Bernard Arnault et son passeport belge : Une com’ totalement ratée

C’est un incroyable pataquès communicant qui désormais colle aux basques de la 1ère fortune française, Bernard Arnauld. Depuis qu’un quotidien d’Outre-Quiévrain a révélé son intention d’obtenir la nationalité belge, l’image du patron de LVMH est vilipendée. Aurait-il pu éviter ce bad buzz ?

Si l’objectif de Bernard Arnauld était de discrètement devenir un sujet du royaume d’Albert II, le plan est un échec sur toute la ligne. Avec le scoop publié par La Libre Belgique dévoilant le dossier déposé par le richissime entrepreneur auprès de la commission des naturalisations de la Chambre belge, c’est une virulente polémique qui a éclaté autour de la 4ème fortune mondiale (selon Forbes) et ricoché aussitôt en France à l’heure où la question de la taxation à 75% sur les très hauts revenus occupe le devant de l’actualité.

Un timing particulièrement maladroit

Une révélation embarrassante pour l’industriel du luxe français

Certes, la demande de naturalisation enclenchée par Bernard Arnault n’était initialement pas destinée à se retrouver étalée sur la place publique. Néanmoins, au regard de l’envergure économique et de la puissance emblématique de l’empire LVMH, les possibilités de fuite d’un tel dossier auprès d’un journaliste bien introduit constituaient un risque avéré. Même si les autorités belges déclarent avoir 47 000 requêtes de ce genre en cours d’examen (1), il était évident que celle de Bernard Arnault n’allait pas passer inaperçue. Pour entre autres, une raison simple : la Belgique est l’une des terres d’exil fiscal privilégiées des grandes fortunes françaises.

C’est  effectivement un secret de Polichinelle ! De l’autre côté de la frontière et particulièrement dans la banlieue chic de Bruxelles, nombre de noms du gotha économique tricolore ont choisi de poser leurs bagages pour profiter des avantages procurés par les impôts belges. Ceux-ci sont en effet particulièrement peu gourmands en matière de taxation sur le capital ou d’imposition sur la fortune personnelle. Il y a quelques années, l’impayable Johnny Hallyday avait lui-même défrayé la chronique en tentant vainement d’acquérir un passeport belge pour se soustraire à la voracité du fisc français.

Or, engager une procédure de naturalisation dans un pays réputé pour son fisc débonnaire au moment même où s’agite un débat virulent en France sur les projets de taxations lourdes du gouvernement actuel sur les riches revenus, revenait à s’exposer très dangereusement en cas de fuite journalistique. Ce qui n’a évidemment pas manqué d’arriver. Médiatiquement parlant, l’histoire était imparablement croustillante : l’homme le plus riche de France, de surcroît mastodonte de l’industrie du luxe, tenterait de s’affranchir de la législation fiscale de son pays d’origine appelée à se durcir.

Une réplique qui excite plus qu’elle ne répond

Devant le concert de récriminations outrées, la communication de Bernard Arnault a alors rapidement réagi en diffusant un communiqué de presse sur le fil de l’Agence France Presse. Les mots employés sont concis et visent surtout à désamorcer le procès en sorcellerie antipatriotique que les adversaires brandissent en particulier. Dans son texte, l’homme d’affaires précise que son projet (2) « sert une démarche personnelle engagée depuis plusieurs mois, et ne doit faire l’objet d’aucune interprétation politique. Je suis et je resterai fiscalement domicilié en France et à ce titre, je remplirai, comme tous les Français, l’ensemble de mes obligations fiscales. Notre pays doit compter sur la contribution de chacun pour faire face à une crise économique profonde dans un cadre budgétaire particulièrement contraint ».

Déchaînement médiatique dans la presse, à la llimite du correct à gauche

Le staff communicant espérait ainsi calmer le jeu et juguler l’incendie médiatique avec ce communiqué. Pourtant, l’objectif est manqué. Outre une controverse qui a vite débordé les frontières de l’Hexagone en faisant notamment la Une des très influents quotidiens anglo-saxons Wall Street Journal et Financial Times, la curée politique s’est poursuivie sur le thème de l’exil fiscal programmé. Avec en particulier le secrétaire général de la CFDT, François Chérèque qui n’hésite pas à pointer les antécédents de Bernard Arnault en la matière et qui le qualifie de « récidiviste » pour avoir déjà agi de la sorte en s’expatriant trois ans aux USA après la victoire présidentielle de la gauche en 1981.

C’est précisément là où le bât blesse dans le communiqué émis par Bernard Arnault. S’il réitère sa volonté de citoyenneté et de contribuable français, il est en revanche très discret (pour ne pas dire muet) sur les motifs réels de ce souhait de double nationalité. Quelques sources proches disent (4) que celui-ci est motivé pour faciliter des investissements en Belgique avec le milliardaire Albert Frère. Cependant, le moins qu’on puisse dire est que le communiqué laisse la porte ouverte à toutes les supputations et alimente ainsi la crise médiatique, voire l’hystérie de certains journaux comme Libération qui a commis une Une particulièrement agressive et pas forcément digne de l’éthique journalistique.

Il faut mettre les points sur « i »

Quelle que soit la raison de cette demande de naturalisation, B. Arnault va devoir jouer cartes sur table

A cet égard, les spéculations vont bon train pour tenter de discerner les intentions véritables de Bernard Arnault. Les fiscalistes sont tout particulièrement choyés par les médias pour livrer leurs analyses et leurs décryptages. Certains ne voient aucun intérêt dans la démarche de l’homme d’affaires. D’autres au contraire, jugent qu’il s’agit là d’un coup à trois bandes de la part du patron de LVMH pour accéder ultérieurement à d’autres paradis fiscaux encore plus avantageux comme la principauté de Monaco (5).

D’autres observateurs persistent à y voir une manœuvre politique pour faire pression sur le gouvernement français et le pousser à renoncer à ses projets de taxation à 75%. C’est l’explication donnée par exemple par un conseiller gouvernemental aux Echos (6) : « Soit la taxe à 75 % n’est vraiment pas en cause et c’est une grosse erreur de communication, soit elle est en cause et dans ce cas, l’effet risque d’être contraire à celui escompté auprès de l’opinion ».

Au final quelle que soit l’hypothèse motivant réellement Bernard Arnault, celui-ci aurait désormais tout intérêt à être plus prolixe sur ce désir de bi-nationalité. A laisser le clair-obscur s’installer sur ses motivations profondes, il risque énormément de devenir le bouc émissaire idoine du corps sociétal, d’une grande partie de la classe politique et d’un nombre important de médias et d’incarner un repoussoir qui ne servira pas non plus la réputation des entrepreneurs en France.

De deux choses l’une. Soit ce projet correspond effectivement à la mise en place d’un dispositif pour échapper en toute légalité à l’emprise resserrée du fisc français, soit il s’agit d’un combat politique dont Bernard Arnault, fort de son influence, s’est placé à la pointe pour contrer les visées fiscales du gouvernement. Mais dans tous les cas, le PDG de LVMH gagnerait à expliciter ses positions et à assumer clairement les conséquences de celles-ci. Les choses auraient ainsi le mérite d’être claires et factuelles plutôt que laisser un débat déliquescent s’installer.

Evidemment, d’un point de vue éthique et citoyen, (si l’option fiscale se confirmait), l’image de Bernard Arnault ne serait sans nul doute guère flatteuse au sein de l’opinion publique. En revanche, en sachant véritablement pourquoi Bernard Arnault tient tant à devenir sujet de sa Majesté Albert II, le débat sur la fiscalité des grandes fortunes entrepreneuriales gagnerait en consistance. Pour le moment, l’argument timidement avancé du passeport nécessaire pour faire des affaires en Belgique semble quand même un brin superfétatoire. A-t-on vu un jour Bill Gates réclamer la nationalité française pour pouvoir développer son entreprise dans l’Hexagone ?

Vous pouvez retrouver ce billet et bien d’autres encore sur Le Plus du Nouvel Observateur

Sources

(1) – Christophe Lamfalussy – « L’homme le plus riche de France veut devenir Belge » – La Libre Belgique – 8 septembre 2012
(2) – Pierre-Alain Furbury et Etienne Lefebvre – « La demande de double nationalité franco-belge de Bernard Arnault embrase la classe politique » – Les Echos – 10 septembre 2012
(3) –Ibid.
(4) – Elsa Conesa – « Le PDG de LVMH entretient des liens étroits en Belgique » – Les Echos – 10 septembre 2012
(5) – Raphaël Meulders – « Pourquoi Bernard Arnault veut-il devenir belge ? » – La Libre Belgique – 8 septembre 2012
(6) – Pierre-Alain Furbury et Etienne Lefebvre – « La demande de double nationalité franco-belge de Bernard Arnault embrase la classe politique » – Les Echos – 10 septembre 2012

A lire en complément

– Julie de la Brosse – « Les zones d’ombre de l’histoire belge de Bernard Arnault » – L’Expansion.com – 10 septembre 2012