Le hashtag est-il devenu un vecteur de communication et d’activisme qui change vraiment la donne ?

De discrète métadonnée apparue dès l’émergence des réseaux sociaux, le signe cabalistique # plus connu sous le nom de hashtag (mot-clé en français académique) s’est progressivement imposé comme un vecteur de communication pour faire émerger une thématique dans le flux incessant des messages numériques. Voire comme un étendard pour engendrer une mobilisation d’envergure autour d’un sujet crucial d’ordre politique, social, environnemental, etc … En dehors des hashtags à visée purement lexicologique, ces derniers deviennent des mots d’ordre où se cristallisent les engagements contre ou pour quelque chose. Martingale absolue ou levier plus complexe et aléatoire qu’il n’y paraît ?

En ces temps agités de #MeToo et #BalanceTonPorc, tout le monde ne le sait peut-être pas mais le hashtag qui fait tant couler d’encre et délier les langues, vient de fêter ses 10 ans d’existence ! Et contrairement à une idée reçue largement répandue, ce n’est pas Twitter qui est l’initiateur du symbole graphique version digitale (qui se dit littéralement en anglais « pound sign » ou « hash symbol »). L’histoire officielle veut qu’il s’agisse d’un certain Chris Messina, twittos compulsif et expert en technologies à l’époque chez Google, qui ait forgé le premier hashtag des réseaux sociaux avec #Barcamp en août 2007. Objectif : mettre en avant les ateliers participatifs sur l’innovation web qu’il organise aux USA depuis deux ans. D’autres sources attribuent la paternité numérique du hashtag à d’autres américains toujours 2007. Pour d’aucuns, c’est Nate Ridder, un habitant de San Diego en Californie qui sonne le tocsin avec #sandiegofire pour alerter sur les incendies qui ravagent la région. Pour d’autres, c’est le blogueur Stowe Boyd qui invente le premier le vocable de « hashtag » pour désigner le symbole comme un point de repère accolé à un contenu. Au final, peu importe qui est le véritable pionnier. Le hashtag a depuis fait son chemin et rencontre désormais une vaste popularité parmi les internautes même si le succès ne fut pas paradoxalement immédiatement au rendez-vous. Et qu’il n’est pas si simple de faire un hashtag qui percute !

Naissance d’une balise digitale

C’est effectivement en 2009 que le « hashtag » va alors s’imposer comme une balise communicante et sémantique sous l’impulsion de Twitter. Jusqu’à présent et en dépit des utilisateurs qui continuent d’y recourir pour typer et indexer leurs tweets, le hashtag passe inaperçu aux yeux de la majorité des socionautes. Mais un événement historique va bouleverser la donne. Cette année, éclate un soulèvement populaire en Iran suite à des élections très contestées et entachées de fraude. Les affrontements sont nombreux et durables et certains manifestants décident d’utiliser Twitter pour communiquer leur détermination au reste du monde. A tel point que cette révolution gagnera le surnom de « révolution Twitter » dans les médias qui se servent abondamment du réseau pour recueillir d’autres informations que celles diffusées par le pouvoir en place.

Conscient du poids joué dans cet événement où des hashtags comme #Neda (le prénom d’une jeune manifestante tuée par la police iranienne) ou #iranelection s’imposent des fils de référence, Twitter va concomitamment activer une modification technologique sur son réseau qui était déjà en cours de déploiement. En juillet 2009 (2), l’adjonction d’hyperliens aux hashtags contenus dans les tweets est chose acquise. Dorénavant, il est possible de retrouver un fil de discussion sur un thème précis faisant l’objet d’un hashtag via le moteur de recherche de Twitter. Ce qui n’a l’air que d’une petite mise à jour fonctionnelle va pourtant lancer définitivement l’avenir du hashtag dans les messages qui s’échangent sur Twitter et bientôt d’autres plateformes sociales. Une évolution qui sera suivie un an plus tard par l’introduction des Trending Topics dont le but est de répertorier en temps réel les hashtags les plus discutés du moment. Autant dire que les enjeux d’influence, de communication et de recherche de visibilité vont abonder !

L’usage du hashtag s’envole

Fort de cette nouvelle donne qui confère au hashtag un écho bien plus puissant en termes d’amplitude mais aussi en ce qui concerne sa durabilité dans le temps, le symbole à 4 barres entremêlées va faire vite tâche d’huile sur Twitter. Les grandes causes vont notamment constituer une émanation majeure de ce hashtag bodybuildé. La première du genre sera #BringBackOurGirls en avril 2014 lorsque 276 lycéennes sont enlevées au Nigeria par les terroristes islamistes de Boko Haram. Une vague de soutien international s’agglomère rapidement autour du hashtag #BringBackOurGirls et fait ensuite le tour de la planète lorsque la première dame américaine Michelle Obama ou encore par la « starlette » Kim Kardashian, mentionnent à leur tour le mot-clef pour dénoncer l’acte odieux perpétré.

D’autres hashtags fameux suivront, très fréquemment liés à des causes. Parmi elles, on peut citer par exemple le #BlackLivesMatter qui s’indignait de voir l’homme ayant tué l’adolescent afro-américain Trayvon Martin, acquitté par la justice à l’issue d’un procès hyper-médiatisé. On peut également se remémorer #OccupyWallStreet qui servit de cri de ralliement aux activistes anticapitalistes ayant monté un campement à côté du sacro-saint temple de la finance mondiale pour en vilipender les excès et les dérives. Depuis, ONG, associations, partis politiques rivalisent d’ardeur et d’imagination pour concocter des hashtags qui permettront de faire le buzz, bouger les lignes et fédérer les sympathisants.

Le hashtag est polymorphe

Toutefois, le hashtag n’est pas exclusivement capté par les militants de quelque cause. Il peut aussi ponctuellement incarner l’expression d’une émotion et d’une entraide collective. A cet égard, le douloureusement célèbre #JeSuisCharlie a servi de fil solidaire en janvier 2015 à toutes les personnes horrifiées par les attentats commis à Paris par des djihadistes fous furieux. Un autre hashtag a fait irruption en novembre 2015 avec #PrayForParis lorsque de nouveaux attentats ont endeuillé la capitale française. Il y eu même le hashtag #PorteOuverte lancé dans la foulée pour aider les gens désemparés à trouver un refuge nocturne et échapper aux carnages commis à Paris. Lors de nombreux attentats, le hashtag s’impose alors comme une focale de référence pour compatir, soutenir, s’informer.

Aujourd’hui, tous les acteurs de la société n’hésitent plus à forger un hashtag pour la circonstance. Qu’il s’agisse d’une émission de télévision, d’une marque de produit, de la disparition d’une personnalité, d’une rencontre sportive, d’une conférence ou même d’une chaîne de blagues, le hashtag est sur tous les fronts. Il est désormais une borne sémantique qui a largement débordé le cadre de Twitter. Sur Instagram, Facebook, Linkedin, Pinterest, Snapchat, etc, il est le marqueur indispensable pour raccrocher le message émis à une thématique, si futile soit-elle. A tel point que son utilisation est objet d’observations et de savants calculs pour créer le bon wording et l’insérer à bon escient dans les contenus diffusés. TrackMaven, un éditeur américain de logiciels analytiques de marketing, a ainsi passé au peigne fin (3) en octobre 2016 plus de 65 000 posts nantis d’un hashtag sur Twitter, Facebook et Instagram. De leurs conclusions, il ressort en particulier qu’un tweet avec un seul hashtag génère plus d’engagement que celui qui en flanque une ribambelle. De même, 18 caractères est la taille optimale du hashtag sur Twitter. Et ainsi de suite !

De l’art délicat du hashtag

Le revers de la médaille de cet engouement caractérisé pour le hashtag n’est toutefois pas absent. A l’instar des autres types de contenus qui luttent pour se frayer une place sur le Web social et parvenir de façon efficiente auprès de ses publics prioritaires, le hashtag commence à être victime de son succès. Il ne passe plus désormais une journée sans que quelqu’un quelque part tente d’allumer la mèche de son hashtag et rendre la situation éruptive comme en atteste le récent épisode fin octobre 2017 de la croix de Ploërmel en Bretagne. Le Conseil d’Etat avait en effet enjoint la commune à retirer une croix chrétienne située au-dessus d’une statue du pape Jean-Paul II au motif que l’espace public ne doit pas accueillir de signes religieux (exception faite des lieux spécifiquement dédiés comme les édifices religieux, les cimetières, etc). Pour contester le retrait, des internautes ont aussitôt lancé avec succès le hashtag #MontreTaCroix sur Twitter et réussi à ameuter toute la droite conservatrice, ultra-catholique et extrémiste pour susciter un bruit significatif. Au final pourtant, le soufflé retombera vite (malgré une pétition en ligne de 70 000 signatures) et le maire du village réfléchit maintenant à une solution alternative pour calmer le jeu.

C’est souvent là le problème avec les hashtags. La grande majorité est noyée et quand l’un d’entre eux parvient à se tailler une petite visibilité (sans tricher pour figurer dans les Trending Topics ! Si, si, cela existe aussi !), il faut parvenir à capitaliser sur l’onde de choc créée. Et là, hashtag ou pas, c’est avant tout une question de timing idoine et de pertinence avec l’air du temps qui déterminera du réel succès in fine. Si #MeToo par l’actrice américaine Alyssa Milano et #BalanceTonPorc par la journaliste Sandra Muller avaient été lancées à contretemps et en dehors de l’affaire Weinstein, il est fort à parier que les deux hashtags n’auraient jamais enregistré l’écho phénoménal qu’ils sont parvenus à susciter dans le monde entier et durant plusieurs jours. Sans l’impact médiatique préalable de l’affaire Weinstein, l’impact aurait été moindre. Ce point est fondamental. Actuellement, 125 millions de hashtags sont émis quotidiennement (4). Ce « hashtivisme » comme le surnomment certains sociologues est certes capable d’embraser Twitter (qui reste le principal foyer des hashtags polémiques) mais pour quel résultat tangible au bout ? Si la tournure sémantique d’un hashtag est importante, ce dernier n’est pas une fin en soi. Il doit concourir à un sujet ou une cause pensée dans un cadre stratégique de communication plus vaste si l’on veut espérer vraiment faire bouger un contexte donné ou accentuer des prises de conscience. #JeMePoseAvantDeCrier !

Sources

(1) – Amanda Mc Arthur – « The history of hashtags » – Livewire – 30 août 2016
(2) – Leena Rao – « Twitter Makes Hashtags More #Useful » – Techcrunch – 2 juillet 2009
(3) – Andrew Hutchinson – « New Report Looks at Optimal Hashtag Use on Twitter, Instagram and Facebook » – Social Media Today – 21 octobre 2016
(4) Julie Rambal – « Quand le hashtag veut changer le monde » – Le Temps – 7 novembre 2017



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