Entreprises : La réputation est un atout stratégique aussi crucial que la gestion du cash-flow

La problématique de la réputation n’est pas née avec Internet. Aussi loin que l’humanité existe, cette notion a constamment été au cœur des interactions humaines, des leviers relationnels et des jeux de pouvoir à l’œuvre entre les communautés, les peuples, les villes, les territoires, etc. La réputation se bâtissait à travers les récits colportés, les chansons de geste célébrées, les symboles exhibés et les démonstrations de force réalisées par ceux qui entendaient exercer influence, conviction et pouvoir sur autrui. Avec l’avènement du Web social, l’enjeu n’a en revanche plus rien à voir avec les salades communicantes dont certains se bercent encore avec illusion au sein des entreprises. Il y a urgence à se bouger !

A mesure que les siècles ont passé, les techniques réputationnelles se sont peu à peu sophistiquées pour aboutir à la communication moderne telle que nous la connaissons et la pratiquons aujourd’hui. Dans cette optique, la réputation a toujours été systématiquement conçue et appréhendée sous un prisme unilatéral : la construction par soi-même d’une image la plus positive, valorisante et persuasive possible pour s’attirer préférence, soutien et confiance de ses publics qu’ils soient citoyens, consommateurs, salariés, clients, régulateurs, médias, etc.

Google, thermomètre de la réputation

Reputation - Google thermostatLongtemps, la réputation devait être constituée de ce que l’on voulait projeter en termes de perception plus que de ce que l’on était intrinsèquement ou faisait réellement. En d’autres termes, il suffisait d’affirmer, de marteler, de faire rêver et de maintenir dans l’ombre les points critiques pour s’assurer globalement d’une bonne réputation ou a minima correcte. Cette culture communicante déclamatoire est désormais en voie d’extinction. Tous les mécanismes qui articulaient sa raison d’être et ses modes de fonctionnement s’érodent et se grippent inexorablement avec l’immixtion incontournable et disruptive des médias sociaux. La réputation est maintenant de moins en moins fondée sur ce que vous décrétez être. Elle obéit graduellement au contraire au célèbre axiome édicté par le journaliste américain spécialiste d’Internet, Chris Anderson : « Votre marque n’est pas ce que vous en dites, mais ce que Google en dit ! ».

Par sa puissance inégalée à aller brasser et indexer des zétabytes de contenus numériques, Google fait remonter à la surface l’immense gargouillis conversationnel de milliers d’acteurs en réseaux et reflète implacablement la perception exponentielle qu’ils nourrissent envers des entreprises, des marques et des dirigeants. Dans certains cas, on aboutit même à des paradoxes où l’on vous prête des intentions, des faits, des caractéristiques qui ne sont pas les vôtres mais qui s’imposent comme des réalités indues à force d’être répétées et démultipliées dans tous les recoins du Web. Pour la réputation des marques, des entreprises, des personnalités publiques, c’est un total renversement qui ne peut plus être décemment ignoré. Journaliste et éditeur du renommé Holmes Report qui scrute les tendances de l’industrie des relations publics, Paul Holmes prédit que (1) « l’entreprise avec des murs de verre va bientôt devenir une réalité parce que tout ce qui est dit, fait et pensé par une organisation tombe désormais sous l’examen approfondi du public comme cela n’a jamais été le cas auparavant ».

Des enjeux considérables pour les entreprises

Reputation - CartoonCe basculement prononcé du mix réputationnel va constituer un challenge d’envergure pour les communicants et leurs organisations. Terminées les stratégies de blindage à toute épreuve où il suffisait d’édicter et de contrôler pour garder le cap réputationnel qu’on entendait suivre. La voix de l’écosystème interne et externe de l’organisation gagne en poids et en impact même si entreprises, marques et dirigeants ne sont pas encore toujours prêts à être interpelés, ni à concéder une once d’influence sur ce que doit être leur réputation. Paul Holmes le réaffirme (2) : « La marque n’est plus seulement ce que vous dites (la projection intentionnelle de votre identité). Elle est aussi ce que les autres disent à propos de vous (la réputation perçue devient la vraie identité) ».

Or, l’enjeu réputationnel est un sujet absolument crucial pour la performance des organisations auprès de leurs publics. En 2013, Reputation Institute a publié la nouvelle édition de son enquête mondiale baptisée Global RepTrack. Le rapport a compilé et synthétisé plus de 55 000 interviews menées dans 15 pays pour faire le point à date sur l’état de la réputation. Les conclusions sont sans appel (3) : une entreprise qui améliore de 5 points sa réputation voit augmenter de 7% la prescription de ses consommateurs. Autres enseignements relevés dans l’étude : pour les entreprises jouissant d’une forte réputation, 55% des consommateurs déclarent qu’ils sont absolument prêts à acheter leur produit et quasiment autant (50%) à recommander ce dernier à leur entourage. En revanche, pour les entreprises ayant une faible réputation, les chiffres chutent respectivement à 31% et 28%. Nul besoin d’être détenteur de la médaille Fields pour immédiatement calculer l’impact économique d’un décrochage réputationnel !

Reputation - AbercrombieCes chiffres font d’ailleurs écho à d’autres observations effectuées sur le même sujet. Ainsi, une récente étude de la London School of Economics estimait que parvenir à réduire de 2% un bouche-à-oreille négatif engendrait une croissance de 1% des ventes. Dans le même registre, le fabricant américain d’ordinateurs portables Dell a déterminé qu’un client promoteur rapportait 32 dollars tandis qu’un client détracteur coûtait 57 dollars. Si vous combinez ces estimations financières au tsunami réputationnel qu’un bad buzz peut entraîner sur le compte d’exploitation d’une entreprise, on saisit nettement mieux l’importance de la réputation à l’ère du 2.0.

Ce n’est d’ailleurs pas le PDG de la marque textile pour jeunes Abercrombie & Fitch, Mike Jeffries qui pourra prétendre le contraire. En mai 2013, le site Business Insider a exhumé des propos qu’il avait tenus lors d’une interview donnée sept ans plus tôt pour parler du positionnement marketing très drastique (pour ne pas dire discriminatoire) de son enseigne. Sans détours, il expliquait qu’il privilégiait les personnes à l’apparence physique séduisante tant dans ses publicités que parmi les vendeurs de ses magasins, ceci pour attirer une clientèle à l’aune de ceux-ci. Une vidéo virulente a alors notamment rassemblé 7 millions de personnes en quelques jours pour dénoncer les propos inadmissibles du dirigeant sans parler d’autres actions coup de poing venues également du Web. Résultat : des ventes en recul, un cours de bourse en berne et des enquêtes administratives sur le dos dans plusieurs pays pour pratiques discriminatoires à l’embauche ! A l’heure actuelle, la pression se maintient et Abercrombie & Fitch ne sort toujours pas la tête de l’eau.

La prise de conscience tarde chez les dirigeants

Reputation - FunnnyEn dépit des études qui concordent sur l’impact économique de la réputation et des cas concrets qui militent pour un management rénové de la réputation des organisations, la prise de conscience tarde à s’enclencher de manière concrète. Toujours en 2013, une autre étude publiée par Reputation Institute a interrogé 313 hauts dirigeants dans 25 pays. Nicolas George Trad, directeur associé de l’institut, constate (4) : « Les entreprises reconnaissent la valeur de la réputation mais cela reste un défi pour lequel beaucoup ne sont pas prêtes. Un des problèmes est la capacité à intégrer la notion de réputation dans le processus de décision stratégique. Ce qui freine leur aptitude à développer la fidélisation des clients, l’augmentation des ventes et le gain de parts de marché ».

Pourtant, les entretiens menés auprès de ces décideurs montrent que 60% d’entre eux établissent un lien direct entre la réputation et la fidélisation des clients, le chiffre d’affaire et la part de marché. Ils sont encore 56% à déclarer que la question de la réputation est d’importance prioritaire pour leur comité de direction et 63% espèrent même pouvoir passer à l’acte d’ici 2 à 3 ans. Dans l’immédiat, ils ne sont que 20% à avoir déjà engagé des chantiers en ce sens, souvent sous la forme de cellules de veille et d’écoute digitale mais plus rarement de façon holistique. En revanche, les états d’esprit ont nettement plus de réticence à abandonner les vieux schémas mentaux. Serait-ce un effet pervers du court-termisme qui gangrène nombre de décisions opérationnelles dans les organisations ?

Dès lors, combien faudra-t-il encore de retentissants bad buzz et calamiteuses bérézinas médiatiques pour que les organisations consentent à revoir de fond en comble les schémas stratégiques qui ont longtemps présidé à la gouvernance de leur communication et de leur réputation ? Entendre des dirigeants d’entreprise confier leur espoir de pouvoir mener la transformation à un horizon de 2 à 3 ans paraît assez sidérant à l’heure où quelques tweets cinglants ou vidéos chocs suffisent à esquinter une réputation en quelques minutes.

On se relève enfin les manches ?

Reputation - RisingComme pour les crises traditionnelles longtemps escamotées sous le tapis qu’on cherche soudainement à éteindre avec un seau d’eau alors que la forêt brûle déjà, les médias sociaux sont aujourd’hui encore au mieux regardés comme des canaux publicitaires additionnels ou au pire des champs de mines qu’on observe plus ou moins sans trop y mettre le doigt de peur d’être happé par un impitoyable maelstrom numérique. Pourquoi diable attendre d’être au bord du précipice, voire déjà en chute libre pour commencer à envisager les choses autrement et plus sereinement ?

A ceux qui seraient encore tenté de croire que la réputation n’est qu’un artifice cosmétique comme celui qu’on enjolivait dans les années 80/90, il devient urgent de revoir ses gammes. La communication est réellement devenue bilatérale avec des acteurs qui si petits soient-ils sur le papier, peuvent déclencher des effets papillon où la réputation des organisations a plus à perdre qu’à gagner. Pour autant, il n’y a pas de fatalité à subir irréversiblement mais un radical changement de culture communicante et managériale à accomplir. Une culture qui requiert un investissement durable, ouvert et s’inscrivant pleinement dans le long terme.

Il ne s’agit pas de retomber dans les travers de la communication de papa qui pense que décréter, c’est déjà convaincre, séduire et faire adhérer tous les acteurs. Nourrir et entretenir sa réputation est une démarche de fond, pas un point de colle destiné à cacher un bris de glace imminent. Cela suppose une capacité d’écoute, d’empathie, de dialogue. Cela implique de savoir se remettre en cause par instants mais aussi de savoir expliquer ses convictions sans nécessairement courber l’échine devant des adversaires. Une réputation est un corps vivant que l’ensemble des parties prenantes alimente. Une réputation est un flux qui s’entretient au même titre que le cash-flow surveillé comme le lait sur le feu par des bataillons de contrôleurs de gestion !

Sources

1 – « Reputation: the future of corporate communications » – Centre for Reputation Leadership – 2012
2 – Ibid.
3 – Communiqué de presse de Reputation Institute – 10 avril 2013
4 – Ibid.



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