Communication & Santé mentale : La psychiatrie est-elle condamnée à un traitement médiatique négatif ?
Pathologies psychiatriques et suicides sont régulièrement conviés à la une des médias et investissement même le domaine des réseaux sociaux. En dépit des efforts conduits par diverses associations et par les professionnels du secteur, le sujet de la santé mentale demeure empreint de clichés, voire de stigmatisation tenace dans leur traitement journalistique et la perception globale qui en découle. Doit-on dès lors se résoudre à ce que la santé psychologique soit systématiquement associée aux drames humains et parfois à un mimétisme ou une peur contagieux ? Lors des 10èmes rencontres de la communication hospitalière de la FHF à Montrouge le 28 juin dernier, un atelier débat a montré que rien n’est inéluctable pour peu que les parties prenantes sachent adapter mutuellement leur communication et dialoguer. Synthèse des idées clés.
Bien qu’il reste persuadé que la couverture médiatique de la psychiatrie et des maladies qu’elle prend en charge, peut malgré tout s’améliorer à l’avenir, le docteur Christian Muller ne verse pas dans la langue de bois pour s’indigner ouvertement du travail des journalistes lorsqu’il s’agit de couvrir l’actualité psychiatrique. Président de la Conférence des présidents de commission médicale d’établissement (CME) de centres hospitaliers spécialisés (CHS) en psychiatrie, il constate que la psychiatrie demeure toujours quasiment abordée sous l’angle des drames individuels et/ou de la peur que les pathologies mentales exercent dans l’opinion publique. Pour autant, un programme expérimental inédit baptisé Papageno associe actuellement étudiants en journalisme et internes en psychiatrie pour faire évoluer les regards et la restitution éditoriale du sujet du suicide. Avec déjà quelques résultats probants à la clé.
Le rejet est encore vivace
Si l’univers psychiatrique a longtemps engendré à la fois stigmatisation et discrimination aux yeux du Dr Christian Muller, son climax médiatique a été atteint lors du drame de Pau. Dans la nuit du 17 au 18 décembre 2004, une aide-soignante et une infirmière travaillant pour l’hôpital psychiatrique de la cité paloise sont retrouvées assassinées dans un des bâtiments. L’une des deux victimes a même été décapitée. Le criminel est arrêté quelques semaines plus tard par la police. Il s’avère être un patient déjà interné à plusieurs reprises pour schizophrénie dans cet établissement dont il s’est enfui la veille de commettre ses meurtres. L’affaire est hautement médiatisée et suscite un émoi considérable et des débats vifs sur la prise en charge des malades mentaux en France et l’échec des moyens alloués à ce secteur médical.
Le Dr Christian Muller se souvient encore de cet épisode marquant où les journalistes pénétraient librement sur le site et cherchaient frénétiquement des témoins, quitte à solliciter des voisins, des représentants des forces de l’ordre ou bien encore du personnel hospitalier encore sous le choc de l’horreur perpétrée. Pour lui, le traitement médiatique a constitué une véritable catastrophe en termes de perception de la psychiatrie au sein de la population : « Cela a réactivé encore plus intensément les mythes longtemps accolés à cette discipline médicale où les personnes désignées comme folles doivent être mises à l’écart, où même ceux qui ont pour fonction de soigner, sont souvent regardés comme des thérapeutes à part et même pour certains, aussi « fous » que leurs malades. Par leur vocabulaire, les médias ont contribué à encore plus ancrer ce regard stigmatisant et discriminant. On ne parle plus de personne souffrant de schizophrénie mais d’un schizophrène. L’humain est réduit à un diagnostic et une pathologie ».
Pourtant, des efforts ont déjà été consacrés depuis les années 90 pour tenter de faire évoluer les mentalités auprès du public. Sous l’impulsion de la World Psychiatric Association, un programme intitulé « Open the doors » avait été mis sur pied dans de nombreux pays avec comme objectif d’élever les connaissances du grand public à l’égard de cette discipline médicale (mais aussi sur la schizophrénie) et par ricochet, obtenir une compréhension plus apaisée de la maladie. Les résultats furent malheureusement à l’opposé des bénéfices escomptés. Selon Christian Muller, « on ne peut pas réduire la question de la maladie mentale à uniquement des campagnes d’information. C’est voué à l’échec. Le thème de la folie est quelque chose de très sensible et profond dans l’inconscient collectif. Une campagne ne touchera et convaincra que ceux qui ont déjà souffert eux-mêmes ou via des proches. Les autres resteront dans la crainte d’autant plus que les médias recourent à une sémantique et des amalgames sans cesse anxiogènes ».
Un phénomène irréversible ?
Face à la difficulté de modifier la réputation de l’univers psychiatrique, plusieurs associations de la région Nord-Pas-de-Calais ont récemment décidé de tester un dispositif original sur le thème également très sensible du suicide. Leur réflexion s’appuie sur un constat et une exhaustive bibliographie d’études médicales. Le suicide médiatisé et/ou rendu public à large échelle comporte des effets délétères qui peuvent conduire à une augmentation significative des suicides parmi la population. Cet effet s’appelle l’effet Werther, du nom du jeune personnage romanesque de l’écrivain allemand Johann Wolfgang von Goethe, qui se donna la mort suite à une violente déception amoureuse. A l’époque en 1774, la publication du roman entraîna une vague de suicides sans précédent en Europe. Un pareil effet a été scientifiquement observé en 1962 lorsque l’actrice Marylin Monroe mit fin à ses jours en absorbant une dose massive de barbituriques. Les médias du monde entier s’emparèrent de l’affaire. Dans les jours qui suivirent, la ville de Los Angeles observera une hausse de 40% du taux de suicide comme le précise Nathalie Pauwels, chargée du déploiement en France du programme Papageno et par ailleurs, responsable de la communication et des relations presse au sein de la Fédération régionale de recherche en psychiatrie et santé mentale (F2RSM) Nord – Pas de Calais.
En 1998, un autre phénomène attira l’attention des chercheurs. A cette période, les médias firent écho au suicide par combustion au charbon de bois alors en pleine recrudescence en Asie. Lorsque les survivants furent interrogés sur le motif déclencheur de leur passage à l’acte, 87% ont répondu que la lecture d’un article de presse (souvent accompagné de détails opératoires précis, de photos « rassurantes », etc) avait provoqué leur geste. C’est donc sur la base de cette corrélation entre traitement médiatique du suicide et passage à l’acte que s’est bâti le programme Papageno. Avec une conviction forte : l’information, lorsqu’elle répond à certaines caractéristiques éditoriales (par exemple, des formules sémantiques adaptées comme « s’enlever la vie » plutôt que « suicide réussi »), pourrait contribuer à prévenir les conduites suicidaires. L’idée n’est pas pour autant d’occulter ou de faire l’impasse journalistique d’un suicide mais d’en parler de manière plus pondérée, plus humaine également et de déconstruire certains mythes associés au suicide comme le courage ou a contrario, la lâcheté et l’égoïsme.
Des premiers signes positifs tangibles
Le programme a choisi par conséquent de miser sur des rencontres régulières entre une promotion d’étudiants en 1ère année de l’école de journalisme de Lille (ESJ) et un groupe de jeunes internes en psychiatrie, l’ensemble étant accompagné par des experts psychiatres et un journaliste professionnel. Les jeunes reporters ont eu pour travail de mener des investigations sur le suicide et d’exposer ensuite le résultat éditorial de celles-ci à un collège d’observateurs pouvant au besoin les aider à corriger ou moduler certains regards. Dans le même temps, le groupe d’internes s’est attaché à déconstruire certains lieux communs concernant le suicide. Des lieux communs que les professionnels véhiculent parfois eux-mêmes sans s’en rendre réellement compte. Le programme a d’ores et déjà pris de l’ampleur devant l’intérêt rencontré. 283 futurs journalistes issus d’une dizaine d’écoles ont ainsi participé à Papageno. Avec des actions supplémentaires significatives du dialogue qui s’est enclenché comme l’organisation régulière de cafés-psy où internes et jeunes journalistes poursuivent la discussion. 74 apprentis reporters ont même passé plusieurs jours en immersion dans un hôpital psychiatrique pour mieux s’imprégner et restituer avec plus de justesse et d’humanisme la thématique complexe du suicide.
S’il est certes encore un peu trop tôt pour tirer des conclusions plus élaborées (notamment dans la capacité à enrayer et prévenir des suicides lorsqu’un cas est médiatisé), les intervenants du programme Papageno notent une incontestable modification des regards et des préjugés tant chez les journalistes que chez les internes souvent méfiants à l’égard de la presse. Ces derniers attendent également avec impatience les premières conclusions des analyses effectuées sur le traitement médiatique du suicide de l’acteur Robin Williams en 2014 et les effets collatéraux que celui-ci aurait pu engendrer. Ceci d’autant plus que les réseaux sociaux s’étaient pleinement emparés de l’histoire oscillant entre émotion, admiration ou au contraire condamnation du geste désespéré. Une chose est en revanche acquise. Par un dialogue continu et ouvert entre des parties prenantes, on peut parvenir à faire évoluer une réputation et des perceptions. L’affirmation peut sembler d’une évidence biblique. Pourtant, elle reste encore peu pratiquée, chacun préférant souvent camper sur ses croyances plutôt qu’essayer d’appréhender la réalité sous un autre prisme.
Pour en savoir plus
– Consulter les informations du site Prévention Suicide
– Suivre l’actualité du programme Papageno
– S’abonner au fil Twitter de Papageno
– Lire l’article du Monde sur le nouveau dispositif anti-suicide de Facebook en français
Un commentaire sur “Communication & Santé mentale : La psychiatrie est-elle condamnée à un traitement médiatique négatif ?”-
sanlaville -
Bonjour,
Je vous fais partager mon expérience en vous présentant un livre que je viens de faire éditer. J’essaye de présenter ce qu’est le soin en psychiatrie d’une façon compréhensible par tout le monde.
Je vous donne ci dessous un article de présentation et le lien vers l’éditeur
Cordialement
Dominique Sanlaville
Tranches de vie en psychiatrie
Réflexions d’un infirmier
Dominique Sanlaville
Infirmier en psychiatrie depuis 1977, j’ai voulu réaliser un travail de réflexion sur l’évolution de la pratique de la psychiatrie en France
Au travers de quelques cas, au travers de la vie d’un hôpital, des services que j’ai connus et des collègues et des malades que j’ai rencontrés, j’ai essayé de transmettre mon expérience et surtout de mettre en évidence ce qui me semble indispensable dans la relation avec le malade.
Une psychiatrie déshumanisée :
Des anecdotes, des textes simples à lire, abordables par tous et même parfois volontairement humoristiques présentent ce monde obscur de la psychiatrie qui fait peur, mais qui est souvent le reflet de celui des gens normaux.
Des cas concrets illustrent les différentes pathologies. Et au fil des pages, se dessine cette réflexion qui définit ce que doit être le soin.
C’est aussi l’histoire de cette psychiatrie qui s’est peu à peu dépsychiatrisée, déshumanisée…
Disparition de la psychothérapie :
La façon de comprendre, de considérer et d’accepter la maladie mentale a beaucoup changé. Les impératifs budgétaires, les protocoles et une médicalisation trop importante ont réduit peu à peu l’activité du soignant à des gestes techniques aseptisés et rentables financièrement. La psychothérapie a disparu, le mot inconscient n’est même plus prononcé. Les électrochocs et les attaches reviennent en force. On ne prend plus le temps d’écouter et de comprendre le patient, de connaître son histoire et celle, intimement liée, de sa maladie. Il faut surtout le normaliser, effacer ses symptômes pour qu’il ressorte au plus vite avec souvent comme seule aide, son traitement médicamenteux.
Le mal être en psychiatrie ne concernerait pas que les patients :
On a oublié que c’est la relation qui est porteuse du soin. Et sans cette relation thérapeutique, le travail de l’infirmier risque d’être vidé de son sens. En fin de carrière, j’ai l’impression que ce métier n’est plus fait pour moi, je m’y sens mal et parfois même, il m’arrive de ne pas être fier de ce que je fais…
Je constate que mes jeunes collègues ne sont plus motivé(e)s et veulent s’en aller. Le mal être en psychiatrie ne concernerait donc plus seulement que les patients.
Tranches de vie en psychiatrie Dominique Sanlaville
Editions Edilivres juillet 2016 218 pages
Format papier 17,50 euros format numérique 1,99 euros
https://www.edilivre.com/catalog/product/view/id/761348/s/tranches-de-vie-en-psychiatrie-dominique-sanlaville/