Bixente Lizarazu : « Les réseaux sociaux sont parfois des réseaux associaux ! »

Consultant et journaliste sportif pour plusieurs médias après avoir réalisé une remarquable carrière internationale de footballeur professionnel, Bixente Lizarazu s’est également converti à l’usage des réseaux sociaux depuis quelques années. A quelques semaines du coup d’envoi de l’EURO 2016, le Blog du Communicant l’a rencontré pour évoquer l’impact de la communication digitale sur l’univers du football et de la presse sportive mais également son propre ressenti de son expérience sur Twitter et Instagram, les deux réseaux qu’il a adoptés pour communiquer avec son public.

Le compte à rebours est déjà enclenché avec effervescence pour Bixente Lizarazu qui couvrira prochainement l’EURO 2016 pour le compte de plusieurs médias français. Sur les réseaux sociaux, la 15ème édition du tournoi européen a pourtant déjà commencé avec notamment des tweets abondants des 23 heureux sélectionnés de la liste de Didier Deschamps. Côté amateurs de ballon rond, les crampons de salon ont déjà été également chaussés si l’on en juge au nombre d’abonnés recueillis sur la page officielle Facebook de la compétition (plus 8,4 millions de fans) et le compte Twitter (570 000 followers à date). Réseaux sociaux et rectangle vert sont dorénavant indissociables. Pour le meilleur ou parfois le pire comme en témoigne en toute franchise Bixente Lizarazu.

Vous avez d’abord fréquenté l’univers du football d’abord comme joueur professionnel avec une brillante carrière et un palmarès fourni avec vos clubs de cœur (Girondins de Bordeaux et Bayern Munich) et évidemment en équipe de France avec les épopées victorieuses de la Coupe du Monde 1998 et de l’EURO 200. Depuis, vous êtes passé de l’autre côté du miroir en devenant consultant et commentateur sur TF1, chroniqueur pour l’Equipe et animateur du Club Liza sur RTL. Au regard de votre expérience avérée du milieu footballistique, quelles sont les évolutions notables que vous observez en matière d’enjeux de communication et de réputation pour un club et pour les joueurs vedette d’une formation ?

Bixente Lizararu - RTLBixente Lizarazu : Les réseaux sociaux ont indéniablement bouleversé les choses en termes de pression médiatique. A mon époque de joueur, nous étions déjà pas mal sollicités mais cela restait malgré tout dans le cadre d’un contexte classique avec essentiellement des revues et des journaux spécialisés dans le football et quelques émissions sur les chaînes de TV et les stations de radio nationales. Le reste du temps, nous étions tranquilles et relativement préservés. Aujourd’hui, tout cela a radicalement changé avec l’explosion des réseaux sociaux. Les moindres faits et gestes des joueurs, y compris dans leur vie privée, peuvent être épiés. Il n’y a plus aucune limite. Tout peut potentiellement devenir public. Il suffit d’une photo ou d’une vidéo publiées sur un réseau social pour que les internautes et la machine médiatique embrayent aussitôt. Pour un joueur connu, c’est parfois terrible. Cela devient de plus en plus malaisé de mener une vie normale, sans être toujours sur ses gardes.

Je constate également que tout le monde s’improvise désormais commentateur. Chacun a son avis, éclairé ou pas, mesuré ou pas. Sur le fond, cela ne me gêne pas d’avoir l’occasion de débattre avec un internaute qui ne partagerait pas forcément mon point de vue ou mon analyse. A condition de le faire avec respect et bonne intelligence. En revanche, je déplore qu’on se retrouve plus fréquemment confronté à des gens qui se défoulent gratuitement. D’autant plus gratuitement qu’ils se réfugient aussi derrière un anonymat excessif où ils sentent autorisés à tout dire et n’importe quoi. Le football doit rester ce qu’il est : un jeu où parfois votre équipe favorite gagne et parfois elle perd. Or pour certains fans, l’issue d’un match prend quelquefois des proportions considérables et exagérées. Cela en conduit même quelques-uns à se livrer à des insultes et des agressions verbales. Tant qu’on reste dans le chambrage, la taquinerie, ce n’est pas grave. Mais avec l’insulte, il n’existe plus de dialogue possible. L’état d’excitation que j’ai pu voir sur les réseaux sociaux, me laisse pantois. D’ailleurs, j’estime que les entreprises comme Facebook, Twitter, Google, etc devraient exercer une responsabilité plus stricte par rapport à cette haine qui se répand. Les réseaux sociaux ne doivent pas devenir des réseaux d’associaux !

A mesure que le football est devenu ultra-médiatisé et amplifié par le Web social, on a parfois le sentiment que la communication de ses acteurs, dirigeants, entraîneurs et joueurs, relève souvent de la répétition lassante d’éléments de langage aseptisés de crainte d’en dire trop. Dans ce contexte, sont-ils définitivement réduits à entretenir un discours souvent convenu ou peuvent-ils-être au contraire être plus libérés et authentiques dans leurs propos même si les enjeux médiatiques sont évidemment conséquents ? Zlatan Ibrahimovic n’a ainsi pas hésité à annoncer lui-même son départ du PSG vendredi 13 mai sur les réseaux sociaux avec un slogan qui n’a pas laissé pas indifférent (NDLR : « I came like a king, left like a legend ») ?

Bixente Liza - Tweet Schneiderlin CruyjffBixente Lizarazu : Même si ce n’est parfois pas toujours évident, être présent et actif sur les réseaux sociaux oblige à s’impliquer soi-même. Sinon, cela ne sert à rien. Il n’y a aucune authenticité et pas grand intérêt pour les fans. De plus, cela finit par se voir ou se savoir lorsque ce n’est pas le joueur en personne qui s’exprime. On l’a vu par exemple avec le compte Twitter de Morgan Schneiderlin. Au décès de Johan Cruyff, il a voulu rendre hommage mais a publié une mauvaise photo (NDLR : celle du gardien de la sélection batave lors de la Coupe du Monde 1974). L’erreur a aussitôt été remarquée et le joueur a dû reconnaître qu’il avait fait appel à une société de communication pour l’assister et qui avait publié le message sans faire valider au préalable.

A contrario, c’est vrai qu’un joueur comme Zlatan Ibrahimovic manie régulièrement l’art de la punchline. Ce n’est pas toujours juste, ni adroit mais au moins, cela ne laisse pas insensible. Je me souviens du débat qu’il avait provoqué en France en affirmant que le PSG n’était rien avant l’arrivée des investisseurs qatariens. Ce n’était pas très élégant envers des joueurs comme George Weah, Miguel Pauleta ou Rai qui ont marqué avant lui l’histoire du club. C’est là tout le risque de l’exercice. Les phrases courtes qui accrochent, peuvent être source d’erreur ou d’interprétation erronée. Avec Zlatan en plus, on ne sait pas toujours s’il parle au 1er ou au 2ème degré !

Je ne vous apprends rien en vous disant que l’irruption des médias sociaux a également fondamentalement changé la donne en termes de communication pour les joueurs professionnels. Elle est de plus en plus fréquemment source de dérapages comme en atteste l’affaire Serge Aurier du PSG sur Periscope mais aussi parfois de révélations comme des signatures imminentes lors des transferts qui n’ont pas forcément vocation à être immédiatement publiques. Les médias suivent en effet avec assiduité les profils des joueurs, y compris les moins connus et s’en servent pour nourrir leurs contenus. Récemment, le jeune et prometteur joueur rennais Ousmane Dembelé a ainsi été quasiment aussitôt transféré au Borussia Dortmund par certains médias au motif qu’il venait de s’abonner au compte Twitter du club allemand et à celui de son buteur vedette, Pierre-Aymeric Aubameyang. Quels conseils auriez-vous envie de partager avec cette génération connectée mais pas toujours consciente des enjeux d’image qui peuvent nuire à leur carrière ou la réputation de leur club ?

Bixente Liza - PokoBixente Lizarazu : Les joueurs doivent effectivement apprendre à composer avec les réseaux sociaux s’ils décident de les utiliser. Je suis notamment surpris par le côté un peu naïf des jeunes joueurs. Il y a eu évidemment l’affaire de Serge Aurier sur Periscope. Mais tout récemment, un autre joueur a également commis une erreur. Le jeune défenseur de Bordeaux, Serge Poko a créé la polémique et la colère du club en publiant sur Snapchat une photo de lui où il fume la chicha tout en portant un maillot de l’Olympique de Marseille. Ils doivent absolument intégrer la nécessité d’être vigilant car les joueurs sont surveillés de partout. Le moindre écart est très vite su et partagé sur les réseaux sociaux. Et même si cela ne sort pas tout de suite, la traçabilité digitale peut faire remonter des choses plus anciennes. L’an passé, des tweets vieux de plusieurs années de jeunes joueurs du PSG ont été republiés par des internautes et ont déclenché une controverse à cause des propos tenus pas franchement corrects.

Cela suppose déjà de leur part un minimum d’éducation. Est-ce que dans la vraie vie de tous les jours ils se permettraient ce qu’ils racontent ou font sur les réseaux sociaux ? Je ne suis pas sûr ! Ensuite, les réseaux sociaux sont un outil de communication moderne mais à doser avec précaution. Il faut clairement avoir conscience qu’on ne balance pas juste un SMS à une autre personne mais un message qui peut être vu par des milliers de personnes. A eux de rester maître de ces outils s’ils ne veulent pas brouiller leur image ou même avoir des ennuis avec le club qui les emploie.

En France, peu de présidents de clubs professionnels sont actifs sur le digital. On trouve certes le président du FC Lorient, Loïc Féry, qui communique essentiellement sur Twitter sur l’actualité du club et les actions des matchs. Il y également l’incontournable président de l’Olympique Lyonnais, Jean-Michel Aulas, qui a adopté une ligne nettement plus mordante, voire provocatrice comme sa récente saillie contre le PSG et ses investisseurs qatariens. A vos yeux, un dirigeant de club de football doit-il faire comme ce dernier ?

Bixente Liza - AulasBixente Lizarazu : Jean-Michel Aulas m’étonnera toujours ! Voilà un personnage du football français qui n’a plus rien à prouver. Il a réussi avec son club. Il vient de se doter d’un stade flambant neuf qui va générer de nouveaux revenus et il a relancé son équipe pour l’avenir proche. Pourtant, il continue d’envoyer sur Twitter ! Il réagit, il commente, il réplique aux supporters, il n’hésite pas à glisser des petites phrases provocatrices. Il est vraiment au taquet ! A mon sens, il n’a pas besoin de cela pour convaincre et incarner l’Olympique Lyonnais. Mais pourquoi pas après tout puisqu’il est motivé et qu’il a l’air d’y prendre un plaisir certain. Au moins, c’est un profil Twitter où il se dit des choses de façon directe !

Vous avez-vous-même choisi d’être présent sur les médias sociaux, en particulier Twitter depuis novembre 2012 et Instagram où vous diffusez essentiellement des informations sur vos activités médiatiques et votre amour inconditionnel de votre pays basque natal ? Pourquoi et comment avez-vous mis le pied à l’étrier ?

Bixente Lizarazu : Mon choix a d’abord été motivé par mon métier actuel. Twitter m’est utile pour continuer à suivre les informations. Par exemple, j’ai pu être informé en direct sur Twitter de la composition de la liste des 23 joueurs de Didier Deschamps pour l’EURO 2016. Comme j’étais en voyage, je ne pouvais pas regarder la séquence prévue au même moment au journal de 20 heures de TF1. Ensuite, cela permet également des rencontres sympathiques et d’accéder à d’autres personnes que je n’aurais peut-être pas eu l’occasion de croiser ailleurs. C’est d’ailleurs initialement par Twitter que nous nous sommes, vous et moi, rencontrés avant d’ensuite poursuivre l’échange en réel ! Les remarques de certains twittos me permettent aussi parfois d’avoir des discussions intéressantes qui peuvent même nourrir mes émissions grâce à des suggestions ou des informations. Ça, c’est vraiment le côté positif des réseaux sociaux.

Bixente Liza - InstagramPour autant, je suis encore circonspect sur certains aspects des réseaux sociaux. Notamment cette course échevelée à l’information, à celui qui sortira en premier le truc qui va buzzer et faire augmenter son nombre de fans. Dans le football, c’est une tendance particulièrement prononcée. Tout le monde est à l’affût de tout mais ne prend pas forcément le temps de vérifier ou de remettre dans le contexte d’origine. Tout s’est considérablement accéléré sans forcément tirer les choses vers le haut. Du coup, j’essaie personnellement de ne pas réagir à tout ce qui se raconte même si je dois avouer que je cède parfois à l’addiction pour voir ce qui se passe sur Twitter en profitant d’un temps mort dans ma journée. Est-on pour autant mieux informé ? Je m’interroge. Nous sommes en tout cas informés tout le temps. Cela requiert d’être plus sélectif et surtout de penser à vivre le temps présent et d’être ancré dans la vraie vie au lieu d’être toujours en ligne. D’ailleurs, j’apprécie énormément les périodes où je déconnecte quand je fais du sport ou des reportages dans des endroits où il n’y a plus de connexion nulle part. Cette purge digitale permet de ne pas oublier le vrai monde. A mes yeux, c’est ce qui importe le plus.



2 commentaires sur “Bixente Lizarazu : « Les réseaux sociaux sont parfois des réseaux associaux ! »

  1. Jean-Pierre Mercier  - 

    Bien entendu, les réseaux sociaux sont asociaux, la rencontre les yeux dans les yeux est toujours supérieure et plus agréable. Les réseaux sociaux ne devraient être qu’un point de départ…Encore faut-il savoir s’en servir, et cela s’apprend. Mais bon, tout ce qui rapproche les individus dans la solitude de son écran est quand même bon.

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