Changer (ou pas) de nom pour mieux faire redécoller sa réputation ? Le cas Boeing 737 MAX

Après deux graves catastrophes aériennes impliquant son avion 737 MAX, Boeing se retrouve face à une crise réputationnelle tenace. À tel point que Donald Trump s’est fendu d’un tweet en avril dernier pour inviter le constructeur aéronautique à modifier le nom de son modèle toujours cloué au sol depuis les accidents et qui continue de faire l’objet de spéculations nébuleuses quant à un retour dans les cieux. Lors du récent salon du Bourget, la question était sur les nombreuses lèvres des professionnels en dépit d’un démenti publié par Boeing sur un potentiel changement de nom.

D’abord l’Indonésie en octobre 2018 puis l’Ethiopie en mars 2019 et au final, un bilan humain terrible : 346 morts consécutifs à deux crashs d’un Boeing 737 MAX. Pour l’avionneur américain, le coup est rude en termes de conséquences financières et réputationnelles. Les compagnies aériennes n’ont plus le droit de faire voler les avions de cette gamme. Nombre de passagers se posent des questions sur la fiabilité et la sécurité du système de gestion de vol des 737 MAX. Les régulateurs nationaux et internationaux de l’aérien sont sur le qui-vive et n’entendent pas autoriser le redécollage de sitôt. Changer de nom est-il la solution ?

Un fleuron dans les turbulences de la défiance

Entré en service depuis deux ans, le 737 MAX est un atout essentiel pour le constructeur de Seattle dans la bataille commerciale qu’il livre en permanence à son rival européen historique, Airbus. Il est aussi au coeur d’une chute de confiance envers la sûreté de l’appareil. Les sondes de celui-ci ont envoyé des données erronées (pour une raison toujours inconnue) au système de contrôle automatisé de l’assiette de vol (MCAS) qui a alors mis l’avion en situation de piqué et les pilotes dans l’impossibilité de reprendre manuellement les commandes malgré l’application des procédures d’urgence. Suite à ces deux avaries mortelles, le PDG de Boeing, Dennis Muilenburg avait promis que (1) « quand le MAX reprendra les airs avec les modifications des fonctions du MCAS, il sera l’avion le plus sûr qui ait jamais volé ». Pourtant, Les autorités mondiales de l’aviation civile n’ont toujours pas fixé de date de retour en service alors que les équipes techniques de Boeing sont à pied d’oeuvre pour résoudre la défaillance.

Pendant ce temps, la réputation et la confiance s’érodent. Bien que statistiquement le 737 MAX enregistre uniquement deux crashs en activité commerciale, l’intervalle de temps rapproché entre ceux-ci et le bilan humain énorme qui en résulte, ont plombé l’image de cet avion incarnant la quatrième génération de la série 737. Jamais dans le monde, autant de compagnies aériennes et d’autorités de contrôle aérien nationales et mondiales n’avaient alors aussitôt décidé d’immobiliser tous les appareils de cette gamme. Autant dire que l’ampleur de ces interdictions a considérablement frappé l’opinion publique et suscité une intense couverture médiatique.

Comme si cela ne suffisait pas, le président des Etats-Unis lui même, s’est mis à tweeter sur le sujet de manière péremptoire en critiquant l’informatisation poussée des avions de ligne. Un mois plus tard, il en remet une couche et conseille à Boeing (2) : « Que sais-je au sujet des stratégies de marketing, peut-être rien (mais je suis quand même devenu Président!). Mais si j’étais Boeing, je réparerais le Boeing 737 MAX, j’ajouterais quelques grandes fonctionnalités supplémentaires, et je modifierais le nom de l’avion ».

Entretemps, le rapport préliminaire d’enquête avait mis en cause le système de gestion de vol de l’avion dans son ensemble et préconisé que Boeing revoit ce dernier de fond en comble, le premier correctif présenté à l’agence fédérale de l’aviation civile américaine (FAA) ayant été retoqué.

Regagner des cieux plus cléments

En attendant la remise du rapport d’enquête complet qui devrait requérir encore de nombreux mois, le scénario du pire n’en finit pourtant pas de s’étirer pour Boeing. Malgré un louable effort de communication plus transparente à travers une rubrique d’information dédiée sur le site corporate, l’avionneur voit les jours passer avec un lot de rebondissements qui n’aide pas vraiment à restaurer l’image au sein des médias et du public mais aussi au sein de l’écosystème aérien. Le 23 mai dernier, au terme d’une réunion sous l’égide de l’agence fédérale américaine de l’aviation (FAA), le 737 MAX demeure proscrit de vol sine die. 

Et le PDG de Boeing d’admettre que le retour dans le ciel serait probablement soumis à un long processus de certification (3) : « chaque pays prendrait sa propre décision. S’ils pouvaient lever l’interdiction peu après nous (NDLR : la certification de la FAA), je pense que ce serait positif pour la confiance du grand public ». Les autorités internationales ont en effet émis des doutes sur la façon dont la FAA a initialement certifié le 737 MAX. Une divergence qui n’est pas sans incidence pour Boeing puisque jusqu’à présent, c’est un principe de réciprocité mondiale entre autorités qui s’applique lors du décernement d’une certification par un pays. Ce qui pourrait ne plus être le cas ultérieurement au regard des suspicions des organismes mondiaux. 

Depuis mai 2019, Boeing a également entrepris un travail de reconquête de l’opinion. La société multiplie les excuses envers les familles des victimes. Mi-mai, le constructeur aéronautique va plus loin et reconnaît l’existence de plusieurs défauts dans les simulateurs de vol servant à la formation des pilotes pour le 737 MAX. Lesquels se sont donc retrouvés dans l’incapacité d’être aptes à gérer toutes les éventualités en conditions de vol, notamment le décrochage de l’appareil qui a provoqué les crashs en Indonésie et en Ethiopie. Juste avant le grand raout mondial qu’est le salon du Bourget du 17 au 23 juin, Dennis Muilenburg a réitéré son mea culpa en admettant que son entreprise avait commis une “erreur” (4) dans sa gestion de la sécurité du cockpit et que la communication de celle-ci avait été “inacceptable”(5) dans la foulée des deux catastrophes.

Et l’idée de changer le nom ressurgit

En dépit des avatars répétés, certains acteurs de l’aérien se déclarent pourtant prêts à faire revoler des 737 MAX. Le 22 juin à l’occasion d’un forum interne, le PDG d’American Airlines, Doug Parker déclare qu’il mise ouvertement sur un come-back de l’avion pour début septembre 2019 dont il possède 24 exemplaires et en attend 76 autres (6) : « nous vendons des billets sur 737 MAX. Nous les vendons pour le 4 septembre ; nous ne les vendrions pas si nous ne pensions pas qu’ils voleraient d’ici là ». Au salon du Bourget, un autre dirigeant a à son tour témoigné de sa confiance dans la capacité de Boeing à trouver une solution efficace. PDG de Qatar Airways, Akbar al Baker a même joint les actes aux paroles en commandant 20 737 MAX pour sa filiale Air Italy. Tout en ajoutant que ce type d’avion devrait être renommé pour achever de convaincre le public (mais aussi des pilotes) sur des appareils associés aux deux crashes.

Cette option semble même devenir possibilité lorsqu’au même moment, le directeur financier de Boeing, Greg Smith, confesse à l’agence de presse Bloomberg que (8) « nous nous engageons à faire tout notre possible pour restaurer le 737 Max. Si cela signifie qu’il faut changer le nom du modèle pour redorons sa réputation, nous le ferons. Si nous n’utilisons pas cette alternative, nous nous occuperons de ce qui est hautement prioritaire ». Le grand argentier de l’avionneur est pourtant aussitôt démenti par sa propre entreprise dans un courriel adressé à la presse (9) : « Notre priorité immédiate est de remettre le MAX en service en toute sécurité et de regagner la confiance des compagnies aériennes et des voyageurs. Nous restons ouverts à toute proposition émanant de clients ou d’autres parties intéressées mais n’avons pas de projet à ce stade de changer le nom du 737 MAX ». 

Un coût financier énorme

La confiance reste effectivement le noeud gordien du dossier 737 MAX. Si quelques compagnies aériennes ont exprimé leur sympathie, d’autres ne partagent pas totalement le même point de vue. C’est le cas du PDG de Delta Airlines, Ed Bastian, qui n’y va pas avec le dos de la cuillère. Lors d’une conférence, il affirme tout de go (10) : « Honnêtement, ce qui est arrivé est quelque part impensable. En tant qu’industrie, je pense que nous avons été traumatisés et que nous avons toujours à l’esprit ce qui s’est passé ». Avant de nuancer quelque peu ses propos (11) : « 60% de nos avions qui volent, sont des Boeing. Boeing est depuis longtemps une entreprise aéronautique qui a le plus réussi dans le monde ». 

Après bientôt 5 mois d’immobilisation de son modèle controversé, l’heure est cruciale pour Boeing d’autant plus que l’affaire a coûté plus d’un milliard de dollars (12). Et l’addition pourrait nettement se corser malgré l’optimisme de Boeing qui a repris la production de son avion mais qui ne sait plus où le stocker au point de réquisitionner les immenses parkings de ses employés à Seattle en attendant de reprendre les livraisons. Un casse-tête que les analystes financiers évaluent déjà à 12 milliards de dollars (13) si le bannissement du ciel perdure. Sans parler des sombres prédictions des marchés financiers qui s’attendent à un ralentissement général de toute l’industrie de l’aviation commerciale. Richard Aboulafia, analyste aérospatial de Teal Group, explique (14) : « La crise de Boeing avec le 737 Max n’est pas le nuage sombre le plus inquiétant car elle peut être résolue. En revanche, les chiffres du trafic sont vraiment effrayants ». 

Bien que des vols d’essai soient programmés cet été par le constructeur, la réputation des 737 MAX reste sujette à caution, tant chez les pilotes agréés que chez un certain nombre de passagers et de compagnies aériennes. Paradoxalement, d’aucuns continuent de miser sur l’avion malgré les turbulences réputationnelles persistantes. L’embellie est notamment survenue le 18 juin. Après des mois de carnets de commandes vides, Boeing a annoncé la signature d’une intention de commande pour 200 737 MAX émanant du groupe IAG (British Airways, Iberia, Vueling et Aer Lingus). 

Alors, on change de nom ou pas ?

Dans ce contexte clair-obscur, une débaptisation de l’appareil est-elle encore une option pertinente ? Ceci d’autant plus qu’une telle opération est loin d’être anodine et ne se résume pas juste à un coup de pinceau et une modification de référence. Surtout lorsque cette décision est la résultante d’une situation de crise. Le changement de nom ne doit surtout pas être perçu comme un coup de billard cosmétique, histoire de camoufler un embarrassant passif. Celui-ci doit véritablement découler d’une grave crise où le nom incriminé est à bout de souffle et ne permet plus de poursuivre en l’état. Les exemples réputés ne sont pas si nombreux. Preuve s’il en est que cela exige un vrai motif. Comme celui du Crédit Lyonnais devenu LCL en 2005 dans la foulée de graves dérapages financiers de ses ex-dirigeants ou encore celui de Thomson-CSF transformé en Thalès suite à l’affaire sulfureuse des frégates taïwanaises. Là, il est nécessaire de purger une encombrante réputation.

Dans le cas de Boeing et si grave puisse être la crise qui affecte son 737 MAX, il est loin d’être acquis qu’un changement de nom redorera le blason de l’appareil. Du côté des passagers, la dénomination commerciale de l’avion ne parle guère, hormis aux aficionados de l’aéronautique. Dès lors, pourquoi changer alors que les clients se souviennent avant tout (quand ils s’en souviennent !) d’avoir volé sur un Boeing, un Airbus ou une autre marque d’avion mais beaucoup plus rarement du nom de série accolé à la marque ombrelle. Depuis son apparition en 1969, le Boeing 747 et ses différentes variantes ont été impliqués dans 78 crashes mortels. Le numéro de gamme 747 a pourtant été conservé et le gros-porteur a poursuivi sa carrière commerciale. Sans déclencher des vagues d’anxiété permanentes, excepté sans doute quelques associations de pilotes rétifs à ce type d’appareil ou des compagnies soucieuses de préserver à tout prix leur image. Il est donc fort probable que le 737 MAX ne recourra pas à un changement de nom. C’est avant tout la capacité technique de Boeing à résoudre définitivement la défaillance constatée lors des deux crashs, qui constituera le meilleur rempart pour redécoller dans de meilleurs conditions. Réputation incluse !

Sources