalistes. Cette façon de concevoir et de pratiquer la communication perdure effectivement encore à l’heure d’aujourd’hui. En dépit de la poussée des réseaux sociaux et du morcellement de l’influence, nombreux sont les communicants à continuer de privilégier les petits bricolages et à jouer du calendrier médiatique pour étourdir et balader l’opinion publique et les médias. Dans ces circonstances, il n’est donc pas étonnant que l’amalgame sulfureux que cultive le titre du livre des deux reporters, reste le fil directeur dès lors qu’on parle de « dircom ». En cela, l’article du Monde sur Stéphane Ruet n’échappe guère à cette grille de lecture. Lorsqu’on achève la lecture du papier, on a l’impression qu’un nouveau scénographe est aux commandes pour écrire le storytelling présidentiel à coups de potions communicantes cosmétiques.
Sus au gourou, ce dangereux individu !
A l’heure où la prise de parole digitale de Monsieur « Nobody » devenu Monsieur « Somebody » rebat pleinement les cartes de l’influence et de la réputation, il serait grandement temps d’éradiquer les vieilles méthodes où conseillers et dircoms se muaient jusqu’à présent en sorciers de l’image pour faire croire à des dirigeants et des managers (qui ont souvent eux-mêmes envie d’entendre cette ritournelle) que leurs onguents communicants vont leur façonner des trajectoires célestes, leur générer des profits records et leur assurer une réputation en titane auprès de journalistes et citoyens bouche bée.
Il fut une époque où effectivement la mallette du docteur Mabuse a pu donner subrepticement le change et faire avaler des pilules sans que le corps sociétal ne le sache ou ne s’en émeuve, faute d’avoir connaissance des tenants et aboutissants. Aujourd’hui, le communicant qui continue à prescrire cette posologie cosmétique et incantatoire est un dangereux individu. Et le dirigeant qui le croit, un casse-cou qui pourrait le payer cher en termes de réputation. Pour lui comme pour son organisation.
L’avènement des médias sociaux a définitivement enfoncé un coin disruptif dans cette quincaillerie communicante désormais obsolète. Les précédentes pages viennent d’en donner la preuve à divers titres. Année après année, la parole des marques, des entreprises, des dirigeants porte de moins en moins auprès des citoyens, des consommateurs et des salariés. La faute bien souvent à ces puzzles communicants un peu frelatés qu’on assemblait selon ses propres désirs réputationnels sans vraiment se soucier si ce que l’on revendiquait reposait sur des fondations réelles, crédibles et pertinentes.
Le gourou est un menteur courtisan
Dans l’approche de la communication du gourou, il n’est nullement question de vision patiemment mûrie et enrichie à l’aune des cultures, des enjeux de fond, des expériences et des conversations, ni de convictions soigneusement expliquées pour mobiliser les énergies sociétales et coexister intelligemment au sein d’un écosystème. Au contraire, il s’agit surtout de plaquer des images et d’agencer au millimètre près l’histoire qu’on entendait ensuite dérouler par le truchement de tactiques opportunistes. En d’autres termes, l’objectif est principalement de faire et défaire l’agenda médiatique au gré de ses envies et ses ambitions. Le souci du sens et du fond (voire de la véracité) ne préoccupe pas vraiment. Seules comptent l’influence acquise et la bonne histoire qu’on saura distiller à bon escient et à qui de droit pour annihiler ce qui dérange. De la communication chloroforme en somme !
Le sociologue des médias Dominique Wolton est remonté à juste titre contre cette communication abrutissante dont les hommes politiques et les dirigeants d’entreprise sont trop souvent friands (2) : « Non seulement ils accordent une confiance de plus en plus aveugle à des spécialistes en communication qui, tout en se présentant comme modestes, se comportent en réalité en véritables Raspoutine ; mais encore, ils multiplient les opérations de communication médiatique tous les trois à six mois, en inventant chaque fois un style nouveau qui ravit les médias et les place de façon croissante dans une logique communicationnelle. Pourtant, on ne reconquiert jamais un capital politique par des opérations de communication ».
Quand va-t-on enfin se décider à changer de com’ ?
A trop vouloir calquer une image sur une réalité qui ne repose pas sur des fondements concrets (sujets sensibles inclus), les communicants et ceux qu’ils sont censés servir s’exposent à de pernicieuses ruptures d’image dont l’emballement médiatique et le bad buzz ne sont que l’ultime mais dévastatrice résultante. De même, continuer à verrouiller ou à intoxiquer les journalistes est de toute évidence une impasse qu’il est urgent d’enfin bannir des plans de communication. Continuer à vendre aux dirigeants et aux leaders d’opinion ce genre de promesses relève de la poudre de perlimpinpin. Surtout à une époque où le public apprend de plus en plus, accède à des sources d’informations démultipliées et dispose de la vertigineuse mémoire numérique d’Internet pour retrouver trace d’éléments contradictoires.
En 2013, j’ai rencontré Dave Senay, le PDG de FleishmanHillard. Dans une interview accordée à ce blog, celui-ci a longuement insisté sur l’exigence accrue dont les professionnels de la communication doivent faire preuve. A ses yeux, l’incantatoire est en effet dépassé pour gérer une réputation (3) : « Les consommateurs n’achètent pas votre produit ou les employés ne viennent pas travailler chez vous simplement grâce à la promesse qui sous-tend votre marque. Ils agissent parce qu’ils croient en ce que votre marque représente à travers ses actes, ses paroles et les expériences que vous leur apportez. C’est comme cela que se forge la réputation au fil du temps. Les marques réelles ne s’inventent pas, elles doivent se révéler ». L’analyse vaut tout autant pour les politiques !
Il n’en reste pas moins que le défi n’est pas mince. Pour nombre de communicants de la vieille école encore tout pétris d’une culture de communication déclamative, c’est même une révolution culturelle ! Pourtant, c’est la seule voie que le métier de communicant doit emprunter au lieu de rester rivé sur les illusoires et dépassées pharmacopées des spins doctors.
Alors c’est quoi un vrai dircom aujourd’hui ?
A l’orée des passionnants défis posés par les médias sociaux et des remises en question qu’ils impliquent pour le métier de communicant, se pose évidemment la question du portrait-robot du dircom qui sera capable de faire sien ce changement communicationnel. Christophe Lachnitt, lui-même directeur de la communication et auteur du blog Superception, en donne une définition volontiers iconoclaste mais tellement juste : le dircom doit être un idiot utile.
Au-delà de l’amusante pirouette verbale, il trace un très pertinent profil qui mérite qu’on s’y attarde (4) : « C’est cette ignorance qui, paradoxalement, fait la force du dircom. C’est notamment ce qui lui permet, beaucoup mieux qu’un spécialiste, d’avoir l’empathie indispensable à une communication efficace. En effet, le spécialiste est généralement trop captivé par son domaine d’expertise pour s’ouvrir à des perspectives différentes. Or, comme nous l’avons vu, la communication commence par la prise en compte de l’altérité de son audience. A contrario, le fait d’être ignorant, éloigné d’un sujet fournit au dircom le recul essentiel à la prise en compte des perceptions de différents publics cibles ».
Il est évident que cette vision va probablement à rebours de la culture communicante encore dominante. Laquelle est plus soucieuse de filtrer les caméras et les appareils photos, d’empiler les retombées presse valorisantes comme on multiplie les petits pains, d’établir de savants (mais fumeux) calculs de ces articles obtenus en termes d’équivalent financier (ce qui a l’art d’apaiser le contrôleur de gestion !), de surveiller en permanence que la doxa corporate est correctement appliquée et qu’aucun vilain journaliste ou activiste ne viendra faire trop de bruit sous les fenêtres des dirigeants.
Même s’il incombe effectivement au dircom de s’assurer de la cohérence des messages et de traiter les cas des irréductibles opposants que jamais rien ne satisfera, son rôle va pourtant bien au-delà de celui un chef de gare de triage et de décorateur en chef. Surtout aujourd’hui où les médias sociaux ont dilaté le temps, l’espace et les interactions. Dès lors, il s’agit aussi d’être capable de renifler l’air du temps, d’échanger avec les acteurs internes et externes, de savoir relier, contextualiser et partager les éléments dont les différents publics peuvent avoir besoin. Le dircom contemporain est en quelque sorte un faiseur et un passeur de sens au service de la réputation d’une organisation et de ceux qui l’incarnent publiquement. Aucune entité ne pourra y échapper en dépit des persistantes illusions que d’aucuns s’ingénient à alimenter.
Dirigeants, c’est à vous d’activer autrement votre dircom
En revanche, il convient de garder à l’esprit un point fondamental pour que le dircom soit autre chose que le coloriste de service. Un point dont j’ai eu maintes fois professionnellement l’occasion de vérifier la nécessité absolue et qui peut éviter bien des malentendus, du temps perdu ou des faillites. Si brillant et motivé soit-il, le directeur de la communication n’est rien sans la conviction et l’implication de son président ou de son directeur général. S’il n’existe pas une connivence intellectuelle (qui n’est pas forcément une convergence systématique de pensée) entre ces deux acteurs, alors la fonction communicante risque fort d’être vouée à faire tapisserie, à se cantonner dans l’exécution de jolis outils et événements, voire à retomber dans les dérives et les travers évoqués plus hauts ou alors à se transformer en vibrionnante mouche du coche pour s’inventer une utilité. Face à un François Hollande suspicieux de longue date à propos de la communication, Claude Sérillon partait de toute façon avec un handicap majeur. Aucune communication cohérente ne peut être bâtie si le principal intéressé ne s’y implique pas avec conviction.
Autant le dircom doit être une boîte à idées et un capteur du temps au service du dirigeant, autant ce dernier doit nourrir la conviction intime que la communication est un carburant réputationnel stratégique éminemment capital et non pas un vernis cosmétique pour faire beau dans le paysage et maintenir les publics béats d’admiration à l’égard de sa petite personne. Dirigeants, communicants, il vous appartient vraiment désormais de vous emparer des clés qui actionneront votre réputation et votre communication autrement que par les ficelles éculées auxquelles plus personne ou presque ne croit.
Sources
(1) – Stéphanie Marteau – « L’œil de l’Elysée » – Le Monde – 28 mars 2014
(2) – Dominique Wolton – Penser la communication – Flammarion – 1997
(3) – Dave Senay – « L’heure du « Power of True » a sonné » – Le Blog du Communicant – 14 mai 2013
(4) – Christophe Lachnitt – « Dircom = idiot utile » – Superception – 29 mars 2011
2 commentaires sur “Messieurs les dirigeants, un dircom ne doit pas être un gourou !”-
LucieCMP -
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Olivier Cimelière -
Enfin le temps de lire cet article, et bien que le titre ne m’inspirait pas je ne regrette pas !
Bref merci Oliv 🙂
Merci et ravi que le titre n’ait pas été un facteur bloquant 🙂 !!
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