Est-il pertinent pour une marque de menacer en justice un auteur d’avis négatifs ? L’exemple d’Anaca 3

Les marques raffolent des influenceurs qui vantent les mérites de leurs produits même si cela implique souvent budgétairement des échantillonnages de produit ou des posts sponsorisés. Nombre d’influenceurs ne sont en retour pas les derniers à être à l’affût des bons plans qui étofferont leur compte en banque ou leur garantiront une dotation en nature. A la petite différence près que le petit monde de l’influence digitale n’est pas forcément réglé comme une horloge infaillible. Blogueurs, instagramers, youtubers, etc peuvent parfois avoir la dent dure. Certaines marques passent l’éponge. D’autres brandissent le gourdin juridique comme récemment la marque de compléments amaigrissants Anaca 3 à l’encontre de la blogueuse lifestyle @CarlineBeauty. En cause : un billet où celle-ci s’en prend aux méthodes commerciales de la société fabricante Nutravalia et aux performances de son produit phare. Tactique pertinente ?

Dans la vie d’une blogueuse, il y a parfois des journées à marquer d’une pierre noire. Le 19 octobre dernier figure parmi celles-ci pour Carline Beauty. Passionnée de séries TV, de photographie et de beauté, la jeune anime un blog éponyme, un compte Instagram qui rassemble 53400 abonnés, une page Facebook avec près de 5900 fans et un profil Twitter plus modeste à 810 followers. Jusqu’à présent, tout s’était bien passé pour ses différentes publications jusqu’à ce jour maudit qu’elle raconte dans un tweet (1) : « Hier, j’ai eu la mauvaise surprise de découvrir un huissier dvt ma porte ! Il me remet un énorme dossier, m’ordonnant de supprimer mon article sur #Anaca3 ! J’ai osé donner un avis honnête… Je dois supprimer l’article sous 8 jours sinon Tribunal correctionnel ! ». Cette objurgation émane de Nutravalia, une entreprise qui fabrique et commercialise des compléments alimentaires dont le fameux « brûleur de graisse » Anaca 3 que Carline s’est permise de critiquer dans un billet en date du 8 mars 2018.

Un marketing particulièrement offensif et décalé

Dans l’univers fascinant des produits amincissants, Anaca 3 s’est rapidement imposé comme un produit majeur depuis son lancement intervenu en janvier 2015. Aujourd’hui, la marque englobe 17 références en vente sur sa boutique en ligne dédiée pour lutter contre les graisses indésirables et la cellulite, drainer et détoxifier l’organisme ou encore retrouver une silhouette plus conforme aux canons sans cesse vantés par les magazines de beauté et de mode. Sur ce créneau particulièrement porteur de l’amincissement et de la ligne retrouvée, Anaca 3 s’est donc taillé une place de choix en peu d’années. Avec des moyens à la hauteur de ses ambitions. En 2016, la marque a par exemple dépensé 7,5 millions d’euros en espaces publicitaires à la télévision (2) pour booster sa notoriété.

Mais plus encore que l’impact télévisuel, Anaca 3 a très fortement misé sur le Web pour étendre sa présence et conquérir de nouveaux consommateurs. Outre un site Internet à l’effigie de la marque où chacun peut commander en ligne et un blog qui propose des recettes à combiner avec le régime, la marque recourt à d’autres astuces digitales plus ou moins discutables comme le détaille un récent article du Monde Santé (3) : « La recette de cette réussite entrepreneuriale, qui doit beaucoup à des techniques de marketing très agressives, s’est construite en deux temps. Par le biais de sites Internet vitrines d’abord, puis grâce à de nouveaux alliés qui ont fleuri sur les réseaux sociaux ces dernières années : la télé-réalité et les influenceurs. Pour capter des clients, les fondateurs de Nutravalia ont d’abord commencé par acheter des dizaines de sites sur le régime, à l’image de Perdre-du-poids-rapidement.org, Avis-pilule-minceur.com ou encore Mon-test-imc.com, selon des données techniques que Le Monde a pu consulter. Certains de ces sites affichaient des publicités pour les pilules de Nutravalia. D’autres vantaient les produits de la marque, avec une objectivité apparente. Difficile pour l’internaute de comprendre qu’il consulte en réalité un site de Nutravalia : dans les mentions légales ne figurent que les noms de ses filiales, inconnues du grand public ».

Cependant, ce sont les réseaux sociaux qui vont véritablement assurer l’envol de la visibilité d’Anaca 3 auprès de ses publics cibles. Avec un parti-pris décalé pleinement assumé. En effet, là où les concurrents s’évertuent à investir les sites de pharmacie, de nutrition et de conseils santé, la marque décide de s’appuyer sur des célébrités issues de la téléréalité. Via une agence spécialisée, ces dernières se voient proposer des pitchs pré-rédigés vantant les vertus d’Anaca 3 à poster sur leur profil Snapchat ou Instagram, le tout assorti d’un cliché où la star télévisuelle s’exhibe joyeusement avec le produit. L’exercice va s’avérer payant même si quelques polémiques éclatent comme celle d’Ayem Nour en avril 2018. L’ex-candidate de Secret Story et animatrice de talk-shows people publie une photo d’elle où elle s’extasie devant un pot d’Anaca 3 et la perte de poids induite suite à sa grossesse toute récente. Pourtant, les commentaires cinglants vont vite pleuvoir tant sur la fashionista d’Instagram que sur le produit amincissant (3) : « Je l’ai vu il y a 2 semaines dans la rue, elle n’était pas du tout comme ça ! », « Je t’aime bien arrête de bluffer fait les gens tu crois que tu bluff qui ? avec tes photos retouchées ta liposuccion que t’as fait franchement? Tû respecte même pas tes abonnée imbécile ! » ; « Mais quel honte faire croire à des milliers de jeunes qu’il faut prendre trois pilule pr perdre du poids, garder vos tunes achetez des légumes /fruits frais cuisinez faire régulièrement du sport, marcher, courir et croyez moi que o bout de 3 semaines t’aura un beau résultat ». La marque ne pipera néanmoins aucun mot.

Deux poids, deux mesures ?

Un mois plus tôt pourtant, c’est Carline Beauty qui avait dégainé un article volontiers critique sur Anaca 3. Comme les internautes s’agaçant ouvertement des photos jugées peu crédibles d’Ayem Nour, la blogueuse déplore l’absence de perte de poids après avoir essayé le complément alimentaire pendant plusieurs semaines. Puis elle enfonce le clou en s’attaquant justement aux messages que les stars de la téléréalité répandent sur les réseaux sociaux auprès de mineurs et d’adolescents sans même s’enquérir de la véracité ou pas de leurs propos. Enfin, elle dénonce le manque de transparence des conditions commerciales du site d’Anaca 3 et les effets secondaires que ce dernier a provoqué chez elle, à savoir une incontinence urinaire.
Sur le coup, aucune réaction n’est enregistrée de la part de la marque.

Ce n’est que six mois plus tard que celle-ci se fend alors d’une notification par huissier de justice en exigeant le retrait du billet incriminant Anaca 3 et en menaçant de porter l’affaire en justice pour « diffamation et propos injurieux » si Carline Beauty n’obtempère pas. La cause probable de ce revirement ? Le référencement naturel du dit article sur Google. Lorsqu’on tape effectivement « Anaca 3 » ou « Anaca 3 avis », le billet de blog figure très visiblement parmi les dix premiers résultats. D’où l’empressement de la marque à corriger ce qu’elle estime être une « tâche » dans sa réputation en ligne.

La loi marche sur des œufs

Cette tactique véhémente a cependant de quoi interpeler. Certes, il existe quelques jurisprudences de cas similaires comme celui d’un restaurant italien du Cap-Ferret qui avait réussi à faire condamner en 2014 une blogueuse ayant descendu en flammes la réputation de l’établissement suite à une expérience sur place malheureuse. L’impétrante a dû supprimer son article et verser 1500 euros à titre de provision sur dommages et intérêts et 1000 euros de frais de procédures (4). Le Code Civil français comporte en effet une série de textes de lois qui visent à réprimer diverses infractions issues d’articles en ligne comme l’injure, la diffamation, l’incitation à la haine raciale, le harcèlement ou l’apologie du terrorisme via internet, mais aussi les atteintes au droit à l’image et à la vie privée.

En dépit de cet arsenal législatif, il n’en demeure pas moins que les condamnations restent relativement rares et relèvent plus souvent de cas graves comme l’apologie du racisme ou de la haine. De plus, les juges ne suivent pas forcément les plaignants invoquant la diffamation. En décembre 2014, une entreprise s’est ainsi vue déboutée par le TGI de Clermont-Ferrand alors qu’elle contestait les commentaires négatifs à son sujet publiés par des internautes sur une plateforme d’avis. Comme le note Murielle Cahen, avocate au barreau de Paris (5), « L’équilibre entre le droit de libre critique et les abus de la liberté d’expression est très difficile à trouver. Les sites d’appréciation d’entreprise relèvent, pour les juges, de l’intérêt général et donc constituent, rarement, un usage abusif de la liberté d’expression ».

A cet égard, il va donc être intéressant de suivre le contentieux entre Anaca 3 via la société Nutravalia et la blogueuse Carline Beauty qui, après avoir largement alerté sa communauté des intentions belliqueuses de la marque, a décidé de répondre au bras-de-fer engagé par l’entreprise (6) : « Je tenais à vous informer que je suis désormais représentée par un avocat face à #Anaca3 #Nutravalia ! Je ne supprimerai donc pas l’article pour le moment. Je vous tiens au courant de la suite des événements… Merci pour cette incroyable solidarité ».

Cet éternel effet Streisand

Les propriétaires d’Anaca 3 ont semble-t-il oublié la sacro-sainte règle de l’effet Streisand. A vouloir à tout prix cacher ou éliminer un contenu qui déplaît, on aboutit à des effets inverses. Visibrain, la plateforme de veille sur Twitter, a ainsi relevé que pour la seule journée du 21 octobre (soit un jour après l’annonce de la blogueuse des poursuites à son encontre), la marque avait fait l’objet de 6389 tweets liés au conflit entre Anaca 3 et Carline Beauty. Dans la foulée, deux médias (Terra Femina et Le Monde Santé ont également consacré des articles sur le sujet. Autant dire que ce regain d’intérêt ne peut qu’amplifier l’écho donné à l’affaire et nourrir de surcroît le référencement naturel de l’article incriminé par la société Nutravalia.

Autre point étonnant : le nombre d’avis négatifs qui pullulent autour de la marque. Même si les détenteurs d’Anaca 3 ont mis en place une redoutable machine de guerre digitale pour promouvoir fortement leur produit, il suffit toutefois de visiter divers sites où le complément est proposé à la vente pour y lire une prose peu amène. C’est le cas par exemple sur Amazon. A l’heure d’aujourd’hui, 83 clients ont rédigé des commentaires. 42% lui attribuent une étoile et assortissent leur notation d’épithètes peu flatteuses pour la marque. Seulement 27% se déclarent ravis avec 5 étoiles. Mais au final, la note moyenne est de 2,5 sur 5 ! Sur You Tube, on trouve également des vidéos au ton particulièrement mordant comme celles de Céline’s Diaries qui n’épargnent pas le produit.

A la lumière de ces avis que la marque n’ignore probablement pas (si elle effectue une veille digne de ce nom), il apparaît donc disproportionné d’exiger de la part d’une blogueuse, le retrait de son article défavorable. Anaca 3 ferait mieux de s’employer à apporter des éléments probants de l’efficacité de son produit pour pondérer les critiques plutôt que s’ingénier à éradiquer les contenus qui déplaisent. Même si les juges venaient à donner raison au plaignant (ce qui n’est pas vraiment assuré au regard de la teneur de l’article de Carline Beauty), la marque met quand même son capital réputationnel à risque. Parfois, il vaut mieux savoir faire le dos rond et contrer avec des arguments factuels plutôt que tout miser sur une procédure juridique qui a déjà eu le don de bien mobiliser la communauté en ligne de Carline Beauty.

Sources

– (1) – Tweet de Carline Beauty du 20 octobre 2018
– (2) – Laura Motet – « Les dessous d’Anaca3, la pilule minceur star des réseaux sociaux » – Le Monde.fr – 26 octobre 2018
– (3) – ES – « Ayem Nour : La photo qui agace les internautes au plus haut point… » – Public.fr – 12 avril 2018
– (4) – Mathilde Ceilles – « Condamnée en justice pour avoir critiqué un restaurant sur Internet » – Le Figaro – 15 juillet 2014
– (5) – Murielle Cahen – « Liberté d’expression et avis sur Internet » – Le Blog de Murielle Cahen – 23 février 2016
– (6) – Tweet de Carline Beauty du 26 octobre 2018



2 commentaires sur “Est-il pertinent pour une marque de menacer en justice un auteur d’avis négatifs ? L’exemple d’Anaca 3

    1. Olivier Cimelière  - 

      Je ne vois pas où est le communisme là-dedans, théorie qui m’est pourtant peu sympathique et crédible. Nous ne sommes pas dans la situation de la Turquie, Chine, Russie, Arabie Saoudite, etc … Après, il ne faut pas confondre liberté d’expression et promotion de propos haineux, racistes, homophobes, etc … Pour s »y retrouvr, un lien utile : https://www.lepoint.fr/societe/liberte-d-expression-et-censure-ce-que-dit-la-loi-07-06-2018-2225000_23.php

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