Flop de communication de la Fédération nationale des chasseurs : Qui va à la chasse perd la face !

Profondément agacée par les clichés et les préjugés dont elle s’estime victime dans l’opinion publique, la Fédération nationale des Chasseurs (FNC) a choisi de répliquer depuis le 20 août avec une série de 8 mini-clips promotionnels diffusés sur les réseaux sociaux. Objectif : sortir du « vivons cachés » qui a longtemps prévalu dans la communauté des chasseurs et qui a laissé le champ libre aux détracteurs de tout poil pour ringardiser et décrier la chasse. Si l’enjeu d’image est assurément bien cerné, l’opération de communication rate sa cible au risque de se tirer en plus une balle dans le pied. Explications.

« Depuis que je suis gamin, les chasseurs ont cru que pour vivre heureux, ils devaient vivre cachés. On ne parlait pas dans les médias nationaux, et on a fini par se couper de l’opinion publique » (1). Ce constat sans gants émane de Willy Schraen, président de la Fédération nationale des chasseurs depuis 2016. Force est de constater que le n°1 des chasseurs vise juste. La réputation de ses pratiquants est calamiteuse et n’a jamais cessé de se dégrader au fil des décennies.

D’après le sondage Ipsos/One Voice en date de 2018 (2), 84% des Français jugent la chasse dangereuse pour eux et cruelle pour les animaux tandis que 19% seulement lui accordent son soutien. Autre enquête accablante : celle de l’IFOP/30 millions d’amis qui révèle en février 2019 que 78 % des Français estiment qu’Emmanuel Macron ne prend pas suffisamment en compte la protection animale dans sa politique. Face à un tel désaveu, le bouillant président a décidé de faire feu de tout bois pour reconquérir l’opinion et soigner sa réputation.

Le persistant syndrome de la galinette cendrée

Rarement, un sketch humoristique n’a aura autant traversé le temps avec un impact inoxydable. Au grand désarroi du milieu cynégétique, la galinette cendrée imaginée par le trio des Inconnus et apparue pour la première fois à la TV en 1991, continue de hanter la réputation du monde de la chasse. Dans cette saynète désopilante (voir la vidéo ci-dessous), les chasseurs sont largement tournés en ridicule : viandards rougeauds tirant sur tout ce qui bouge dans la forêt, piliers de comptoir à l’élocution avinée, maniaques machistes de la gâchette dégommant à tout va des volatiles à peine libérés de leur cage. Le costard est taillé dans les grandes largeurs mais il n’est pas sans refléter une certaine réalité pour qui a eu l’opportunité un jour de croiser certaines bandes de treillis kaki arpentant la nature, le fusil en bandoulière.

Face à ce désamour persifleur, les chasseurs ont longtemps opposé un silence obtus à ce public qui les comprend de moins en moins. En parallèle, ils ont opéré un lobbying discret auprès des élus ruraux et des décideurs politiques (en particulier, ceux du ministère de l’Agriculture) en faisant vibrer la corde sensible de la tradition séculaire façon « La Gloire de mon Père », le célèbre roman de Marcel Pagnol où la chasse est chantée et sublimée comme une protectrice de la nature.

C’était sans compter avec le décrochage réputationnel qui s’est inexorablement produit durant ces vingt dernières années à l’encontre de la chasse. A force de mutisme forcené, c’est l’image de la galinette cendrée qui a surtout percolé dans les esprits. Directeur de la communication de la FNC, Emmanuel Blacque-Belair en convient (3) : « Cette image vient du fait qu’on n’a pas assez expliqué ce que nous faisions. Alors automatiquement, le grand public se méfie de ce qu’il ne connaît pas. Mais parmi les opposants, combien connaissent vraiment la chasse ? (…) Ce n’est pas la caricature qu’on voit dans le sketch des Inconnus. Le grand public se méfie de ce qu’il ne connaît pas ».

Les chasseurs et leur batterie de casseroles

La posture taiseuse des chasseurs a ouvert un immense boulevard aux opposants. Au-delà des poncifs plus ou moins caricaturaux du sketch des Inconnus, des faits concrets sont également venus aggraver le déficit d’image. Cinq pommes de discorde ont nettement contribué à noircir la perception de la chasse au sein de l’opinion publique :

  • L’accident de chasse qui génère un sentiment d’insécurité parmi la population, notamment dans les zones rurales et plus particulièrement chez les néo-ruraux. En juillet 2020, l’Office français de la biodiversité a publié sa dernière fournée de chiffres. Si, en 20 ans, la tendance globale des accidents de chasse est à la baisse (- 41 % comparé au niveau de 1999), la saison 2019-2020 s’est révélé malgré tout plus accidentogène que la précédente, avec 141 victimes contre 131 et 11 accidents mortels contre 7 l’année d’avant (4). En cause : des mauvaises manipulations d’armes et des tirs à hauteur d’homme
  • La traque du gibier jusque dans des zones pavillonnaires, sur des routes ouvertes à la circulation et même dans des jardins privés dont les images filmées par des témoins circulent de plus en plus sur les réseaux sociaux. Des images qui sont parfois reprises par la presse et qui accréditent l’idée que les chasseurs sont prêts à tout pour obtenir la peau d’un animal. Un arrêté ministériel du 1er mars 2019 interdit d’ailleurs aux veneurs de la chasse à courre de poursuivre les animaux jusque dans une zone habitée ou commerciale
  • Les accrochages à répétition et parfois violents entre les chasseurs et les militants écologistes qui désormais n’hésitent plus à occuper le terrain, perturber des battues ou encore se porter acquéreur de domaines fonciers pour faire des espaces protégés comme tout récemment dans la Drôme où l’Association de protection des animaux sauvages (ASPAS) a acheté 500 hectares en vue d’établir une réserve de vie sauvage sans activité humaine. Au point de provoquer un clivage abrupt d’avec les chasseurs (5) : « C’est un mouvement national et européen composé de végans et d’antispécistes qui est en train de naître et qui nous submerge, dans nos campagnes, dans nos montagnes… On veut interdire toutes nos pratiques rurales et nos traditions, par des bobos de centre-ville et des intellos. Y en a marre ! »
  • La pollution engendrée par les activités cynégétiques qui est régulièrement clouée au pilori par les associations environnementales. Au-delà des déchets classiques parfois abandonnés en zone naturelle (restes alimentaires, emballages, etc.), s’ajoute un sujet nettement plus problématique : les cartouches tirées et leurs résidus de plomb. Les études parlent d’environ 8 000 tonnes ainsi dispersées dans la nature française (6) et provoquant des intoxications mortelles chez les oiseaux
  • L’élevage d’animaux destinés à la chasse dite loisir est de moins en moins tolérée. 30 millions de têtes (lapins, perdrix, canards, cerfs, lièvres, etc.) sont ainsi élevées annuellement (7) en France pour permettre aux chasseurs de disposer de gibier à abattre en plus des espèces sauvages. Une activité « récréative » qui met vent debout les associations écologistes et de défense des animaux

Enfin, en plus de ces controverses qui collent obstinément aux bottes des chasseurs, ceux-ci ont également vu fondre le volume de leurs troupes. Longtemps considérée comme un passage de témoin générationnel, la chasse peine dorénavant à recruter. La France comptait 2,3 millions de pratiquants en 1976 (8). Un demi-siècle plus tard, ils ne sont plus que 1 million à manier le fusil avec de surcroît une sur-représentation des hommes (seulement 2,5% de femmes s’adonnent à la gâchette) dont 53% sont âgés de plus de 55 ans.

Premières salves de communication

Face à ces volées de bois vert, la communauté cynégétique a progressivement entamé un virage en matière de communication. Au début des années 2010, la FNC commence à investir les thématiques environnementales, là même où les ONG n’ont de cesse de lui mordre les mollets. Elle s’érige alors en protectrice et gestionnaire responsable de la biodiversité animale dans les territoires. Etudes scientifiques à l’appui, la fédération avance des chiffres attestant de l’impact positif des chasseurs qui préservent ainsi l’équilibre écologique et limitent les surpopulations de certaines espèces.

Ce filon argumentaire va connaître une nette accélération avec la nomination de Willy Schraen à la tête de la FNC en 2016. En premier lieu, il paie de sa personne. Le verbe haut, il n’hésite pas à fréquenter régulièrement les plateaux de télévision pour faire entendre la voix des chasseurs et leur contribution à l’écologie. Deux ans plus tard, c’est une vaste campagne de communication qui est déployée avec affichages urbains et posts sur les réseaux sociaux. L’accroche est gonflée : « Les chasseurs, premiers écologistes de France ? ». Et la réponse qui accompagne le slogan l’est tout autant (9) : « Ils participent bénévolement à la sauvegarde de la biodiversité de nos campagnes. Les apports de la chasse à la nature sont estimés à 360 millions d’euros par an ».

L’offensive communicante ne passe pas inaperçue. Si elle semble souder le corps des chasseurs et de leurs sympathisants, elle déclenche en revanche des critiques incendiaires comme par exemple celle de Muriel Arnal, fondatrice de One Voice, une association de protection animale particulièrement anti-chasse (10) : « Chasser, c’est un loisir. S’ils étaient sincères, ils joueraient là-dessus au lieu de dire qu’ils entretiennent la biodiversité. Que font ces gens-là ? Ils entretiennent leur terrain de jeu et pas la nature. La nature n’a pas besoin d’être entretenue ».

Dédiaboliser la chasse

Consciente que leurs adversaires mènent une bataille rangée sur les réseaux sociaux et dans les médias, la FNC vient de relancer ces derniers mois, un plan de communication à double-détente. Côté médias classiques, Willy Schraen a sorti un livre le 11 août intitulé Un Chasseur en campagne. S’il n’y mâche pas ses mots, c’est surtout la préface du tout nouveau Garde des Sceaux et chasseur revendiqué, Eric Dupond-Moretti qui a créé le buzz. Ce dernier atomise les écologistes et les anti-chasses en les traitant successivement « d’intégristes, d’illuminés et d’ayatollahs de l’écologie » (11). Avant de poursuivre : « Ils veulent que nous ayons honte d’être chasseur, […] nous culpabiliser d’être ce que nous sommes, car nous sommes aussi notre passion. Et depuis trop longtemps nous refusons de nous défendre, convaincus sans doute que l’intolérance et l’absurde ne méritent pas de réponse » (12).

Une fois la mèche allumée, la FNC monte alors en puissance sur le digital, un terrain qu’elle a longtemps sous-estimé. Depuis fin juin, elle bénéficie d’un site Web intégralement refondu richement illustré d’images léchées et de textes sur la défense de la biodiversité. Mais c’est sans nul doute dès le 20 août que le bruit médiatique a grimpé à son climax. Une web-série de 8 épisodes a été mise en ligne sur YouTube et viralisée sur les autres réseaux. Le ton décalé emprunte au langage des jeunes de cités ou des branchés et met délibérément en scène une majorité de personnages féminins pour vanter le « kiff » que procure la chasse. La dédiabolisation voulue va pourtant tourner vinaigre.

A côté de la cible

Si la web-série a fait couler de l’encre, elle a surtout raté le coche en sonnant totalement faux. Dialogues et acteurs ne sont absolument pas crédibles et ressemblent plus à un mauvais remake d’Hélène et les garçons qu’à une galerie de saynètes entraînantes et convaincantes. On peut d’ailleurs noter au passage que la FNC a désactivé les commentaires sur YouTube, anticipant sans doute que le défouloir serait surtout au rendez-vous. Et si l’on regarde le delta entre pouce levé et pouce abaissé pour chaque clip, force est de constater que le négatif l’emporte systématiquement.

Autre pierre d’achoppement : le président de la FNC lui-même. Son militantisme avéré ne le prémunit pas pour autant de certains dérapages lorsqu’il s’exprime. Ce fut le cas par exemple en mai 2020 lors d’un live Facebook où Willy Schraen s’emmêle royalement les pinceaux en préconisant le piégeage des chats à plus de 300 mètres d’une habitation. Lesquels sont à ses yeux des tueurs d’animaux bien plus importants que les chasseurs humains. Face à la polémique, il tentera de déminer en prétextant qu’il parlait des chats errants et pas des chats domestiques.

Une course de longue haleine

Autant dire que la FNC n’est pas sortie de l’auberge dans sa tentative malheureuse de regagner les cœurs. Entre un président aux propos qui frôlent souvent la caricature du chasseur et une série de clips à la ligne éditoriale absolument inadaptée, les chasseurs sont encore loin de regagner le terrain perdu en matière d’image. Même si quelques Instagramers (dont Johanna Clermont, chasseresse et influenceuse aux 125 000 abonnés ou son alter ego, Fiona Hopkins avec 19 400 fans) viennent à la rescousse pour dépoussiérer les discours sur la chasse, il n’en demeure pas moins que la FNC ne parvient pas à briser les stéréotypes tant le passif est énorme et date depuis longtemps.

Lobbyiste pro-chasse patenté et conseiller politique de la FNC, Thierry Coste est lui-même conscient du gouffre qui s’est creusé entre les chasseurs et l’opinion publique (13) : « Les chasseurs ont 30 ans de retard. La reconquête va durer plusieurs années ». En attendant, l’étau se resserre toujours un peu plus comme en témoigne la décision d’Emmanuel Macron de suspendre le 27 août dernier l’autorisation de la chasse à la glu dans l’attente d’une réponse de la Cour de justice de l’Union européenne sur cette méthode controversée qui consiste à piéger des petits oiseaux pour en attirer de plus gros que les chasseurs peuvent alors tirer au fusil.

Malgré la volonté de montrer que la chasse est écologique et confère un certain style de vie « kiffant », les bons vieux réflexes crispés ont aussitôt ressurgi. Dans un communiqué cinglant, la FNC s’est dit « sidérée » en accusant le gouvernement de « perdre son sang-froid face à une campagne de dénigrement conduite par les ONG, avec le soutien implicite de la ministre de l’écologie (…) Les chasseurs ne peuvent pas comprendre que cette pratique soit sacrifiée au nom d’un affichage politique “vert” sans fondement réel pour qui se préoccupe réellement de biodiversité au sein des territoires, comme nous le faisons au quotidien ! ». Chassez le naturel, il revient au galop !

Lectures complémentaires utiles

– Simon Auffret – « Les chasseurs, « premiers écologistes de France » ? Histoire d’une communication politique » – Le Monde – 31 août 2018
– Marie-Béatrice Baudet – « Les chasses gardées de Willy Schraen » – Le Monde – 1er mars 2019

Sources

– (1) – Charlotte Causit & Ilan Caro – « Réseaux sociaux, fibre écologique, féminisation… Comment les chasseurs tentent de moderniser leur image » – Francetvinfo.fr – 30 août 2020
– (2) – Alice Tétaz – « Les Français rejettent massivement la chasse » – Ipsos.fr – 11 octobre 2018
– (3) – Vincent Bresson – « Les chasseurs se lancent dans la guerre de l’image » – Slate.fr – 30 août 2020
– (4) – « Bilan des accidents de chasse 2019-2020 » – Site de l’Office français de biodiversité – 17 juillet 2020
– (5) – Alexandre Billette – « Drôme : Chasseurs-éleveurs-agriculteurs «tradis», contre écolos » – Libération – 22 août 2020
– (6) – Aurore Coulaud – « Chasse : le plomb, un poison pour l’homme et l’environnement » – Libération – 14 février 2019
– (7) – Emilie Torgemen – « Le terrible élevage des animaux «sauvages» destinés à la chasse » – Le Parisien – 28 novembre 2018
– (8) – Charlotte Causit & Ilan Caro – « Réseaux sociaux, fibre écologique, féminisation… Comment les chasseurs tentent de moderniser leur image » – Francetvinfo.fr – 30 août 2020
– (9) – Vincent Bresson – « Les chasseurs se lancent dans la guerre de l’image » – Slate.fr – 30 août 2020
– (10) – Ibid.
– (11) – E.F. – « Eric Dupond-Moretti et les « ayatollahs de l’écologie » : la préface qui le place sous le feu des critiques » – L’Obs – 18 août 2020
– (12) – Ibid.
– (13) – Charlotte Causit & Ilan Caro – « Réseaux sociaux, fibre écologique, féminisation… Comment les chasseurs tentent de moderniser leur image » – Francetvinfo.fr – 30 août 2020
– (14) – Perrine Mouterde – « Chasse à la glu : l’Elysée tranche en faveur des défenseurs des animaux » – Le Monde – 27 août 2020