Crise #Coronavirus : la communication gouvernementale en fait-elle trop ou pas assez ?

A chaque crise sanitaire d’ampleur, c’est souvent la même ritournelle entonnée par le chœur des mécontents et/ou des éternels critiques des autorités en place : trop de gesticulations médiatiques ou alors pas assez de mesures fortes et rassurantes. Le coronavirus n’échappe pas à la règle surtout lorsqu’une part d’inconnu sur la pandémie, des peurs ancestrales et des infoxs viennent complexifier l’équation communicante. Et si on se posait un peu face à l’exigence d’hyper-communication et de risque zéro ?

Depuis que la Chine a confirmé l’émergence et la propagation du coronavirus (2019-nCoV), la région du Wuhan vit en autarcie sanitaire tandis que les expatriés rentrent dans leur pays natal. A peine posé le pied à l’aéroport de Roissy, d’aucuns, masque sur le visage, se sont émus de la quasi-absence de médecins à leur accueil et de contrôles comme la prise de température pour déceler une fièvre. Seules quelques affiches et panneaux indiquent les mesures de précaution à prendre. Lesquelles n’ont pas tardé à être moquées sur les réseaux sociaux et même par l’humoriste Anne Roumanoff sur Europe 1 (1) : « On a mis des affichettes dans les aéroports, comme ça le coronavirus, il lit l’affichette… et il repart. ».

Fake news, ce nouveau virus de la com’ de crise

Effet de la mondialisation oblige, la propagation d’un virus suscite immédiatement l’anxiété à travers la planète. Le SRAS (déjà apparu en Chine) puis les virus Ebola et Zika sont passés par là incitant les organisations de santé mondiales et nationales à se mettre dare-dare sur le pied de guerre. Pour certains pays comme la France, subsiste également dans la mémoire collective la calamiteuse gestion de l’épisode caniculaire qui avait duré trois semaines d’affilée en 2003 et qui avait conduit à plus de 19 000 décès. Depuis, la France a revu de fond en comble ses procédures d’alerte et de contrôle dès qu’une menace épidémique ou pandémique pointe potentiellement le bout de son nez sur le territoire national. Ce que n’a pas manqué de faire le ministère de la Santé et ses différents administrations sitôt connue le foyer infectieux du coronavirus dans la région du Wuhan.

Pourtant, une partie de l’opinion publique semble contester la pertinence de la communication des autorités de santé au sujet du nouveau virus. En plus de l’accueil aux aéroports apparu comme « déficient » aux yeux de certains, vient se greffer la question des réseaux sociaux désormais consubstantielle à toute crise d’ampleur qui frappe les esprits. Le coronavirus n’a pas failli à la règle. Le Web social n’en finit pas de charrier des théories plus farfelues et complotistes les unes que les autres. Bilan réel des victimes occulté, accident malencontreux d’un laboratoire chinois laissant échapper le virus, vaccin déjà existant et breveté mais gardé secret pour des motifs économiques ou politiques, virus transmissible par l’air et soignable par l’eau, les élucubrations ne manquent pas tant sur les réseaux sociaux chinois qu’occidentaux.

Répondre à l’aune des angoisses ?

Il est vrai que notre époque d’hyper-connexion a tôt fait de sonner le tocsin parfois avant même les premiers messages officiels comme ce fut le cas en octobre 2019 avec l’explosion de l’usine Lubrizol à Rouen et la pollution de l’air qui s’est ensuivie. A peine, la communication préfectorale diffusait-elle ses premiers messages d’alerte et de confinement que déjà les réseaux sociaux bruissaient d’explications conspirationnistes le gouvernement et le préfet du département. Cofondateur de l’agence de communication Coriolink, Jacky Isabello fait partie des experts au regard critique envers la ministre de la Santé, Agnès Buzyn. Selon lui, cette dernière ne prend pas assez la mesure des infox répandues sur les réseaux sociaux à propos du coronavirus (2) : « parce que les réseaux sociaux amplifient, déforment et créent de la post-vérité il est nécessaire d’agir en amont. Le manque d’informations et de communication transforment les craintes des publics en vexation, puis en violence ».

En tant que communicant chevronné, il tacle la tonalité communicante adoptée par Agnès Buzyn (3) : « Son propos, en tant que communicant mais aussi comme citoyen, ne m’a pas du tout rassuré sur la capacité du pays, non pas à gérer l’épidémie qui n’a pour l’instant qu’une très faible réalité dans notre pays, soyons clair, mais à montrer que nous sommes au plus près du terrain, au plus près du virus. Que le principe de précaution préside à toutes nos décisions. Et dans ce cas, ce principe inscrit dans notre Constitution française doit prévaloir également dans la mise en place d’un schéma de « gesticulations » nécessaires à la réassurance des populations ! ».

Autrement dit, il aurait fallu pousser le curseur de la gestion de crise pour accentuer à la fois la vigilance et la réassurance de l’opinion publique dorénavant exposée systématiquement aux fake news des plateformes sociales, Twitter et Facebook en tête. Face à une telle désinformation virale au sujet du coronavirus, il conviendrait en quelque sorte d’en rajouter dans la symbolique comme par exemple mobiliser des équipes sanitaires en combinaison et masque aseptiques prenant la température des passagers en provenance de Chine et médiatiser l’ensemble pour pousser les feux d’alarme. Autre professionnelle de la communication de crise expérimentée et cofondatrice de l’agence Maarc, Caroline Marchetti s’inscrit plutôt en faux à propos de cette radicalité communicante (4) : « Les leçons ont été tirées des épisodes de même type précédents, comme la grippe A (H1N1 en 2009) quand toute une mise en scène avait été faite avec des membres du gouvernement habillés en combinaison bactériologique, ce qui était très alarmant ».

Fast or slow ? That is the question !

Dans une crise d’ampleur mondiale comme celle du coronavirus, la tentation des autorités peut être effectivement de taper fort et vite pour montrer qu’elles gardent la main et que les choses sont sous étroit contrôle. C’est d’ailleurs l’option retenue par le gouvernement chinois une fois qu’il eut informé le 31 décembre 2019, l’Organisation Mondiale de la Santé de l’existence du virus extrêmement pathogène. Celui-ci n’a pas mégoté sur les annonces : construction en urgence de 2 hôpitaux supplémentaires dans la région du Wuhan sous 3 semaines, envoi de 450 médecins et infirmiers militaires et confinement strict de 56 millions d’habitants de la zone suspecte. Est-ce rassurant pour autant ?

A en juger par les messages inquiets et/ou vexés de la population locale concernée qui sont postés sur les réseaux sociaux chinois, il n’est pas certain que l’objectif ait été atteint. Cette dernière met notamment en doute les chiffres des cas de contamination et de mortalité et s’estime comme injustement pestiférée par le régime de Xi Jinping. En revanche, l’effet de sidération communicante aura plutôt fonctionné au regard du reste du monde. Connue par sa transparence informationnelle à géométrie très variable et l’opacité de plusieurs mois dont elle avait fait preuve durant le SRAS en 2003, la Chine avait besoin de rassurer et de prouver qu’elle était cette fois un partenaire dans la gestion de la crise en collaborant et en partageant les informations scientifiques.

Même tempo pour tous ?

La France aurait-elle dû emboîter le pas ? Probablement pas. Dans cette crise délicate, il ne faut absolument pas perdre de vue la dimension irrationnelle et psychologique à l’œuvre dans la perception de la pandémie par l’opinion publique. Pour s’en convaincre, il suffit de se référer aux témoignages un peu effarés des permanenciers du SAMU face aux questions primesautières mais réellement anxieuses du public. Au point d’agacer Patrick Goldstein, chef de service aux urgences du CHU de Lille (5) : « On n’appelle pas le 15 si on attend un colis Amazon qui vient de Chine ». Avec le coronavirus, ce sont en effet les peurs collectives qui ressurgissent en France et dans le monde occidental. Le virus est nouveau et a la capacité de muter rapidement. De surcroît, sa transmission initiale semble s’être faite entre l’animal (non clairement identifié à ce jour mais serpents et chauve-souris sont suspectés !). Enfin, il provient de Chine, source de précédents virus comme le SRAS ayant engendré 774 morts au total dans le monde.

Devant un terrain sociétal si sujet à l’angoisse, le risque d’amplifier les peurs n’est pas négligeable si le choix est fait de mettre en état de tension le corps sociétal. Parfois, il est nécessaire de mobiliser pour accroître la vigilance comme lors des attentats terroristes à Paris et à Nice. Parfois, il est plus que conseillé de suivre une ligne claire et factuelle. C’est l’optique pondérée dans laquelle s’est inscrite à raison la communication gouvernementale. Un site Internet dédié pour informer sur le coronavirus a été déployé. Toutes les administrations de santé ont pris la parole dans les médias et sur les réseaux sociaux pour tempérer et objectiver à mesure que les éléments avérés leur parvenaient. Responsable adjoint du département Analyse au Service d’information du Gouvernement (SIG), Jean-Noël Buisson est de ceux qui relaient sans cesse sur Twitter, les informations mais aussi les alertes sur les nouvelles infoxs écloses. Sans parler des points presse réguliers de la ministre de la Santé qui tient à rester sur le qui-vive mais mesurée.

Tout est sous contrôle ?

La partie est-elle gagnée pour autant ? Impossible de l’affirmer. Dans ce schéma stratégique de communication sensible, le gouvernement français (comme les autres nations) reste malgré tout tributaire de la source principale d’information : la Chine. Autant la France est en mesure d’annoncer l’existence de nouvelles personnes contaminées sur son territoire, autant elle doit s’appuyer sur les éléments en provenance du foyer majeur de la pandémie. En plus des peurs collectives, c’est l’autre paramètre incertain et volatile de la crise. L’Empire du Milieu joue-t-il cartes sur table ou bien escamote-t-il une partie de la réalité ? Correspondant pour France 2 en Chine et actuellement envoyé spécial à Wuhan, Arnauld Miguet constate sur le terrain une certaine nervosité des autorités. Pour autant, rien qui n’indique que la chape de plomb est activée.

L’enjeu de communication pour les haut-responsables français de la santé va donc être de conserver le cap d’une information ouverte et actualisée en permanence tout en évitant l’écueil de la sur-dramatisation mais aussi en étant ultra-réactif à chaque nouveau fait intervenu. Comme par exemple l’opération portes ouvertes sur le centre de vacances de Carry-le-Rouet (près de Marseille) qui accueille les premiers réfugiés sanitaires français. Bien qu’une partie de la population locale demeure hostile et anxieuse à l’idée d’avoir à proximité des personnes susceptibles d’avoir contracté le virus, ne rien expliquer sur les conditions d’hébergement des rapatriés aurait été un risque aggravateur de crise alimentant alors le syndrome bien connu du « on nous cache tout, on nous dit rien ».

Contextualiser avant tout et expliquer

A ce jour, rien n’indique donc qu’il soit nécessaire de rehausser les seuils d’alerte malgré la résurgence des peurs ancestrales face aux épidémies débarquées de l’étranger. En France, le coronavirus n’enregistre pour l’instant aucune victime alors même que la grippe saisonnière a déjà tué 22 personnes loin de l’agitation médiatique et numérique du 2019-nCoV. Bien que l’OMS ait resserré les niveaux de surveillance face au cap des 10 000 cas de contamination recensés, il convient de remettre les choses à leur échelle et dans leur contexte. Comme par exemple, expliquer que le taux de mortalité du coronavirus est à l’heure actuelle bien inférieur à cette même grippe si familière de tous en France et bien plus létale pour autant.

Ensuite, même si les réseaux sociaux et leur cortège de fariboles anxiogènes sont à surveiller de près, il ne convient en aucune manière de calquer systématiquement le rythme de communication sur ceux-ci. Certes, Lubrizol a démontré l’effet contraire avec une communication officielle passée sous le radar au profit de Twitter et consorts qui ont été quelque peu négligés. A la différence près que l’onde de choc de cette crise était plus retentissante dans les conversations digitales du fait de la proximité géographique de la crise et d’une relative absence des médias nationaux (au début de la crise) pour cause de deuil national en hommage à Jacques Chirac.

S’il existe une systémique globale récurrente à intégrer dans la gestion et la communication de crise, il est aussi impératif d’inclure les facteurs culturels et psychologiques qui vont altérer ou pas les perceptions de l’opinion publique. Un exercice d’équilibrisme permanent tant que la crise n’est pas résolue mais un exercice obligatoire au lieu de sortir l’attirail de tout-communicant pour estomper les peurs.

Sources

– (1) – Jérôme Vallette – « Coronavirus : l’alerte des communicants après le fiasco Lubrizol » – ComPol n°125 – 31 janvier 2020
– (2) – Jacky Isabello – « Crise du coronavirus : la communication est-elle rassurance ? » – La Revue Politique et Parlementaire – 26 janvier 2020
– (3) – Ibid.
– (4) – Séverine Rouby – « Coronavirus: informer sans alarmer, l’exercice d’équilibriste des autorités » – AFP – 31 janvier 2020
– (5) – Jérôme Vallette – « Coronavirus : l’alerte des communicants après le fiasco Lubrizol » – ComPol n°125 – 31 janvier 2020